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[Critique] DARK TOUCH de Marina De Van

Jeux d'enfants

DARK TOUCH

DARK TOUCH

Au sein d’un cinéma de genre français finalement assez peu audacieux, sclérosé par des références envahissantes et des velléités auteurisantes, Marina De Van pourrait bien apparaître comme une alternative crédible.
Proposant un cinéma à la fois classique et inventif, subversif et dépressif, tout en usant de codes inhérents aux genres dans lesquels elle s’illustre, la cinéaste parvient à s’approprier dans ses films des cadres familiers pour les cribler d’obsessions personnelles, y laisser infuser en intraveineuse des éléments forts pour au final, pervertir de l’intérieur ses réalisations. C’est encore le cas avec Dark Touch, sombre récit alliant possession, télékinésie et enfants vengeurs, pour un résultat qui parvient autant à terroriser qu’à bouleverser. Très fort !

DARK TOUCH

Au bal du diable…

Après des études à la Femis, des courts-métrages déjà osés (Bien sous tous rapports et sa fellation bourgeoise, le trash et malsain Rétention), des rôles border-line dans les films de François Ozon (Sitcom, Huit femmes) et deux longs-métrages (Dans ma peau et Ne te retourne pas) qui démontrent que la jeune femme n’a pas froid aux yeux, tant par les sujets qu’elle aborde (l’automutilation, le dédoublement de personnalité), que pour la direction d’acteurs de premier plan (Monica Bellucci, Sophie Marceau), Marina De van s’engouffre réellement vers le film d’horreur pure souche avec Dark Touch. Variation sur le thème de l’enfant doté de pouvoirs télékinésiques, le film semble marcher dans les pas du Carrie de Brian De Palma, dont il pourrait aisément constituer un brillant remake. De Van y aborde nombre de thèmes à la limite du tabou : l’inceste, la maltraitance des enfants, ainsi que la violence psychologique qu’ils s’infligent entre eux… Des sujets difficiles, que la cinéaste française ne prend pas à la légère, et ne plaque pas accessoirement comme de simples cautions sociales sur son intrigue horrifique. C’est l’une des grandes forces de Dark Touch, que de créer le malaise et l’inconfort du spectateur en faisant naître le suspense et l’horreur au cœur même de ces questions souvent délicates, mais qui semblent obséder la réalisatrice. Ici, la peur naît clairement du traumatisme, de la violence, tant physique que morale, subie par la jeune Neve et les enfants maltraités de ce petit village vivant en vase clos, volontairement anonyme et donc universel.

DARK TOUCH

Martyrs

La noirceur insondable qui domine le film d’un bout à l’autre marque la parfaite adéquation d’une intrigue malsaine et de choix visuels forts de la cinéaste. Doté d’une photographie aux couleurs dominantes froides comme la mort, Dark Touch glace le sang au fur et à mesure qu’il se déroule. Le désespoir qui domine la jeune Neve, orpheline de parents visiblement maltraitants et massacrés suite à des faits surnaturels, également inadaptée à toute vie sociale, s’accompagne d’une ambiguïté sur l’implication de la jeune fille dans ces méfaits. Un doute sur les prétendus pouvoirs de l’enfant qui finit par éclater lors d’un climax en forme d’exutoire pour les jeunes martyrs. De Van n’apporte pas réellement de point de vue engagé sur son sujet, mais laisse à penser que la violence infligée par les adultes se « répand » chez les enfants victimes d’abus, pour finalement ressortir sous la forme de la pire vengeance qui soit. Marina De Van montre dans Dark Touch tout son sens de l’image, avec des scènes à la fois spectaculaires et magnifiques (l’école qui s’effondre en arrière plan, derrière les enfants marchant vers la caméra), ou plus intimistes (ses discussions entre adultes et enfants, chargées de tension, la suggestion des faits de maltraitance), elle constelle son film d’images fortes. Bien aidée par un casting de jeunes comédiens tous très convaincants, notamment une Missy Keating à la moue boudeuse, qui joue la détresse puis la détermination avec beaucoup de justesse.
S’emparant des codes du film d’horreur pour mieux dénoncer des problèmes de société, Marina De Van livre un film noir, dépressif, d’un pessimisme et d’une cruauté effrayants, qui réussit l’exploit de constituer un grand film d’horreur, doublé d’un bouleversant plaidoyer contre les maltraitances infligées aux enfants, qui frappe juste et fait mal. L’un des grands films de 2014.


DARK TOUCH
Marina De Van (France/Irlande/Suède – 2013)

Note : 4.5Genre Drame horrifique – Interprétation Missy Keating, Marcella Plunket, Padraic Delaney… – Musique Christophe Chassol – Durée 90 minutes. Distribué par KBMO films.

L’histoire : Meubles et objets se rebellent contre les occupants, laissant Neve, une fillette de 11 ans, seule rescapée du massacre sanglant qui a décimé sa famille. Des proches la recueillent et s’efforcent de lui faire surmonter cette épreuve traumatique en l’entourant d’amour. Mais la violence continue de se manifester et Neve ne retrouve pas la paix…

3 Comments on [Critique] DARK TOUCH de Marina De Van

  1. Totalement d’accord avec toi et ravi de lire enfin quelqu’un qui a autant aimé le film.
    Beaucoup ont fait la fine bouche à son sujet.
    Je le trouve aussi efficace que bouleversant.
    Étonnant d’ailleurs que la même année, de l’autre bout de la Terre, l’Australie nous envoie son Babadook sur une thématique « cousine » et tout aussi réussi.

    Aimé par 1 personne

    • Ce film m’a scotché par sa maîtrise et l’adéquation entre son fond et sa forme. De Van m’a réellement surpris, c’est, à mon sens, l’un des films de genre les plus brillants de ces dernières années. Dans mon top 2014 !
      Quant à Babadook, je n’ai pas eu encore la chance de le voir… A rattraper de toute urgence, donc 😉

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