
Si La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven posait en 1972 les jalons du genre « rape and revenge », il ne faut pas attendre bien longtemps pour voir débarquer l’autre œuvre emblématique qui infusera cette catégorie de films durant de longues années à venir. Crime à froid (Thriller – en grym film), petite série B suédoise réalisée par Bo Arne Vibenius débarque dès 1973 avec la fulgurance d’un gros doigt d’honneur pointé à la bien-pensance. Le film va d’ailleurs rapidement se positionner dans le collimateur des institutions cinématographiques locales qui ne vont pas se contenter de le censurer, mais bien de l’interdire gentillement dans son pays d’origine. Il faut dire que le film investit avec une certaine fougue des thématiques compliquées comme le viol d’une mineure, l’exploitation sexuelle des femmes, la vengeance trash, le tout agrémenté de scènes de violence et de sexe pornographique plein cadre. Cinéaste à la carrière extra-réduite (Hur Marie träffade Fredrik en 1969, puis Breaking Point en 1975 complètent sa filmographie), Bo Arne Vibenius a également fait ses armes comme assistant de production auprès d’Ingmar Bergman sur Persona et L’Heure du loup. Mais sa grande œuvre, celle qui le portera à la posterité cinématographique, restera cette plongée en enfer mettant en scène la jeune playmate Christina Lindberg (Les Impures). Cette dernière incarne une jeune fille, Madeleine, violée durant son enfance et devenue totalement mutique. Quelques années plus tard, elle est prise en stop par un jeune homme d’apparence affable, mais en réalité un proxénète violent. Retenue prisonnière, elle tombe rapidement dans l’enfer de la drogue et de la prostitution. Jusqu’au jour où, dans un accès de rage, Tony lui crève un œil. Madeleine parvient néanmoins à s’enfuir, et n’a dès lors qu’une seule idée en tête : se venger !


Trash et fun
Œuvre âpre, au rendu parfois réaliste, mais continuellement gorgée de cinéma, Crime à froid est un film d’exploitation qui secoue, qui pointe là où ça fait mal, qui vient titiller la bonne conscience et n’hésite jamais à montrer l’immontrable. Le calvaire de la jeune femme ne aurait souffrir d’élipses rassurantes et Bo Arne Vibenius fait le choix de montrer ouvertement les différentes étapes de sa descente aux enfers, à l’exception d’une agression initiale plutôt suggérée. Des scènes de sexe non simulées déjà évoquées (mais spécifiquement réalisées par des performers et non par les acteurs) à un œil crevé en gros plan, en passant par des séquences de maltraitance, de dépendance à la drogue… Des moments crus et difficiles, parfois choquants, que le cinéaste inflige frontalement au spectateur pour le plonger dans le désarroi de sa protagoniste et souligner un peu plus l’horreur et la cruauté de sa condition. Jusqu’à lui faire accepter l’odyssée vengeresse de Madeleine dans la seconde partie du métrage, qui intervient après de longues scènes de préparation (conduite, maniement des armes, combat au corps à corps). Le réalisateur suédois magnifie ces scènes de tuerie à l’aide de ralentis amplifiés, dilatant le temps et donnant à voir de magnifiques tableaux qui tendent vers l’abstraction, sensation renforcée par la musique de Ralph Lundsten. Pour autant, Crime à froid reste un pur film d’exploitation, digne et fier de sa condition, cadré avec soin et versant volontiers vers l’action lors d’une confrontation finale digne d’un western. Entre expérimentations, ultra-réalisme et virages bis assumés, le film fera date dans la cinéma d’exploitation, provoquant des réactions de tous bords, jusqu’à être porté aux nues par un Quentin Tarantino qui a largement pioché dedans pour Kill Bill. Longtemps, un projet de suite aux aventures de Madeleine est resté suspendu à la volonté de Bo Arne Vibenius et, surtout, des producteurs. En vain…
Avec son cache-œil et son long manteau noir, l’ange de la vengeance Madeleine n’est pas sans évoquer un autre personnage d’ange vengeur féminin mutique et iconique de la culture populaire, apparu simultanément au Japon, celui de La Femme Scorpion, dont la série vient également de sortir chez le même éditeur Le Chat qui Fume.
CRIME A FROID (Thriller – en grym film). De Bo Arne Vibenius (Suède – 1973).
Genre : Thriller/Rape and revenge. Scénario : Bo Arne Vibenius. Interprétation : Christina Lindberg, Heinz Hopf, Despina Tomazani, Per-Axel Arosenius, Solveig Andersson… Musique : Ralph Lundsten. Durée : 108 minutes. Disponible en Blu-ray chez Le Chat qui Fume (mars 2023).

LE BLU-RAY DU CHAT QUI FUME. Premier élément notable, cette édition propose la version intégrale, qui est également celle validée par le réalisateur, du film de Bo Arne Vibenius, avec les inserts pornographiques. Après des années d’exploitations vidéos au rendu faiblard, cette nouvelle copie s’avère d’une beauté précieuse, granuleuse à souhait, mais expurgée de la plupart des ses défauts, stable et équilibrée, aux couleurs retrouvées. Un délice. Côté son également, le DTS-HD MA 2.0 proposé pour les deux pistes audio (suédoise et française) s’affirme avec autorité, mettant en avant les effets sonores et la musique conceptuelle et marquante de Ralph Lundsten.
La section bonus est particulièrement chargée. A noter que, même si la version UHD, qui comprenait un disque en plus, est épuisée, cette édition simple proposée par l’éditeur bénéficie tout de même de l’ensemble des bonus. On mettra en avant notamment le documentaire « Thriller, un documentaire à froid » de Rickard Gramfors, qui revient sur la création du film racontée par le réalisateur et scénariste Bo Arne Vibenius, avec des interviews de Christina Lindberg, des cascadeurs Bo Sunnefeldt et Lasse Lundgren et de l’acteur Gunnar Palm (43′). Par ailleurs, « Œil pour Œil » avec Clara Sebastiao, évoque avec pertinence la création du film, sa place au sein du cinéma érotique suédois de l’époque et ses démêlés avec la censure. Plusieurs modules donnent la part belle à la comédienne Christina Lindberg, qui revient sur sa performance dans le film et plus globalement sur sa carrière dans « Adrián et Christina » : interview par le réalisateur Adrián García Bogliano (58′), une séance de questions-réponses au cinéma Alamo Drafthouse de Austin, Texas en 2017 (32′) et dans une interview par le Français Christian Valor (Psychovision) « Christina Lindberg : The Paris Interview » en 2015 (60′). Des chutes de tournage (6′), les chansons d’un 45 tours enregistré par Christina Lindberg et une publicité pour SAAB réalisée par Bo Arne Vibenius complètent la section, aux côtés de différentes bandes annonces et teasers d’époque du film et autres galeries de photos/affiches de tournage et promotionnelles, ainsi que des spots radio. Un contenu gargantuesque.

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