Sean Price Williams est un directeur de la photographie américain connu pour s’être notamment occupé des films des frères Safdie et ceux d’Alex Ross Perry. Depuis 2004, Williams a sorti trois projets en tant que réalisateur, à commencer par le court-métrage Sean’s Beach, puis en 2011, son premier long-métrage co-réalisé avec le Français Jean-Manuel Fernandez, du nom de Eyes Find Eyes (le film est une production franco-américaine) sur le monde du trafic d’œuvres d’art avec un homme ne sachant plus distinguer les faux du vrai. Au-delà de son documentaire court sur Robert Downey Sr. en 2021, Williams n’aura réalisé aucune œuvre de fiction pendant douze ans jusqu’à cette année et la présentation de son premier film en solo du nom de The Sweet East, à la Quinzaine Des Cinéastes de Cannes. Le film, sans aucun doute la plus grosse attente que l’on pouvait avoir pour l’Étrange Festival 2023, où il a été présenté pour la première fois lors de la troisième journée, raconte l’histoire de Lillian, une étudiante qui va partir de son voyage scolaire pour s’embarquer dans un road trip américain où la jeune femme rencontrera de singuliers personnages…

Irrévérencieux, sombrement féerique et critique

Le film, au-delà de sa magnifique photo granuleuse, utilise beaucoup la caméra à l’épaule de façon assez hyperactive par instants (notamment au début), pour apporter une certaine proximité avec les décors et protagonistes. La fluidité du montage aide aussi à cette immersion car, malgré l’enchaînement des péripéties, parfois étranges et dont le sens nous échappe, il y a une sorte de cohérence et une vraie rythmique du récit. Le réalisateur alterne avec des plans plus « classiques » mais presque jamais fixes, il y a toujours un léger mouvement ou un zoom pour ne pas que la caméra reste statique ; ce qui rend le film vraiment vivant. Ce dernier étant un récit picaresque assez fou et apportant des réflexions sur les États-Unis intéressantes, montrant aussi la part d’ombre de ce pays, rappelle par certains aspects le Beau Is Afraid d’Ari Aster dans sa façon d’être un road trip peu habituel et construit sur un humour noir hilarant (même si The Sweet East est beaucoup plus sombre). C’est aussi en montrant l’Amérique des marginaux qu’il ressemble au film d’Aster, quand il choisit de ne pas nous montrer les archétypes de personnages habituels. Pour arrêter la comparaison et se concentrer sur le film en lui-même, Sean Price Williams, à travers son récit merveilleux qu’est The Sweet East, montre que l’on peut déchanter face à la réalité malgré nos rêves (les deux cinéastes au destin tragique, par exemple). On découvre l’absurde et l’obscure Amérique : entre anarchistes d’extrême-gauche, néo-nazis pédophiles, cinéastes rêveurs ou encore islamistes électro ; des portraits parmi des millions mais qui ont une substance filmique indéniable. Et, à travers ses marginaux, The Sweet East fait preuve d’un humour noir hilarant et irrévérencieux à travers des éléments anodins tels qu’une couette aux symboles antisémites ou un CD d’électro au nom peu commun. Le film arrive à déconcerter incroyablement et ose taper sur tout sans avoir peur des représailles. Pour finir, le métrage dévoile une comédienne excellente, Talia Ryder, jouant intelligemment chaque émotion, est l’une des grandes révélations de l’année (on a pu la voir également dans Master en 2022 et West Side Story en 2021 dans des rôles secondaires). On ne peut que conseiller The Sweet East, expérience unique et sombre mais jamais désespérée, une bouffée d’air frais à voir lorsque Potemkine, le distributeur français du film, le sortira en salles.

Note : 4 sur 5.

THE SWEET EAST. De Sean Price Williams (USA – 2023).
Genre : Drame/Comédie/Fantastique. Scénario : Nick Pinkerton. Directeur de la photographie : Sean Price Williams. Interprétation : Talia Ryder, Simon Rex, Jacob Elordi, Jeremy O. Harris, Ayo Edebiri… Musique : Paul Grimstad. Durée : 104 minutes. Film découvert lors de l’Étrange Festival 2023, une distribution par Potemkine est annoncée.

6 réponses à « [Critique] Étrange Festival 2023 : THE SWEET EAST de Sean Price Williams »

  1. […] mais surtout des coups de cœur tels que l’intelligent Club Zero, notre favori de la compétition The Sweet East, le bizarre 2551.02 et, dans les films moins récents, l’excellement obscur Begotten et le […]

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  2. […] nourrir la réflexion, critique de Muertomega de septembre 2023, qui rappelle cv du réal et analyse bien sa façon de […]

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  3. […] autre Amérique, ce qui est d’ailleurs la principale similitude qu’il a avec le récent The Sweet East de Sean Price Williams, présenté à l’Étrange Festival l’an dernier. C’est […]

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  4. […] facilement insérable dans le Top 3, déjà premier de celui des festivals l’an dernier), The Sweet East de Sean Price Williams et You’ll Never Find Me de Indianna Bell et Josiah Allen. Qui plus […]

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