Lars Von Trier est un réalisateur parmi les plus controversés d’Europe qui continue sa carrière de longs-métrages depuis bientôt quarante ans (son premier long, Epidemic, étant sorti en 1984), il est l’un des grands habitués du festival de Cannes. Entre le fait qu’il dirige ses actrices comme personne au point de faire remporter à trois d’entre elles (Björk, Charlotte Gainsbourg, Kirsten Durst) le Prix d’interprétation féminine cannois, le réalisateur danois a obtenu le Grand Prix du Jury en 1996 (second prix cannois le plus prestigieux) avant de recevoir l’imposante Palme d’Or en 2001 avec Dancer In The Dark, puis a eu droit à sa rétrospective en juillet 2023 au cinéma grâce aux Films Du Losange (que l’on remercie chaleureusement). Aujourd’hui, nous abordons l’excellent et très vaste Antichrist qui conte le récit suivant : un couple en deuil se retire à « Eden », un chalet isolé dans la forêt, où ils espèrent guérir leurs cœurs et sauver leur mariage. Mais la nature reprend ses droits et les choses vont de mal en pis…

Déviant, métaphorique et symbolique

Parlant du deuil et de la dépression avec une justesse et une horreur rares, Antichrist est un film fondamentalement nihiliste qui aborde ses sujets sans once d’espoir. Déjà, la continuité dialoguée est bluffante car d’un réalisme fort et surtout, les protagonistes ne sont pas ancrés dans un certain cliché. Le personnage de Charlotte Gainsbourg est dans une dépression puissante, essayant d’oublier sa profonde tristesse à travers le sexe, sans y arriver ; ce qui donne parfois des scènes assez déchirantes psychologiquement, notamment dans une fin sans concessions. Le personnage de Willem Dafoe est aussi assez intéressant, n’étant pas le stéréotype du mari aimant qui va délaisser sa femme des qu’elle va présenter les signes d’une dépression dangereuse. Gainsbourg et Dafoe portent franchement bien leurs personnages, la première étant impassible et très forte (aidée par un excellent maquillage de Denis Knudsen et Hue Lan Van Duc) dans la retranscription de sa tristesse. Le second est très fort lui aussi, étant l’un des meilleurs acteurs que le cinéma ait pu nous offrir. Sur un plan technique, la caméra est proche des personnages et assez immersive. Mais certains plans tels que ceux figurant les rêves, l’imagination des personnages, la noirceur ou des plans où les personnages marchent (des travellings horizontaux assez originaux) sont tout bonnement excellents, flippants, fascinants. Car oui, horrifiquement parlant, le film est un espèce de cauchemar obsédant où viennent quelques moments d’horreur extraordinaires ou juste hors du temps (la scène du renard, le cri dans toute la forêt) mais surtout une immense déviance sexuelle, où le personnage de Charlotte Gainsbourg essaye de noyer son chagrin dans un espèce de sado-masochisme. Il y a donc quelque chose de profondément pervers dans la démarche de Lars Von Trier mais qui résonne franchement dans le visuel et l’horreur antérieurement abordés avec des scènes dérangeantes mais fortes. Lars Von Trier filme l’inexorable descente aux enfers de ce couple dans l’Eden. Le métrage est presque entièrement constitué de symbolisme, ce qui est assez difficile à analyser mais il y a là une vraie vision. Déjà, le couple va, comme dit précédemment, à l’« Eden » et Satan semble s’immiscer dans les lieux à travers la nature, la dernière partie du film plonge totalement dans des sujets païens (à travers les Trois Mendiants et la toute fin, qui est incroyable visuellement). Il est d’ailleurs assez dur d’approfondir sur la fin sans trop en dévoiler, mais je dirais qu’il y a un sous-texte sur le fait que le personnage de Willem Dafoe (métaphore d’Adam) est quelqu’un qui feint qu’il écoute le personnage de Charlotte Gainsbourg (métaphore d’Eve) mais ne penses quasiment qu’à lui tandis que celle-ci « déraille » car on ne l’entend pas et que le personnage de Dafoe sera glorifié malgré toutes ses erreurs. Le film est si vaste qu’une simple critique ne saurait suffire à analyser ce métrage mais je ne peux que vous conseiller Antichrist qui est un chef-d’œuvre mais attention : c’est le genre de film que l’on subit et non que l’on savoure.

Note : 5 sur 5.

ANTICHRIST. De Lars Von Trier (Danemark, France, Allemagne, Italie, Pologne, Suède – 2009 ).
Genre : Horreur, Drame. Scénario : Lars Von Trier. Directeur de la photographie : Anthony Dod Mantle. Interprétation : Willem Dafoe, Charlotte Gainsbourg, Storm Acheche Sahlstrøm. Musique : Kristian Eidnes Andersen. Durée : 108 minutes. Ressorti en salles par Les Films du Losange (12 juillet 2023).

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