Années 1970, dans le Pays basque espagnol. Ruth Miller réside dans sa propriété avec sa belle-fille, Chris, psychologiquement instable suite à un viol. Ruth, quant à elle, souffre de névrose après avoir été abandonnée par son mari. Les deux femmes vivent dans un climat de peur, d’autant que, depuis plusieurs mois, la région est le théâtre d’une série de meurtres. Lors d’une nuit d’orage, un vagabond, Barney Webster, vient se réfugier dans la grange des Miller. Après un moment d’hésitation, Ruth l’engage comme homme à tout faire. Très vite, Barney va se livrer à un jeu de séduction auprès des deux femmes. Et s’il était le tueur ?

Œuvre rare, La Corruption de Chris Miller de Juan Antonio Bardem (L’Île mystérieuse) est un étrange film, qui oscille entre thriller psychologique et giallo, dans une ambiance à première vue bucolique mais rapidement parasitée par des éléments perturbateurs et prenant les atours d’une fable bien déviante sur les bords. On y découvre progressivement un jeu de séduction à trois entre la jeune fille, sa belle-mère et le vagabond ayant trouvé refuge chez les deux premières. Le réalisateur espagnol y déploie un érotisme latent, flirte avec les limites, aux frontières du comportement l’incestueux, évoquant des rapports de domination entre les personnages, sans jamais pour autant plonger véritablement vers des relations franches. Il faut dire que chaque protagoniste de ce trio semble avoir son lot de fractures et de traumatismes à digérer. A commencer par Chris, interprétée par la jeune comédienne Marisol (Noces de sang), dont l’épisode du viol dans la douche est le plus directement présenté au spectateur sous forme de flashbacks. L’équilibre psychologique défaillant de sa belle-mère, Ruth, incarnée par Jean Seberg (A bout de souffle), est moins ouvertement discernable. Tandis que l’étranger, Barry Stokes (Le Zombie venu d’ailleurs), semble quant à lui assumer une part de mystère et de menace évidentes. Autant dire que lorsqu’une série de crimes sont commis par un mystérieux assassin encapuchonné, les trois personnages principaux et leurs motivations insaisissables font autant offices de victimes potentielles que d’assassins en puissance.

Par delà un scénario qui se plaît à noyer le poisson, avec l’air de ne pas y toucher, multipliant les divagations bucoliques (à vélo, à cheval…), La Corruption de Chris Miller est surtout marqué par son caractère relativement imprévisible, ainsi que son ambiance ouatée et vénéneuse. Un constat qui s’accompagne d’une tenue formelle assez remarquable, Juan Antonio Bardem assurant une mise en scène classique dans le bon sens du terme, aux cadres savamment travaillés, baignant dans la composition photographique de premier ordre signée Juan Gelpí. L’ombre d’Hitchcock plane par instants sur cette corruption (toutes proportions gardées). D’autant que la structure même du film étonne. Si le prologue nourrit d’emblée l’étrangeté du film avec une scène de meurtre commise par un faux Charlot, il faut ensuite attendre patiemment pour voir le bout d’un tueur encapuchonné à l’écran, comme un second chapitre ou un nouveau film qui débuterait, misant ouvertement sur son aspect Bis et au suspense plus assumé.
La séduction qui opère au visionnage du film est évidente, un vrai petit plaisir de cinéma d’exploitation, très tenu, qui se permet même de s’achever dans un bain de sang et de violence, à laquelle la retenue graphique jusqu’à alors ne nous avait pas préparée.
LA CORRUPTION DE CHRIS MILLER (La corrupción de Chris Miller). De Juan Antonio Bardem (Espagne – 1973).
Genre : Thriller psychologique. Scénario : Santiago Moncada. Photographie : Juan Gelpí. Interprétation : Jean Seberg, Marisol, Barry Stokes, Perla Cristal, Rudy Gaebel, Gérard Tichy… Musique : Waldo de los Ríos. Durée : 113 minutes. Disponible en Blu-ray chez Le Chat qui Fume (31 mars 2024).

Le Blu-ray du CHAT QUI FUME. Avec cette sortie en Blu-ray, Le Chat qui Fume nous octroie la possibilité de découvrir le film, rare, dans une version, qui plus est, intégrale. Si les premiers instants laissent voir quelques griffures et autres défauts importants sur l’image, le temps du générique, l’inquiétude s’envole bien vite avec le résultat d’une restauration remarquable. L’image est véritablement belle, nettoyée, aux contrastes très marqués avec notamment des noirs puissants, et des couleurs très prononcées. Un bonheur pour les yeux.
L’éditeur annonce sur la jaquette, en plus de la version française, une version anglaise. Que nous n’avons jamais trouvé, puisqu’il s’agit de la version (elle aussi doublée) en espagnol qui est proposée. Les deux pistes sont en DTS HD Master Audio 2.0 mono et globalement de belle tenue, avec une préférence pour la version espagnole. A noter pour les amateurs de doublage français qu’en raison de la copie intégrale ici présentée, certains passages ajoutés sont uniquement proposés en langue espagnole.
Enfin, chose rare chez l’éditeur, aucun supplément n’est proposé en dehors de la bande-annonce originale du film.

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