Photographe reconnu dans les années 60 et réalisateur consacré par des films comme Panique à Needle Park en 1971 et L’Épouvantail, ce-dernier ayant remporté une Palme d’Or à Cannes en 1973, Jerry Schatzberg connaît un beau succès durant les années 70, avant d’entamer une décennie 80 un peu moins marquante. Avec le film La Rue en 1987, il prouve qu’il n’a rien perdu de son acuité à ausculter un environnement et son époque.
Dans Street Smart (titre en VO), on suit un journaliste (Jonathan Fisher – Christopher Reeve) en quête d’un sujet fort, qui va être amené à inventer de toutes pièces un reportage sur un proxénète, dans les quartiers chauds de Times Square à New York. Problème, l’article est un tel succès que cette popularité soudaine le place dans une position très inconfortable. Le voilà prix dans un étau : son boss souhaite rencontrer son (faux) interlocuteur, tandis qu’un véritable maquereau inquiété par la justice (Fast Black – Morgan Freeman) se reconnaît dans l’article et fait pression sur lui. Dans sa quête effréné du succès et de la popularité, le personnage brise les barrières de la morale. Voilà un bel aperçu des pires travers des années Reagan, que Jerry Schatzberg expose dans le cadre d’un environnement urbain figurant les rues de New York, bien que tourné en grande partie à Montréal. Jonathan Fisher se retrouve embarqué dans une spirale le faisant côtoyer d’un côté les exactions et actes de violence de Fast Black au sein d’un milieu de la prostitution présenté sous sa face la moins flatteuse, autant que les fastueuses soirées de débauche de la bourgeoisie new yorkaise organisées par son patron de journal. Si la charge à l’encontre de la presse à sensation est directe et virulente, Fisher n’hésitant pas à tordre la réalité pour vendre des journaux et asseoir sa notoriété, La Rue renvoie plus globalement un reflet peu reluisant d’une époque où règne sans partage le culte de l’image et du succès, où la performance et la réussite sont les maîtres-mots. Ce personnage principal qu’il ne prend jamais avec des pincettes, l’exposant sous ses pires aspects d’arriviste, capable de tromper son monde en permanence, de tout sacrifier pour réussir, que ce soit sa morale, sa compagne, fermant les yeux sur les activités répréhensibles et violentes de Fast Black, qui constitue à ses yeux une véritable poule aux œufs d’or.


American Journalist
De fait, ce rôle arrive à point nommé et convient tout à fait à un Christopher Reeve en pleine respiration entre Superman 3 et 4, alors que le comédien aspire à évoluer dans d’autres univers et vers des rôles plus variés et moins stéréotypés que celui du super-héros qui l’a propulsé au premier plan et dont il souhaite quelque peu casser l’image. Excellent de bout en bout, Reeve y montre une certaine aisance à manier la nuance et la subtilité. Face à lui, un Morgan Freeman tout jeune, et juste sorti d’une flopée de seconds rôles, y trouve ici matière à un personnage là aussi complexe, basculant de l’ordure à l’empathie en un claquement de doigt, un tremplin idéal vers les sommets qu’on lui connaît ensuite dans sa carrière. Il sera d’ailleurs nominé à l’Oscar du meilleur acteur pour sa prestation. Deux contre-emplois marquants qui bénéficient de toute évidence au projet de Schatzberg. Un film marquant également par le parrainage « insolite » à la production sous les auspices de la Cannon Group. Les inimitables nababs Yoram Globus et Menahem Golan y voient l’occasion en effet d’alimenter le volet « cinéma d’auteur » de leur boîte de prod, plus habituée aux films d’action téstostéronés et quelque peu décérébrés, comme la série des Amercian Ninja et autres Portés Disparus, qui donne ici la possibilité à Jerry Schatzberg de réaliser ce thriller urbain auteurisant entre un Over the Top et un Barbarians (comme ils le feront avec Jean-Luc Godard pour King Lear, la même année). On pourra souligner l’audace du duo d’offrir les moyens (limités) à un cinéaste comme Schatzberg de livrer ce film urbain aussi corrosif qu’esthétiquement soigné, qui rappelle que le cinéaste est l’un des tous meilleurs à avoir su capturer l’atmosphère new-yorkaise comme c’était le cas dans Panique à Needle Park.

LA RUE (Street Smart). De Jerry Schatzberg (USA/Canada – 1987).
Genre : Thriller/Drame.
Scénario : David Freeman.
Photographie : Adam Holender.
Interprétation : Christopher Reeve, Morgan Freeman, Kathy Baker, Mimi Rogers, Jay Patterson, Andre Gregory…
Musique : Robert Irving III.
Durée : 96 minutes.
Disponible en blu-ray chez BQHL Editions (22 octobre 2024).
Le blu-ray de BQHL EDITIONS. Le film profite d’une restauration qui offre une image nettoyée et très soignée, au piqué remarquable et dotée d’un grain très 80’s. Le look global du film marque clairement une époque révolue, et propose un aspect argentique du plus bel effet. Les contrastes sont bien gérés et le niveau de détail foisonnant avec des couleurs vigoureuses. Les deux pistes sonores en anglais et français DTS HD Master Audio 2.0 ne sont pas les plus tonitruantes constatées ces derniers temps. Elles font cependant remarquablement le travail demandé, équilibrées et sans aucun défaut constaté. Le confort d’écoute est bien présent, même s’il ne faut pas s’attendre à une sensation d’immersion par le son. Si on préfère évidemment la version originale, il faut noter cependant un doublage français avec des voix typiques des années 80, ce qui peut avoir son charme…
Côté bonus, BQHL Editions donne la parole au journaliste ciné Samuel Blumenfeld, pour un exposé assez intéressant sur le film, le réalisateur, et un focus sur les comédiens. Il n’oublie pas d’aborder l’angle de la production avec l’incongruité de la Cannon aux manettes. De quoi nourrir un module enrichissant même si un peu répétitif par instants.

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