Lino Brocka fût l’un des cinéastes pivots de la nouvelle vague philippine, aux côtés, par exemple, d’un Mike de Leon (l’excellent Kisapmata et une ribambelle d’œuvres passionnantes). Brocka, surtout connu pour Bona (très récemment restauré et passé à l’Étrange Festival en 2024) et le surprenant rape and revenge Insiang, offrait en 1982 une œuvre complexe du nom évocateur de Caïn et Abel. Lequel nous raconte la confrontation entre deux frères, l’un favori de la matriarche, Ellis, parti faire ses études à la ville, et l’autre, Lorenzo, discriminé malgré tous ses efforts pour être le fils modèle en vivant dans la ferme familial et en apportant tout son soutien à sa mère. Un jour, Ellis revient au domicile, avec l’intention de reprendre la ferme mais son frère ne se taira pas cette fois-ci…

Pas de la broque !
Relecture du premier meurtre biblique dans les Philippines des années 80, ce sobrement et clairement intitulé Caïn et Abel offre une profondeur superbe, développant beaucoup d’aspects de son drame sans pour autant se perdre dans un trop-plein thématique boursoufflé et où, en finalité, tout le monde perdrait au change. Brocka et son scénariste Ricardo Lee (qui s’était occupé de Silip d’Elwood Perez, dont nous vous parlions brièvement ici) est, a contrario et de manière inattendue, aussi minimaliste que possible. Pourtant, la surenchère n’est jamais loin, notamment lorsque l’ensemble s’aventure dans le film d’action. Mais, avec l’équilibre que s’octroyait le cinéma asiatique de l’époque, Brocka dessine des personnages légèrement détestables mais auxquels nous sommes attachés tant le conditionnement qui leur a été donné par la matriarche les brise en finalité autant l’un que l’autre. Ici, pas de gentil et de méchant comme l’image que l’on a du désormais mythe biblique, mais bel et bien deux âmes brisées qui croient être en pleine possession de leurs moyens mais où tout est en réalité décidé à l’avance. Un très grand récit de guerre froide où, en tant que spectateurs, nous arrivons au moment où les armes sont prises et que tout bascule. Aussi, l’on pourrait s’attendre à une reprise tragique du récit original mais ce parti pris assez classique (sans aucune critique !) n’est jamais pris pour laisser place à un métrage plus sage mais loin de rester sur ses appuis. En conclusion, un très grand film, à l’éclairage toutefois étrange, cela étant dû à une copie abîmée qui, malgré tous les efforts du laboratoire Central Digital Lab à Manille, qui s’est occupé de la restauration, demeure dégradée.

CAÏN ET ABEL (Cain at Abel). De Lino Brocka (Philippines – 1982).
Genre : Drame, Thriller, Action.
Scénario : Ricardo Lee.
Photographie : Conrado Baltazar.
Interprétation : Christopher de Leon, Philipp Salvador, Carmi Martin, Cecille Castillo…
Musique : Max Jocson.
Durée : 109 minutes.
Disponible en Blu-Ray chez Carlotta Films.

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