Rarement on aura vu un film français aussi directement et purement imprégné du cinéma de genre et des influences dans lesquelles il s’inscrit. Gros four à sa sortie en salles en 1986, MORT UN DIMANCHE DE PLUIE de Joël Santoni a-t-il payé cette greffe rare et donc surprenante dans la cinématographie hexagonale ? Difficile à dire. Le fait est que ce thriller dépressif au casting à la fois impressionnant et très surprenant, lorgnant du côté du Giallo et du film d’horreur, proposait une expérience peu banale et pour le moins éprouvante à un public francophone un peu pris par surprise à l’époque. L’histoire, adaptée d’un roman de l’Anglaise Joan Aiken, suit David Briand, un architecte qui vit avec sa femme Élaine et leur fille, surnommée Cric, isolés du monde dans une vaste construction de style moderne au sein d’un hameau près de la frontière suisse. Un jour, David rencontre Cappy Bronsky, qui, par le passé, a travaillé pour lui sur un chantier à Nogent. Un grave accident l’ayant lourdement handicapé, le laissant boiteux et affublé d’un bras mécanique, Bronsky fait comprendre à David que ce dernier a une dette envers lui. L’architecte l’engage alors comme jardinier et emploie sa femme Hazel comme baby-sitter. Très vite, l’intrusion du couple Bronsky chez les Briand vire au cauchemar.

On ne peut nier que MORT UN DIMANCHE DE PLUIE débute sous des auspices assez inquiétants… Pour les mauvaises raisons. Après une première scène voyeuriste « giallesque » au possible, la présentation du couple et de ses turpitudes bourgeoises sent la performance théâtrale à plein nez. Nicole Garcia (PÉRIL EN LA DEMEURE) déclame son texte de manière extrêmement maniérée, tandis que Jean-Pierre Bacri (L’ÉTÉ EN PENTE DOUCE) joue quant à lui une partition ronchonnante qu’on lui connaît bien, mais dont le naturel fonctionne bizarrement à plein régime, contrebalance le phrasé ampoulé de sa partenaire à l’écran et parvient à ancrer le récit dans une forme réaliste nécessaire à l’adhésion du spectateur. Ce déséquilibre s’évapore heureusement par la suite. Le film de Joël Santoni (LES ŒUFS BROUILLÉS, mais aussi la série UNE FAMILLE FORMIDABLE, gloups !) procède par petites touches décalées, bien que pas toujours très subtiles, qui laissent un sentiment d’étrangeté, de bizarrerie, alors que le malaise contamine progressivement le récit. Principalement par le biais du couple formé par Jean-Pierre Bisson (LUNE FROIDE) et Dominique Lavanant (KAMIKAZE), duo de personnages cabossés, présentés comme des marginaux en qui se dissimule une forme de menace. La bascule du film précipite la descente aux enfers du couple formé par David et Élaine. La cruauté déployée notamment par le personnage campé par Dominique Lavanant, de manière pas toujours très subtile il faut le reconnaître, n’épargne personne, et surtout pas la fillette, Cric. De fait, il faut être solidement armé ou en tout cas connaître la teneur du dispositif qui se met doucement en place pour « apprécier » ce qui s’apparente à un film de torture visant principalement la jeune protagoniste. Joël Santoni fait le choix assumé mais qui pose question d’un jusqu’au boutisme dans sa représentation de la maltraitance infligée à la fillette. Menacée, droguée, violentée, elle encaisse les injonctions et coups jusqu’à une scène choc en particulier, qui marque les esprits et ne trouverait très certainement pas sa place dans un film aujourd’hui.

Dérapage musical et malaise généralisé
Film bancal, assez peu aimable, MORT UN DIMANCHE DE PLUIE ne se départit pas non plus de choix artistiques qui posent question. Le score de Vladimir Cosma témoigne d’une époque où la musique de film, lorgnant vers la pop assez dégueulasse, n’était pas toujours heureuse. Comme si cet ancrage musical dans son jus ne suffisait pas, Santoni et son scénariste Philippe Setbon décident d’en faire un élément intra diégétique, le personnage d’Elaine évoluant dans la production musicale, légitimant ainsi de longues (mais très longues) et insupportables scènes d’enregistrement en studio, dont le malaise transpire jusqu’à la prestation de Nicole Garcia.
Le réalisateur fait longuement monter la tension, laissant infuser son malaise par petites touches insidieuses, avant un dernier tiers qui plonge dans une forme de cinéma horrifique lui aussi assumé pleine balle, à grand renfort de meurtres et de cadavres graphiques. C’est à louer, même s’il faut également se frotter à des scènes plus dérangeantes, et donc peu habituelles, qui plus est dans un cinéma français mettant en scène Bacri, Garcia ou encore Lavanant. Rien que pour cela, MORT UN DIMANCHE DE PLUIE mérite qu’on s’attarde sur son cas, et ce, en dépit de quelques défauts de fabrication, hérités d’une production hexagonale ici pervertie de l’intérieur. Joël Santoni paye son dû à ses influences et confère à son film une identité hors des sentiers battus, le geste d’un réalisateur décidé à faire bouger les lignes. Et malgré quelques errements, le résultat n’a pas à en rougir.

MORT UN DIMANCHE DE PLUIE. De Joël Santoni (France/Suisse – 1986).
Genre : Thriller. Scénario : Joël Santoni et Philippe Setbon, d’après le roman de Joan Aiken. Photographie : Jean Boffety. Interprétation : Nicole Garcia, Jean-Pierre Bacri, Jean-Pierre Bisson, Dominique Lavanant, Cerise Leclerc, Céline Vauge, Étienne Chicot… Musique : Vladimir Cosma. Durée : 109 minutes.
Distribué par LE CHAT QUI FUME (1er octobre 2025).
Le Blu-ray du CHAT QUI FUME
Par delà l’événement que constitue cette édition du film, dans sa version intégrale présentée dans son format 2.35:1 pour la première fois en HD, on dispose ici d’un rendu image tout bonnement remarquable, puisque les détails et la précision des éléments graphiques bénéficient d’un écrin assez inédit, grâce au travail de restauration effectué sur le négatif original. Les couleurs vives (notamment le rouge), assez rares, ressortent de manière spectaculaire de cette image évoquant avec gourmandise le grain argentique et la grisaille. Moins spectaculaire, les pistes françaises proposées à la fois en DTS-HD MA 2.0 Stéréo et en 5.1 s’avèrent assez minimalistes mais pas pour autant en retrait. Les effets mettent immédiatement dans l’ambiance pesante du récit, les dialogues demeurent parfaitement restitués.
Côté suppléments, deux modules tendent le micro au scénariste Philippe Setbon qui évoque sa profession et sa carrière dans le premier et son implication dans le film dans un second temps. Avec une franchise rare, Setbon parle de sa relation de travail avec le réalisateur Joël Santoni, et même de ses désaccords avec lui, et donne son avis sans langue de bois sur le film, avec quarante ans de recul, en particulier concernant LA scène choc du film, qu’il n’aurait probablement pas abordé de la même manière.


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