A la tête d’une filmographie aujourd’hui respectable et respectée, le trublion Álex de la Iglesia signait pourtant en 1993 Action Mutante, un premier long-métrage assez mal élevé, complètement barré, associant science-fiction, comédie noire et gore dans un déluge d’effets. Une œuvre assez incroyable et précieuse, bien qu’imparfaite, ne manquant pas d’ambition, qui plus est produite par les frères Agustín et Pedro Almodóvar. Une véritable rampe de lancement pour de la Iglesia qui ne choisit pourtant pas la facilité en plaçant son intrigue en 2012, futur plus qu’hypothétique à l’époque, dans lequel les marginaux sont mis de côté, voire exclus. C’est dans ce contexte tendu, où la lutte des classes fait rage, qu’un groupuscule de terroristes à la petite semaine, tous handicapés à des degrés divers, projette d’enlever Patricia Orujo, la fille d’un riche industriel. Menés par Ramon Yarritu, leur emblématique leader, cette bande de pieds nickelés de l’espace se met en route pour la planète Axturias après leur méfait, afin de récolter la rançon attendue contre la captive, moins docile qu’elle en a l’air…

Star Wars sous acide

Dans Action Mutante, le gore le dispute à l’humour très noir. Rien que les personnages, avec leur caractérisation à la serpe, portent en eux un potentiel comique assez énorme et plutôt hardi, envoyant valdinguer les conventions. Entre le bossu, le colosse demeuré sur les bords, le cul de jatte kamikaze dans sa mini soucoupe, mais surtout les siamois Alex et Juan, campés par Álex Angulo (Le Labyrinthe de Pan) et Juan Viadas, on a une belle palette de protagonistes hauts-en-couleurs. Le film partage un véritable amour pour ses freaks, ses éclatés de la société, sans pour autant leur donner nécessairement le beau rôle. Ces combattants des marges, qui s’élèvent contre la bien-pensance, la bourgeoisie politiquement correct, les apparences ripolinées de la haute société, constituent une bande de pirates de l’espace dans la plus pure tradition, comme des cousins éloignés d’Han Solo qui auraient violemment vrillé et qui n’auraient aucun scrupule à massacrer tous les invités d’un mariage pour arriver à leurs fins, quitte à se trahir les uns les autres. D’ailleurs, la parenté avec Star Wars saute aux yeux, et Action Mutante peut apparaître comme une version complètement déglinguée de la franchise créée par Georges Lucas. Sous cette crasse et cette vulgarité assumées, cette gaudriole permanente, Action Mutante décrit pourtant, en creux, une histoire d’amour naissante qui ne trouvera pourtant jamais réellement de concrétisation dans un univers décidément impitoyable.

De la Iglesia prend un main plaisir à suivre ces personnages cabossés et s’en donne à cœur joie au niveau de sa mise en scène, en bon fanboy geek qu’il est, avec ses cadrages alambiqués, ses expérimentations formelles qui témoignent d’une envie de cinéma sincère, bien que pas toujours canalisée. La direction artistique est assez dingue pour un budget relativement modeste, les idées graphiques pullulent dans cette sorte de brouillon de cinéma décomplexé. Une créature « le chat » aussi vorace que dégueulasse symbolise bien l’approche du réalisateur, qui ne lésine pas sur les effets, même grossiers, mais emprunts d’une boulimie filmique. Même si c’est assez bordélique car trop foisonnant par moments, Action Mutante se perd un peu dans sa propre générosité, mais c’est un sacré coup de pied dans la bienséance du cinéma espagnol et européen, une comédie satirique et hystérique qui, ultime pied de nez, remporta trois Goyas en 1993.

Note : 3.5 sur 5.

ACTION MUTANTE (Acción mutante). De Álex de la Iglesia (Espagne/France – 1993).
Genre : Science-fiction/comédie/horreur. Scénario : Jorge Guerricaechevarría et Álex de la Iglesia. Photographie : Carles Gusi. Interprétation : Antonio Resines, Álex Angulo, Frédérique Feder, Juan Viadas, Karra Elejalde, Saturnino García, Fernando Guillén, Rossy de Palma, Féodor Atkine… Musique : Def Con Dos. Durée : 93 minutes. Distribué par Le Chat qui Fume (30 juin 2024).

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