

Parmi les cinéastes italiens au geste engagé et quelque peu passés sous les radars aujourd’hui, figure Luigi Zampa qui, tout au long d’une filmographie conséquente qui s’étale des années 40 à la fin des années 70, a su constituer une œuvre multiple et aux tonalités variées. Explorant des genres très différents, voire les mariant au sein d’un même film, il s’est constitué une réputation de cinéaste politique, dont les réalisations sont marquées par une forme d’inquiétude liée à leur époque. C’est notamment le cas avec Les Maîtres, sorti en 1975 et qui constitue le deuxième opus d’une sorte de trilogie consacrée à la corruption et à la mafia. L’intrigue s’y implante dans une petite localité au cœur de la Sicile, où est mutée Elena, une jeune enseignante. L’étrangère est accueillie comme il se doit par certains éminents représentants du village, quand certains autres se rendent coupables de comportements agressifs, violents ou déplacés envers elle. Détail notable, ses agresseurs finissent tous par mourir mystérieusement, abandonnés aux yeux de tous dans des postures pour le moins étranges. A la fois drame et thriller, Les Maîtres est l’adaptation d’un roman de Giuseppe Fava, et dénonce les agissements de la Cosa Nostra, la loi du silence et la corruption. Le petit village, baignant sous un soleil de plomb, semble être un havre de paix autant qu’une destination touristique bienveillante. A première vue. Car très vite, l’institutrice va se heurter à un microcosme aux traditions très ancrées et aux penchants rétrogrades. Forte en personnalité, elle va s’éprendre d’un maître d’école (un Franco Nero tout en retenue) qui a fait le choix de rester neutre et imperméable aux pressions et aux enjeux politiques locaux. La différence entre les deux personnages est au cœur du film, tout comme l’étrange relation que la jeune femme entretient avec un notable de premier plan (James Mason), qui semble la protéger, mais dont les aspirations sont suspectes. Les Maîtres est parcouru d’images et de scènes étranges, mystérieuses, à commencer par ces cadavres retrouvés et affichés en place publique dans des postures oscillant entre le grotesque et l’inquiétant. Des corps remplacés par d’évidents mannequins, que le spectateur semble le seul à voir dans un élan de suspension d’incrédulité qui interroge. D’autant plus que le spectateur est placé du point de vue de la jeune femme et découvre en même temps qu’elle la singularité de l’endroit et le comportement de ses habitants, notamment quand ils se regroupent en cercle autour d’un cadavre, ou lorsqu’ils se lèvent comme un seul homme au passage de l’institutrice, comme hypnotisés par sa présence. Des moments un peu en suspension, assez peu démonstratifs mais instillant un semblant de malaise, à quelques encablures du cinéma de David Lynch. Porté par une partition magnifique d’Ennio Morricone et un casting solide dominé par Jennifer O’Neill (L’Emmurée vivante), le toujours impeccable Franco Nero (Journée noire pour un bélier) ou encore James Mason (La Mort aux trousses), Les Maîtres est, sans trop en dévoiler, un vaste jeu de manipulation, reflet d’une société sicilienne arc-boutée sur ses traditions. Une chouette curiosité à découvrir dans sa version intégrale grâce à l’éditeur Le Chat qui Fume.

LES MAÎTRES (Gente di rispetto). De Luigi Zampa (Italie – 1975).
Genre : Thriller/Drame. Scénario : Leonardo Benvenuti, Luigi Zampa et Piero De Bernardi. Directeur de la photographie : Ennio Guarnieri. Interprétation : Jennifer O’Neill, Franco Nero, James Mason, Aldo Giuffrè, Franco Fabrizi, Orazio Orlando, Claudio Gora… Musique : Ennio Morricone. Durée : 113 minutes. Disponible en Blu-ray chez Le Chat qui Fume (30 juin 2023).
Le Blu-ray du CHAT QUI FUME. Magnifique transfert doté d’une image qui ne souffre d’aucune imperfection notable, mais d’une finesse de détails et d’une variété de couleurs pêchues absolument satisfaisantes. La restauration a clairement fait son œuvre. Le son est traité en DTS Master Audio 2.0, autant en italien qu’en français, avec un doublage d’un niveau moyen, et une dynamique générale achevant de définitivement préférer la version originale.
Côté interactivité, « Une fleur à la bouche » est une conversation avec l’immense Franco Nero (22′) qui évoque le film, son tournage, mais aussi quelques anecdotes de sa carrière. Autre morceau de choix, une fin alternative française qui, au gré d’un montage quelque peu ajusté et de nouveaux plans, propose dans une qualité VHS logiquement assez médiocre, un point de vue différent du final, qui se veut pour le coup, plus optimiste que celui retenu dans le film.

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