Yorgos Lanthimos est un cinéaste grec qui a su prouver en une poignée de longs-métrages qu’il est un réalisateur de génie. Après ses deux premiers films My Best Friend et Kinetta, il arrivait à Cannes en 2009 avec l’impérial Canine, qui reste son meilleur film à ce jour, avant de réaliser un dernier film en Grèce, Alps, pour ensuite partir aux Etats-Unis en 2015 pour sortir trois films jusqu’en 2018 : The Lobster, Mise à Mort du Cerf Sacré et La Favorite. En septembre dernier, il présentait en première mondiale son Poor Things à Venise où il remportait le Lion d’Or. Depuis renommé Pauvres Créatures pour la France, ce nouveau long-métrage – adapté du livre éponyme d’Alasdair Gray – que nous attendions depuis quelques temps, nous raconte le récit de Victoria, une femme qui se donne la mort en se noyant. Ramenée à la vie par le Dr Godwin Baxter, son cerveau est remplacé par celui de son enfant à naître. Elle a désormais soif d’apprendre et veut découvrir le monde. Elle s’enfuit avec un avocat, Duncan Wedderburn et découvre le monde extérieur avec fascination sous son nouveau nom de Bella Baxter…

Sincèrement, le film est très clairement à la hauteur des attentes sur tous les points, déjà par la prestation de son actrice principale : Emma Stone. La comédienne, assez souvent médiocre dans ses rôles, réussit de façon exceptionnelle à diriger le récit avec ses airs de prime abord perdus et enfantins qui se dirigent vers des mimiques presque sévères mais surtout adultes. Elle réussit à parfaitement gérer chaque émotion sur son visage pour être aussi drôle qu’attendrissante à chaque séquence du film. Son personnage, Bella Baxter donc, est merveilleusement écrit, spécialement au niveau de son évolution de personnalité, étant donné qu’elle commence comme un nourrisson candide et termine comme une femme inspirante et prête à changer les choses et cela, en seulement 2h21, sans que cela ne paraisse jamais expéditif à aucun moment ; Lanthimos sachant parfaitement gérer son rythme et l’évolution quelque peu particulière de sa protagoniste. A travers elle, le cinéaste grec dépeint des thématiques captivantes, assez centrées sur la position de la femme dans notre société toujours très patriarcale car, de par le manque de « tact » de Bella, on questionne beaucoup de choses très pertinentes : la liberté sexuelle d’une femme, la domination masculine sur les femmes dans des cas très normalisés, etc. Mais aussi, dans des sujets avoisinants, Lanthimos aborde la notion d’espoir et de changements sociétaux avec une force narrative complète, la protagoniste étant très idéaliste et voulant faire changer les choses. Car même si la société dépeinte reste assez défectueuse, voire cruelle sur de nombreux points (l’arc avec Harry Astley, joué par l’excellent Jerrod Carmichael, est notamment assez pessimiste), le cinéaste grec laisse beaucoup d’espérances dans Pauvres Créatures. Au niveau de l’imagerie et de la direction artistique, les décors sont majestueux, aux airs intemporels et extravagants, tout comme les costumes de Holly Waddington, qui s’est occupée de leurs designs tout bonnement époustouflants. Ce qui est très intéressant sur ce point étant qu’habituellement, le cinéma de Lanthimos est très peu coloré, mais ici, il arrive à employer toutes sortes de teintes explosives tout en conservant toujours sa froideur caractéristique, même s’i ici ‘il semble s’humaniser de plus belle. C’est aussi avec son humour absurde et glaçant, le même que dans ses précédents travaux (même si, de nouveau, bien moins apathique), que le metteur en scène parvient à provoquer le rire, parfois avec des choses très bêtes (un homme qui fonce vers quelqu’un avant de tomber par terre) mais qui fonctionnent du feu de Dieu. En termes de photographie, le film utilise beaucoup de types d’objectifs, notamment un Nikkor 8 mm qui donne un effet « fish-eye » magnifique sur pas mal de plans, même si le reste du film utilise des plans plus « classiques » avec tout de même pléthores d’objectifs différents utilisés pour servir toute la beauté de l’œuvre.
En conclusion, Pauvres Créatures est un film extrêmement vaste avec un univers qui l’est tout autant, Yorgos Lanthimos prouvant une fois de plus qu’il est l’un des plus grands cinéastes de son époque dont l’on attend impatiemment le prochain film, déjà annoncé et même tourné, du nom de Kinds of Kindness (anciennement connu comme « AND »).

Note : 4.5 sur 5.

PAUVRES CREATURES (Poor Things). De Yorgos Lanthimos (Irlande, Royaume-Uni, USA – 2023).
Genre : Science-Fiction, Comédie, Drame. Scénario : Tony McNamara. Photographie : Robbie Ryan. Interprétation : Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Jerrod Carmichael… Musique : Jerskin Fendrix. Durée : 141 minutes. Distribué par The Walt Disney Company France (17 janvier 2024).

3 réponses à « [Critique] PAUVRES CREATURES de Yorgos Lanthimos »

  1. […] et noir Mise à Mort du Cerf Sacré, le drolatique La Favorite et l’immense claque visuelle Pauvres Créatures. Là où le cinéaste semblait s’être légèrement aseptisé – sans pour autant perdre […]

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  2. […] Le nouveau Lanthimos est peut-être l’un de ses plus accessibles. Il n’en est pas moins l’un des plus ludiques, enthousiasmants et excitants. Plastiquement somptueux, Pauvres Créatures est littéralement un film-monde, dont le discours acerbe sur l’émancipation féminine touche au plus juste, porté par des comédiens en état de grâce, et notamment une Emma Stone juste immense. (Notre critique). […]

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  3. […] Épopée visuelle des plus fantasmagoriques, Pauvres Créatures prouve encore, juste après Kinds of Kindness, que Yorgos Lanthimos est l’un des cinéastes les plus fameux de son époque. Aseptisé ? Peut-être, l’Amérique déteint sur le réalisateur qui offre pourtant une Emma Stone grandiose et un univers à la complexité folle, toujours avec ce décalage et ce goût du bizarre qui caractérise bien le Grec et un message qui sort les canines. (Notre critique). […]

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