
Il est l’incontournable spécialiste MAD MAX en France (dans le monde ?). Cela fait quelques années déjà que Melvin Zed porte la bonne parole de Max Rockatansky, raconte, décrypte, analyse la saga imaginée par George Miller et Byron Kennedy. Auteur du pavé Mad Max : Ultraviolence dans le cinéma – Partie 1, véritable bible de la franchise, pour le moment unilatéralement consacrée au premier opus, avant d’en publier les suites, Zed se livre sur son rapport au mythe, l’immense impact que la création de Miller a eu dans l’histoire du cinéma, la conception de son ouvrage référence et donne son sentiment sur FURIOSA, dernier opus de la saga à avoir déboulé avec fracas dans les salles…
Entretien réalisé au cinéma Lux de Caen, le 8 juin 2024.
Melvin, quel a été ton premier contact avec l’univers MAD MAX ?

J’ai six ans, je vais avec mes parents manger chez des amis à eux, et dans le salon : l’affiche en 120×160 du premier MAD MAX. Je ne sais pas ce que c’est du tout à l’époque. Je ne sais même pas qu’il s’agit d’un film, je vois juste une grosse explosion, une voiture qui m’arrive dessus et un mec en cuir avec un casque et un fusil dans les mains. Après, la sortie de MAD MAX 2, en 1982, j’ai 7 ans, et mon père part en stage à Toulouse. Il revient au bout d’une semaine et me dit : « j’ai vu un film, c’était mortel ! » Il me raconte et dans les années qui ont suivi, les copains de mon père étaient tous fans et j’ai donc grandi avec MAD MAX, un peu comme ORANGE MECANIQUE et d’autres films dont les adultes parlaient, mais qui étaient ultra-fascinant pour les gamins. Quand MAD MAX 3 est sorti, j’ai dix ans, et j’ai voulu aller le voir, et ma mère m’a dit : « non, c’est trop violent pour toi ». Il a fallu que j’attende 1987-88, le cinéma à côté de chez mes parents faisait une nuit MAD MAX. A l’époque, ce n’était que trois films, et c’est là que j’ai découvert les films, dans l’ordre, au cinéma, ce qui est une chance pour les gens de ma génération qui ont d’abord découvert le deux en VHS, puis le premier…
Voir MAD MAX au cinéma, c’est énorme. Si tu n’as pas vu MAD MAX au cinéma, tu n’as pas vraiment vu MAD MAX…
Melvin Zed
Quel est ton point de vue sur MAD MAX 3, le film le moins prisé de la saga…
C’est en effet le film le moins aimé, et c’est dommage car il est chouette au cinéma, l’image est magnifique. Quitte à revoir le film, il y a plein de défauts, on les connaît, mais si on les met de côté et qu’on prend le temps de s’intéresser aux choses réussies, il y a énormément à prendre. Il mériterait d’être redécouvert.

La première trilogie MAD MAX, ça représente quoi pour toi, dans l’histoire du cinéma ? Quelle est son influence ?
Clairement, la poursuite finale dans MAD MAX 2 a établi un maître-étalon, qui fait que n’importe quel film avec une poursuite, encore aujourd’hui, et même avec FURIOSA d’une certaine manière, sont vus à l’échelle de ce moment. Ce qui trahit l’importance du film à l’international. On est quand même sur du cinéma de niche, ce ne sont pas des blockbusters, mais MAD MAX 2, c’est le film préféré de tout un tas de réalisateurs : de Guillermo del Toro à James Cameron, en passant par Spielberg, Fincher… Tout le monde a été méga impressionné par MAD MAX 2 et quand FURY ROAD est arrivé, tout le monde a été scotché. Tout le monde, y compris les réalisateurs, ont vu un film réalisé par un Australien de 70 ans, et n’ont pas compris comment il avait fait (Rires). Après, il y a l’influence esthétique du post-apocalyptique qui, pendant des années, au cinéma et dans le jeu vidéo, va ressembler à ce que George Miller a fait dans MAD MAX 2, même si c’est un univers esthétique qui existait déjà avant : A BOY AND HIS DOG (APOCALYPSE 2024 de L. Q. Jones), THE ULTIMATE WARRIOS (NEW YORK NE REPOND PLUS de Robert Clouse), ce sont des films américains qui avaient déjà développé cet univers, mais MAD MAX 2 va le refaçonner et le consolider. C’est devenu dans l’inconscient collectif l’image du post-apo jusqu’à ce qu’il prenne un coup de vieux avec l’arrivée de LA ROUTE et CHILDREN OF MEN, qui vont montrer un monde post-apo plus réaliste, déprimant. Fini les punks qui hurlent avec des futs en cuir, le cul à l’air, on a des Rednecks avec des chemises à carreaux qui violent des enfants de huit ans… C’est une image plus réaliste, hyper désaturée, même THE WALKING DEAD, c’est dans cette veine esthétique…

Miller impose à nouveau sa vision esthétique avec FURY ROAD…
Quand Miller fait FURY ROAD, il fait un film ou le sable est orange, le ciel est bleu fluo, un film ultra coloré, pour réagir contre ça. Il reprend l’imagerie de MAD MAX 2 pour partir sur un terrain encore plus fantaisiste, plus METAL HURLANT dans l’esprit. FURIOSA, ça ressemble plus à l’univers de CONAN ou LE SEIGNEUR DES ANNEAUX que du premier MAD MAX. On est clairement dans la Fantasy.
Ce qui est frappant dans la saga, c’est l’évolution du personnage, du ton, qui change perpétuellement…
Quand Miller fait le premier MAD MAX, il part sur un film unique, il ne pense pas du tout en termes de franchise, il fait ça avec les moyens du bord, tourné dans la banlieue de Melbourne, dans des décors vaguement désertiques, vaguement dans le futur… Suite au succès prodigieux que remporte le film et la découverte de Joseph Campbell, avec sa théorie du monomythe, et à la puissance mythologique que pouvait représenter le personnage de Max dans le premier film, il se dit : je vais faire une adaptation de Campbell, je vais réutiliser mon personnage, on va mettre ça dans le désert car il fallait un territoire plus abstrait. Il demande à Norma Moriceau, la costumière des Sex Pistols, de s’occuper des costumes, et il crée un univers qui va devenir le maître-étalon de la saga. Dans l’inconscient collectif, MAD MAX c’est un ex-flic en cuir, dans une Interceptor noire, poursuivit dans le désert par des punks qui braillent. Ce sont les images d’Epinal du post-apo. C’est d’ailleurs repris dans les cinq premières minutes de FURY ROAD. Mais à partir du deuxième opus, le personnage de Max n’est plus celui du premier, c’est un personnage autrement plus négatif, nihiliste, psychopathe. A partir du deux, il est certes mutique, solitaire, mais il est sympa au fond, il aime les enfants, va aider la veuve et l’orphelin. Son cynisme est un peu plus pop, plus fantaisiste.

Quel a été l’impact de MAD MAX sur l’industrie du cinéma australien ?
Le premier MAD MAX, c’est une révolution. Le cinéma australien renaît au début des années 70, essaye de se développer avec la Nouvelle vague australienne, et à la fin des années 70, l’industrie s’est retrouvée dans une situation compliquée, les films ne marchaient pas assez. Il y avait bien MAD MAX ou PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK de Peter Weir qui ont bien fonctionné, mais ce sont des exceptions dans une industrie à la peine. Le succès du premier MAD MAX et la façon dont George Miller et Byron Kennedy ont produit le film, ça a servi de modèle pour un changement de loi pour la façon dont le gouvernement australien finançait l’industrie cinématographique. Ils ont changé à cause de succès de MAD MAX. C’est ce qui a engendré le cinéma australien des années 80, ce qu’on appelle aujourd’hui « l’Ozploitation ». Le succès de MAD MAX va ouvrir la porte à un pur cinéma d’exploitation qui va littéralement ruiner le cinéma australien, le résultat ne va pas être démentiel…
Comment t’es venue l’idée de te lancer dans cette entreprise de concevoir un livre sur cet univers ?
En 2008, un fanzine punk m’a demandé d’écrire un texte sur un film de mon choix. J’ai écris sur MAD MAX, parce que j’avais envie de donner mon point de vue sur le film. Généralement, on rapproche MAD MAX d’un truc à la DEATH WISH (UN JUSTICIER DANS LA VILLE de Michael Winner) avec Charles Bronson, l’histoire d’un gars qui vit une vie de famille tranquille, et d’un coup on tue sa famille, et il devient fou et va tuer tout le monde. MAD MAX, pour moi, ce n’est pas ça. C’est déjà un gars qui est psychopathe à la base, qui arrive à se tenir parce qu’il y a son pote motard qui représente un idéal de justice et sa femme qui représente une sorte d’espoir de vie en dehors de la route. A partir du moment où ces deux garde-fous disparaissent, il redevient le gars qu’il était dès le début. J’ai écris vingt pages là-dessus. Je me suis dit que si j’écrivais autant sur MAD MAX 2 et MAD MAX 3, je pourrais faire un petit fanzine. Et puis, en me lançant là-dessus, j’ai réalisé qu’avec toutes les archives que j’avais en ma possession, je pouvais faire un bouquin. J’ai commencé à accumuler des trucs, à faire des interviews et écrire. C’est hyper excitant de chercher des documents rares. En 2014, je suis parti en Australie une première fois, pour conclure mon travail. Quand je suis parti de là-bas au bout d’un mois et demi, j’ai réalisé que ce n’était pas la conclusion de mon truc, mais le début du travail sérieux. Il y avait énormément de choses à découvrir, notamment tout le contexte socio-culturel australien de l’époque. Je suis retourné en Australie, notamment pour faire des interviews, et pendant six-sept ans, ça a été une chouette aventure.
Du fanzine, je suis passé à un bouquin, qui est devenu de plus en plus gros, et après j’ai réalisé qu’un bouquin de 800 pages, c’était beaucoup trop. J’ai donc décidé de sortir trois bouquins de 300 pages.
Melvin Zed

Le premier volume est sorti en 2022, où en est la suite ?
Je ne suis pas pressé pour les faire. Je le fais pour faire plaisir aux fans et à moi-même. Ca prend du temps, il n’y a pas d’urgence. Le tome 2 enchaînera où s’arrête le précédent, à la sortie de MAD MAX et au succès inattendu pour Miller et Kennedy du film. Qu’est-ce qu’ils ont fait ensuite. Ils sont partis aux Etats-Unis, vont rencontrer Georges Lucas et Steven Spielberg qui vont leur introduire Joseph Campbell et ça va tout changer. Contrairement au premier tome qui commençait dans les années 60 et terminait en 1980, qui couvrait une longue période, le tome 2 ne couvrira que trois ans. Le tome 3 enchaînera à la sortie de MAD MAX 2 jusqu’à après MAD MAX 3, c’est quatre ans, mais il se passe beaucoup de choses… Ils seront en financement participatif. A partir, à priori, du mois de septembre 2024. Mais il faut que ça sorte, le temps passe quand même vite…

Quel est ton regard sur le dernier opus de la franchise : FURIOSA ?
Après avoir suivi la préproduction de FURIOSA pendant tant d’années, inutile de t’expliquer à quel point j’attendais la sortie du film. La première projection a été un peu délicate. D’un côté, j’ai dû faire abstraction du film que j’espérais ou que j’avais imaginé pour découvrir celui que Miller avait réalisé. Je m’attendais à beaucoup de choses, je pensais que le film allait avoir cette ambiance et prendre tel ou tel chemin et finalement je me suis fait surprendre ! Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit aussi violent et désespéré et qu’il entretienne une telle proximité avec le CONAN de Milius, allant jusqu’à le citer directement. La vengeance de Furiosa, et la façon dont elle culmine lors d’un climax extrêmement surprenant et inattendu, m’a emballé. Je trouve que le film enrichit énormément FURY ROAD, par l’exploration de ses décors, ou la multiplication des personnages qui le peuplent, bien sûr, mais surtout par la nature des motivations de Furiosa. Je trouve que ça rend le film de 2015 plus ambigu et désespéré qu’il n’était alors…
Pour moi, FURIOSA étend le territoire de FURY ROAD comme MAD MAX 3 l’avait fait avec MAD MAX 2.
Melvin Zed
Ainsi, les personnages et l’intérêt qu’on leur porte se dispute à l’intérêt qu’on porte à l’économie de ces terres désolées, son complexe militaro industriel, son lumpen prolétariat esclavagisé et ses guerres perpétuelles. Le film a un certain nombre de défauts, et un certain nombre de choses sont tout à fait discutables, il n’en reste pas moins qu’il s’agit, comme toujours chez Miller, d’une œuvre passionnante à voir, analyser et à travers laquelle on va se promener longtemps !
MAD MAX – ULTRAVIOLENCE DANS LE CINÉMA, PARTIE 1 de Melvin Zed, disponible sur le site des éditions Rififi.

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