Yorgos Lanthimos est le cinéaste grec le plus reconnu à l’international actuellement, notamment grâce à ses long-métrages, tous aussi bons et inclassables les uns que les autres, qui ont su, en quelques années à peine, le placer comme l’un des réalisateurs les plus importants du XXIe siècle. Après ses deux premiers métrages peu remarqués, My Best Friend et Kinetta (disponible sur Mubi), il parvenait jusqu’au Festival de Cannes en 2009 avec son meilleur film à ce jour, Canine, avant de réaliser un dernier long-métrage en Grèce, le plutôt simpliste voire médiocre Alps, pour ensuite se diriger au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pour y sortir quatre films : le surréaliste et passionnant The Lobster, le singulier et noir Mise à Mort du Cerf Sacré, le drolatique La Favorite et l’immense claque visuelle Pauvres Créatures. Là où le cinéaste semblait s’être légèrement aseptisé – sans pour autant perdre de son talent – avec les deux derniers, certainement pour se tailler une place aux Oscars, il nous revient avec Kinds of Kindness, son cinquième film en langue anglaise en moins de dix ans. Sans rien dévoiler du récit, nous savions à peine que le film serait divisé en trois histoires distinctes qui ne partagerons que les même équipes technique et casting. Mais ne divulgâchons pas plus, le film devant constituer une pure surprise pour le spectateur…

Une anomalie de plus

Tout d’abord, même s’il semble en apparence manquer assez clairement de fond, on ne peut qualifier, comme beaucoup l’on fait, ce Kinds of Kindness d’inutilement provocateur, mais plutôt comme aussi surprenant que détonnant dans la carrière de Lanthimos. On y retrouve quelques thématiques du cinéaste, le film semblant critiquer ardemment l’éternelle insatisfaction du monde moderne ou encore la perfidie infinie de l’Humanité, le réalisateur donnant dans la diatribe misanthropique singulière et pourtant assez commune, même si traitée différemment, de ses précédents travaux. La mise en scène retourne, après le coloré et complexe esthétiquement Pauvres Créatures, aux amours des plans millimétrés et quelques peu glacés, comme par exemple Mise À Mort du Cerf Sacré et Canine, qu’il approche dans sa radicalité constante. Mais, Kinds of Kindness est, comme chaque film du cinéaste, une anomalie, ne ressemblant à rien ou à peu d’autres, dans aucun de ses trois récits. Les dialogues sont aussi très absurdes et quelquefois acérés, comme toujours chez lui, arrivant à créer des situations d’un complet loufoque, chaque phrase sonnant étrangement bien malgré leur fort irréalisme. L’étrange est quelque chose de très ancré dans le métrage, avec ses histoires parfaitement inventives et funs, même si moins que d’habitude, Lanthimos ayant pour une fois du mal à faire rire avec tout son carcan absurde mais fait bien plus passer l’émotion en nous mettant en empathie avec ses personnages, arrivant à nous les rendre attachants dans leur misère nonsensique. Aussi, comme l’on pouvait s’y attendre, Kinds of Kindness tente beaucoup, il hasarde même, sans que jamais cela ne paraisse vain, notamment dans sa cruauté tellement présente qu’elle pourrait en devenir artificielle mais où Lanthimos dose parfaitement l’ensemble pour que cela n’arrive jamais. Et, que dire de ce casting suprême, que ce soit Emma Stone, tout bonnement surprenante et diamétralement opposée à ses propres performances – même chez Lanthimos – ou encore Jesse Plemons, lauréat du Prix d’Interprétation à Cannes pour le film, nettement plus classique dans sa performance, mais tout de même puissant.

En conclusion, Kinds of Kindness est plus qu’à la hauteur des attentes mais divisera inévitablement, Lanthimos offrant le film hollywoodien le plus hors des clous depuis bien longtemps, contrairement à son exceptionnel Pauvres Créatures. C’est une œuvre immense qu’offre le cinéaste grec qui n’aurait pas démérité pour un prix plus important que le Prix d’Interprétation Masculine, tel qu’un Grand Prix ou un Prix du Scénario. Information réjouissante, Yorgos Lanthimos prépare déjà son nouveau film, avec une sortie d’ores et déjà prévue pour 2025, qui sera un remake de la comédie de science-fiction coréenne Save The Green Planet (2003) de Jang Joon-hwan, où le cinéaste refera équipe avec Emma Stone et Jesse Plemons. Autant dire que la hype est présente, affaire à suivre…

Note : 4.5 sur 5.

KINDS OF KINDNESS. De Yorgos Lanthimos (USA, Irlande, Royaume-Uni – 2024).
Genre : Comédie absurde, Drame, Fantastique. Scénario : Yorgos Lanthimos, Efthymis Filippou. Photographie : Robbie Ryan. Interprétation : Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe, Margaret Qualley, Hong Chau, Mamoudou Athie… Musique : Jerskin Fendrix. Durée : 164 minutes. Distribué par The Walt Disney Company France (26 juin 2024).

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