Le cinéma lituanien est loin d’être le plus reconnu à l’international, car de facto peu représenté. Le cinéma de genre y est encore plus marginal, bien que proposant d’intéressants balbutiements. En 2022, le slasher We Might Hurt Each Other faisait sa petite sensation dans quelques festivals et Vesper proposait un petit renouveau dans la science-fiction européenne, là où l’année précédente était occupée par le polar The Generation of Evil, désormais sorti en VOD. Quelques films sont sortis dans les années 2010 : The Gambler, Vanishing Waves ou encore Anarchy Parlor, mais rien qui ne retint véritablement l’attention. Avant cela, autant dire que le genre est une chimère en Lituanie. L’an dernier, pourtant, le festival suisse de Locarno dédiait son Léopard d’Or (prix le plus élevé donc) à Toxic de Saulė Bliuvaitė. Le film suit Marija et Kristina, deux jeunes adolescentes rêvant d’échapper à la morosité de leur quartier qui se rencontrent dans une école de mannequinat locale. Les promesses d’une vie meilleure malgré la concurrence ardue, les poussent à brutaliser leur corps, à tout prix. L’amitié des deux adolescentes leur permettra-t-elle de s’en sortir indemnes ?

L’horreur du corps et de la perte de sens

Et oui, Toxic est un métrage extraordinairement profond, terrifiant sur d’innombrables aspects terriblement réels, alliant les horreurs sociales d’une jeune fille handicapée qui souhaite voir au-delà de ce dans quoi on l’a couvé toute sa vie et une autre, coincée dans un village où rien n’arrive, faisant tout son possible pour échapper à la ruralité lituanienne. Drame de personnages avant d’être un thriller – et, de facto, du cinéma de genre – Toxic se concentre sur le culte du physique, au travers des troubles du comportement alimentaire ou un fort oubli de soi. En cela, le film ne se situe jamais bien loin du body horror sous-entendu, par exemple, l’arc sur le ver solitaire, tétanisant mais qui ne montre jamais réellement, préférant être anxiogène grâce à de multiples atouts psychologiques. Et les protagonistes sont si consumées par leurs désirs de réussite qu’elles en oublient le sens : que deviendront-elles, au-delà de corps exploités par un système toujours plus vorace, à l’approche quasi-pédophile et où le culte de la maigreur se fait roi. Évacuons les banalités critiques : il y a une orchestration musicale pertinente et inquiétante et Vesta Matulytė excelle en premier rôle. Malgré tout, c’est aussi dans les choix des décors, bétonnés, quasi-brutalistes, que se « déploie » ironiquement le première long-métrage d’une réalisatrice de trente-et-un ans faisant déjà preuve d’une maestria subjuguante. Puisqu’ici, le monde est prison, les habitants sont froids, le tout semble enrober une dépression lente qu’un Aki Kaurismaki ayant arrêté la paroxétine n’aurait pas renié. C’est un cinéma indépendant nécessaire présenté ici, qui résonne au-delà des frontières baltes.

Note : 3.5 sur 5.

TOXIC (Akiplėša). De Saulė Bliuvaitė (Lituanie – 2024).
Genre : Drame, Thriller. Scénario : Saulė Bliuvaitė. Photographie : Vytautas Katkus. Interprétation : Vesta Matulytė, Ieva Rupeikaitė, Eglė Gabrėnaitė, Giedrius Savickas, Vilma Raubaitė… Musique : Gediminas Jakubka. Durée : 99 minutes. Film distribué par Les Alchimistes (16 avril 2025).

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