Orgie de matières, de sécrétions et de substances inconnues, Bliss de Joe Begos s’apparente à un long récit clippé, accompagnant une artiste dans un trip hallucinatoire dont elle ne sortira pas indemne. Et le spectateur non plus.

Avec Bliss, le réalisateur américain Joe Begos continue d’œuvrer au sein d’une filmographie résolument tournée vers le cinéma de genre. Science-fiction horrifique (Almost Human, The Mind’s Eye), action (VFW), slasher (Christmas Bloody Christmas). Jusqu’à ce Bliss, que l’on pourrait classer dans le drame horrifique. Des films inégaux, mais sincères, un beau panel pour un cinéaste franc du collier, qui ne fait généralement pas dans la dentelle. Sorti en 2019 mais visible par chez nous que très récemment, Bliss peut être vu comme un long cauchemar en quasi temps réel. A la recherche d’une inspiration qui la fuit pour achever une œuvre picturale de commande, la peintre Dezzy plonge dans les bas-fonds de Los Angeles, se bourre le pif d’une nouvelle et mystérieuse drogue surpuissante et débute une spirale de déchéance alliant drogue/sexe/violence, qui s’accompagne d’un retour à la créativité. Le film se ressent comme un trip halluciné, très tape-à l’œil dans sa forme, son rythme, son sound design. Un résultat au vernis too much qui pourra rebuter une partie des spectateurs. Mais qui saura sûrement séduire la frange souhaitant s’adonner corps et âmes à cet OVNI cinématographique. De fait, qu’on l’accepte ou non, Bliss est une grenade dégoupillée lancée à la face du spectateur, qui pourra s’en emparer pour la balancer le plus loin possible de son cortex cérébral ou la chérir avec passion pour embrasser toute la fulgurance de sa déflagration, tant pour le cœur que pour les sens.

Entre Noé, Aronofsky et Ferrara

Sorte de longue épopée sanglante et hypnotique, Bliss emprunte la forme casse-gueule du film clippé. Entre sa photographie à la fois sombre et bardée de trouées vives et primaires (couleurs rouge, bleu et vert omniprésentes) à base de néons, qui renvoient assez sérieusement vers le cinéma de Dario Argento ou Mario Bava, et ses scènes plus empreintes de lueurs crépusculaires, matériellement très granuleuses, comme issues d’un cinéma des 70’s, moins outrées mais somptueuses, Bliss propose une esthétique très travaillée et résolument baroque, doté par ailleurs d’un montage au scalpel assez remarquable. Le réalisateur emprunte à tour de bras, et ne cherche pas à s’en cacher. Il réemploie la « Snorricam » collée aux acteurs de Requiem for a Dream de Darren Aronofskypour un rendu assez similaire, passe une tête du côté du cinéma halluciné et organique de Gaspar Noé et d’Abel Ferrara, et s’engage même vers le Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, version sous acide et qui aurait très mal tourné. Joe Begos revisite ses influences, avec un scénario minimaliste, une expérience sensorielle avant tout, qui n’exclut pas les embardées gores la tête la première, particulièrement crues et gerbantes, excellemment représentées à l’écran. Le film est par ailleurs bardé d’un sound design aussi travaillé que l’image, porté par des riffs et morceaux de rock métal frénétiques.

Organique et viscéral

On y croise des trognes du cinéma bis comme le réalisateur et acteur Jeremy Gardner (The Battery), Graham Skipper, fidèle de Begos (Almost Human, The Mind’s Eye), George Wendt ou encore le massif Abraham Benrubi (Larry Kubiac dans Parker Lewis), qui poursuivra sa collaboration avec Joe Begos pour Christmas Bloody Christmas. Mais il faut s’arrêter un instant sur l’incroyable Dora Madison Burge, à l’implication démultipliée puisqu’elle est à la fois actrice principale et productrice du film, et se donne corps et âme dans le rôle de cette peintre hantée par la création et la réussite. Sa prestation totale, de tous les plans, n’est pas pour rien dans l’efficacité orgiaque du film. Elle épouse avec une harmonie furieuse la mise en scène baroque et ultra stylisée affirmée par le film. Entre exploration de la figure du cannibale et nouvelle itération du mythe du vampire, Joe Begos a compris que, bien que revisité à tort et à travers, le film de vampire devait être foncièrement organique et viscéral. Bliss est tout ça. Alors qu’il charrie tout un bagage thématique et formel résolument tape à l’œil, aux frontières nettes du mauvais goût, le film de Joe Begos parvient miraculeusement à faire de son exercice de style un tout cohérent, un film refermé sur lui-même et sur sa protagoniste principale, claustrophobique et suffocant, mais aux accents de violence exaltants. Si le symbolisme autour de l’accoutumance aux drogues dures n’est pas des plus subtil, Bliss s’avère cependant un film totalement galvanisant.

Note : 4 sur 5.

BLISS. De Joe Begos (USA – 2019).
Genre : Horreur.
Scénario : Joe Begos.
Photographie : Mike Testin.
Interprétation : Dora Madison Burge, Tru Collins, Rhys Wakefield, Jeremy Gardner…
Musique : Steve Moore.
Durée : 80 minutes.
Distribué en vidéo par Extralucid Films (26 mars 2025).

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