[Critique] THE THEATRE BIZARRE par collectif

Au rendez-vous du Grand Guignol...

Le film à sketch renaît de ses cendres. Alors qu’à une époque bénie, cette forme plébiscitée par les réalisateurs de films fantastiques fleurissait un peu partout sur les écrans, avec souvent des budgets confortables, Creepshow, La Quatrième dimension et autre Darkside, les contes de la nuit noire, le genre s’est peu à peu asséché pour resurgir ces dernières années sous forme d’anthologies à la télévision (Contes de la CrypteMasters of Horror, Fear Itself…) Cornaquée par des boites de production française, américaine et canadienne, dont le Metaluna Productions de Jean-Pierre Putters (le JPP de Mad Movies Himself !), The Theatre Bizarre renoue avec la tradition du « film omnibus ». Sept réalisateurs américains et canadiens se sont réunis pour proposer chacun un court récit horrifique, partageant les contraintes d’un budget serré et d’un planning de tournage restreint. En contrepartie, chacun pouvait donner libre court à son inspiration, encadrés par un dernier récit « fil rouge », reliant les différents segments. Le procédé du film à sketch retrouve là son principal défaut (mais en est-ce réellement un ?), qui est le manque de cohésion et d’unité de l’ensemble. Ce que l’on perd en continuité, on le gagne en variété, puisque tous les cinéastes engagés dans le projet The Theatre Bizarre proposent une approche bien personnelle du genre horrifique, avec un résultat qualitatif fluctuant d’une histoire à l’autre…

Economie de moyens (et de talents ?)

L’aspect « Grand Guignol » qui encadre l’ensemble du projet est le principal point commun partagé par les sept réalisateurs. Des débordements gore, du glauque et du malsain, The Theatre Bizarre en regorge. Le manque de moyens financiers marque aussi clairement chaque segment, même si d’un metteur en scène sur l’autre, cette économie de moyens est plus ou moins bénéfique. En clair, certains sketchs émergent nettement du lot, quand d’autres affichent une certaine médiocrité. Parmi les déceptions, le segment I Love You de Buddy Giovinazzo (No Way Home – 1996) apparaît clairement comme le plus faible du lot. Récit d’un couple qui se déchire, histoire de tromperie, ce court reste très léger et surtout beaucoup trop prévisible pour complètement convaincre, même si, dans sa conclusion, l’hémoglobine y coule à flot… The Mother of Toads n’est pas non plus le plus réussi des segments. Malheureusement… Car il signe le retour du très rare Richard Stanley (Hardware – 1990, Le souffle du démon – 1992). Si son histoire de possession sous influence lovecraftienne ne manque pas d’intérêt, elle souffre de maquillages un peu grossiers, et d’une durée finalement trop courte pour convaincre, malgré la présence de Catriona MacColl, l’inoubliable interprète des films de Lucio Fulci (L’Au-Delà – 1981). Déception donc… Déception également pour la proposition de Tom Savini. Dans Wet Dreams, le célèbre maquilleur (Zombie, Vendredi 13…) mais aussi metteur en scène (le remake de La Nuit des mort-vivants – 1990) et acteur (Une nuit en enfer – 1996) tente le pari du récit à tiroirs, où rêves et réalités se confondent, avant de se rejoindre dans un final bien craspec. Là encore, peu de surprise dans ce récit qui donne généreusement dans les effets sanguinolents, et qui a pour mérite de s’inscrire pleinement dans un esprit très « Contes de la crypte« . Sweets de David Gregory, plonge quant à lui véritablement le spectateur dans l’horreur vomitive, avec l’histoire de cette femme qui engraisse son conjoint pour ensuite le servir en pâture à une société secrète composée de cannibales bobos sur les bords. Malgré une mise en images soignée, Sweets peine à dépasser son statut de sous-Grande Bouffe, avec un final qui n’hésite pas dans la tripaille… Quant au fil rouge du film, mis en scène par Jérémy Kasten (The Wizard of gore – 2007), il marque la rétine par une atmosphère dans le milieu du spectacle lugubre à souhait, et surtout la composition d’Udo Kier, transformé en inquiétant automate.

Deux diamants noirs

Enfin, on arrive aux deux vraies réussites de cette anthologie. The Accident, tout d’abord, confirme tout le talent du Canadien Douglas Buck (Sisters – 2006). Celui-ci livre une nouvelle fois une vision glacée (et glaçante) de l’horreur au quotidien. Ici, le réalisateur de Family Portraits suit le point de vue d’une fillette qui, en voiture avec sa mère, assiste à l’accident d’un motard venant de percuter une bête sauvage. C’est à peu près tout pour l’intrigue, mais comme d’habitude avec Buck, l’atmosphère ouatée qui se dégage du segment, sa mise en scène élégante dominent principalement. A l’aide d’une voix off et de fondus enchaînés, s’appuyant également sur une musique planante, le Canadien propose une vision de la mort percutante et dérangeante, car enregistrée par les yeux d’une enfant. Un sketch qui tranche brutalement avec les précédents, délaissant volontairement l’horreur grand guignol pour un malaise latent, en apesanteur. C’est d’ailleurs ce qu’on pourrait reprocher au court de Douglas Buck : n’entretenir sur peu de rapport avec la thématique générale. Mais quel moment de cinéma !
Grand moment d’inspiration également pour Karim Hussain. Le réalisateur et directeur de la photographie (Territoire – 2010, Hobo with a shotgun – 2011), Canadien lui aussi, signe probablement le meilleur sketch du film. Original, inspiré, soulevant des questions et une thématique excitantes, mais également brillamment mis en scène, Vision Stains brille par sa pertinence au sein du programme. Le récit d’une jeune femme qui poursuit et tue des femmes désoeuvrées, évoluant dans la rue, afin d’extraire et de s’approprier leurs souvenirs, à l’aide d’une seringue qu’elle plante dans leurs yeux. Un pitch terriblement prometteur, et qui tient toutes ses promesses, avec une mise en image brutale, forcément repoussante avec ses gros plans d’aiguilles dans les yeux, mais un véritable bout de pellicule horrifique réussit et qui porte The Theatre Bizarre vers le haut.
Au final, The Theatre Bizarre reste un projet sympathique par l’honnêteté de sa conception et de sa finalisation. Cette coproduction franco-américano-canadienne bénéficie d’un capitale sympathie indéniable, de par son approche clairement respectueuse et premier degré du genre qu’elle illustre. Si la qualité des sketchs est, au final, très inégale, rien que les deux segments de Karim Hussain et Douglas Buck méritent la vision de l’ensemble.


THE THEATRE BIZARRE
Richard Stanley, Buddy Giovinazzo, Douglas Buck, Tom Savini, Karim Hussain, David Gregory et Jeremy Kasten (USA/France/Canada – 2012)

Note : 2.5Genre Anthologie horrifique – Interprétation Udo Kier, Virginia Newcomb, Catrinoa MacColl… – Musique Simon Boswell, Susan Dibona, Pierre Marchand, Mark Raskin – Durée 114 minutes.

L’histoire : THE MOTHER OF TOADS : En France, un couple de vacanciers rencontre une sorcière qui prétend posséder une copie du Necronomicon. I LOVE YOU : Une femme annonce à son mari qu’elle le quitte. THE ACCIDENT : Une mère et sa fille sont témoins d’un accident de la route.  WET DREAMS : Une femme blessée se venge de son mari infidèle. VISION STAINS : Une tueuse en série extrait les souvenirs de ses victimes à l’aide d’une seringue. SWEETS : Un couple obsédé par la bouffe consume son amour.  THEATRE GUIGNOL : Une salle de cinéma se transforme en véritable théâtre de pantins sous l’égide d’un automate.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

5 Comments on [Critique] THE THEATRE BIZARRE par collectif

  1. Je ne partage pas ton avis. Le Tom Savini est mon »second best » favori, juste derrière le magnifique Douglas Buck (en effet !)… Et j’adore le Richard Stanley aussi.
    Et je te trouve bien dur avec I love you qui est plutôt très réussi à mon avis, même si légèrement plus faible que les trois autres.
    En réalité, j’ai beaucoup plus de mal avec le fil rouge.
    Heureusement qu’il y a Udo Kier, sans quoi…
    Et Sweats, là, on est d’accord, ça ne pisse pas très loin mis à part de viser l’écœurement du spectateur (sans y arriver).
    La Grande bouffe en effet avait plus de sens et de panache que ce machin beaucoup trop stylisé pour être honnête…
    Ceci dit, la direction artistique est super soignée dans tous les segments malgré la maigreur du budget et l’ensemble mérite vraiment d’être salué !
    Et dans Sweats, j’adore le taf de Charlie Le Mindu sur les perruques !

    Après l’excellent V.H.S. et en attendant (avec beaucoup d’impatience) The ABCs of death, la renaissance du genre est largement convaincante, je trouve…

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  2. J’ai aimé l’ambition du Savini, et je pense qu’il aurait mérité meilleur développement…. Le cadre du sketch est du coup un peu étriqué, c’est dommage… Mais en même temps, son aspect « grand guignol » associé à son côté « Contes de la crypte » sont pile poil dans le thème en effet !
    Et je suis d’accord avec toi sur le fil rouge, qui n’apporte finalement pas grand chose, est très répétitif, malgré son ambiance assez réussie.
    Mais à bien y réfléchir, ce film à sketchs vaut bien mieux que certains de ses prédécesseurs (au hasard : « Scream show »… avec Papy Romero). Il est d’une intégrité inattaquable !

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  3. ne cherche même pas, c’est tellement mauvais… 😦
    mais si ta curiosité est sans limite : http://freneticarts.com/rdvd/critique.php?ID=1350
    et tiens, c’est marrant, car dans ce film à sketchs, il y a un segment réalisé par Tom Savini, encore lui. Et c’est clairement le meilleur !

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  4. et oui, ça a été édité chez Seven Sept…

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  1. [Critique] GERMAN ANGST de Jörg Buttgereit, Andreas Marschall et Michal Kosakowski – Obsession B

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