[Interview] DE CHAIR ET DE SANG par Arnaud Bordas
L'horreur aux mille visages
C’est ce vendredi 15 novembre 2013 que débarque dans les librairies le livre De Chair et de Sang – Les plus grandes figures du cinéma d’horreur par Arnaud Bordas. L’ancien journaliste de Mad Movies, aujourd’hui critique sur le site Capture Mag et au Figaro Magazine, a compilé 50 figures du cinéma horrifique au sein de cet imposant ouvrage, préfacé par Alexandre Aja (Haute Tension, La Colline a des yeux). Suivant une chronologie qui couvre la période de 1960 jusqu’à nos jours, l’auteur livre sa vision d’un cinéma qui a gagné en maturité ces cinquante dernières années, et, au travers de personnages aussi marquants que Freddy Krueger, Jason Voorhees, Michael Myers, mais également Pinhead, Captain Spaulding, Herbert West ou encore le Creeper… propose un tour d’horizon des grands courants qui ont traversé le genre. Et qui de mieux placé que l’auteur lui-même pour nous présenter cet ouvrage dégoulinant de sang, qui ravira les amateurs du genre et les collectionneurs…
Arnaud, comment est né le projet « De Chair et de sang » ?
Arnaud Bordas : C’est une commande. Cela faisait quelques années déjà que je connaissais Rodolphe Lachat, qui est mon éditeur et le patron des éditions « Huginn et Muninn ». On s’est connu par un ami commun et on avait bossé ensemble sur des projets qui n’avaient pas abouti. Lors d’une discussion qu’il a eu avec un libraire parisien à Album (ndlr. Spécialisé dans les comics, les livres de cinéma…), ils se sont dit que c’était dommage qu’il n’y ait pas beaucoup de beau livre sur les films d’horreur. Comme Rodolphe est spécialisé dans les beaux livres et sur les sujets comme le cinéma, les comics, les illustrations… Il s’est dit dit qu’il en ferait un. Il m’a fait part de cette discussion, eu égard à mon passif, j’avais été journaliste à Mad Movies, j’avais écris un scénario de film d’horreur (ndlr. La Horde de Yannick Dahan et Benjamin Rocher), et m’a demandé si cela m’intéressait de faire un bouquin là dessus, j’ai répondu : « sans problème ! ».
Le concept des grandes figures du cinéma d’horreur s’est-il imposé de lui-même ?
C’est Rodolphe qui a apporté le concept. Il souhaitait que l’on fasse les plus grands méchants du cinéma d’horreur. Du coup, 50 me paraissaient raisonnable, l’idée étant de consacrer 50 chapitres au sujet. Et il m’a dit : débrouille-toi avec ça ! (rires). Je suis parti là-dessus, on a commencé à délimiter la chronologie du livre, on a écarté direct le concept du classement, car en sélectionner 50, c’est déjà compliqué, et on me dira : pourquoi il n’y a pas celui-là… ou celui-ci… Je me suis d’ailleurs expliqué dans l’introduction sur la manière de procéder. On s’est dit que le meilleur truc à faire c’est de procéder de manière chronologique. J’ai décidé de consacrer des chapitres plus ou moins grands suivant l’importance historique de chaque personnage, il y a des chapitres de deux pages, d’autres de quatre pages et d’autres dix pages. J’avais les coudées franches pour personnaliser la chose et dire ce que je pensais sur chaque personnage. Par exemple, pour le Maniac Cop de William Lustig, je n’ai consacré que deux pages car même si c’est une saga de trois épisodes et que c’est un fleuron de la série B américaine des années 80, historiquement, le personnage était moins important que le « Ghost face » de Scream par exemple.

Le « Ghost Face » de SCREAM réalisé par Wes Craven, un film (et une série) qui a marqué les années 90 et laissé de douloureuses séquelles au genre…
Scream a été important dans l’histoire du genre car il est très représentatif de son époque et a engendré toute une série d’ersatz par la suite. Ça ne m’a pas empêché de dire sur deux pages à quel point j’adorais le Maniac Cop et sur Scream, pourquoi c’est un film qui avait fait beaucoup de mal au genre en générant un courant qui prenait le genre à la rigolade. J’avais une volonté de dresser un panorama des cinquante dernières années. Il y a des films que j’encense, comme Maniac Cop, L’Exorciste, Halloween, et d’autres beaucoup moins comme la série des Saw ou Scream. Ce qui ne m’empêche pas de célébrer un film comme Halloween de Carpenter au travers du personnage de Michael Myers, et de dire que le reste de la saga ne vaut pas grand chose.
Les grandes figures du cinéma d’horreur sont en grande partie ancrées dans les années 70, 80 et 90, et on constate une émergence nettement moins prononcée dans les années 2000, notamment à cause des vagues de remakes et autres suites à rallonges. Quel regard portes-tu sur l’évolution de ces boogeymen ?
Dans les années 2000, j’ai traité Jigsaw, le personnage de la série Saw, même si je n’en pense pas grand chose, mais ça me permettait d’aborder le « torture porn », un courant important de ces dernières années. J’en ai quand même trouvé quelques autres dans les années 2000. Le dernier c’est la créature du grenier dans REC, ça me permettait de mettre un film à la fois espagnol, et également un « found footage », qui est un autre genre à avoir marqué la décennie. J’aurais pu mettre le Projet Blair Witch, mais il n’y a pas de personnage clairement défini, alors que le but était de faire ressortir des personnalités marquantes. J’ai également évacué du livre tout ce qui relevait des indénombrables, à savoir les zombies, les cannibales du cinéma d’horreur italien des années 70, les piranhas… Mais pour répondre à ta question, car j’ai quand même un peu digressé là (rires)… Sur la dernière décennie j’en ai quand même trouvé, il y a une très grande figure, que j’adore, c’est le Creeper dans Jeepers Creepers…

Le Creeper (JEEPERS CREEPERS 1 et 2), sublime créature créée par le sulfureux Victor Salva, qui rompt avec une certaine tradition puritaine du boogeyman.
Le Creeper qui est, à mon sens, l’un des ultimes véritables boogeymen de ces dernières années…
C’est une création originale, Jeepers Creepers est un vrai film d’auteur car Victor Salva y a mis beaucoup de son vécu tendancieux. Il a été condamné pour attouchements sur mineur. Quand on regarde les deux films, le Creeper est un personnage qui rompt clairement avec la tradition un peu puritaine du croquemitaine. Freddy, Michael Myers, Jason sont des personnages qui, la plupart du temps, tuent des jeunes qui n’arrêtent pas de baiser et de se droguer… Celle qui s’en sort dans ces films, c’est la vierge, c’est Jamie Lee Curtis dans Halloween, elle qui est sérieuse et vierge. Le Creeper c’est clairement un monstre sexué qui jette son dévolu sur les adolescents mâles. Dans le premier, il renifle les sous-vêtements du héros, dans le deuxième, il y a une scène hallucinante où il regarde les jeunes garçons en léchant les fenêtres du bus et en les désignant un par un. C’est du jamais vu…
Le livre n’aborde pas les figures classiques du cinéma d’épouvante du style Dracula, Frankenstein… Pourquoi ?
Je m’en explique dans l’introduction du livre : pourquoi ça commence en 1960. Pour moi, mais c’est une définition purement subjective, le concept de film d’horreur au sens moderne du terme commence en 1960. Je pense que le vocable de film d’horreur est quelque chose d’assez récent. Avant ça, on parlait de films fantastiques et d’épouvante, c’était plus des contes gothiques nés de la littérature classique. Pour moi, le film d’horreur moderne est né avec Hitchcock, car à partir de là, on ne se contente plus de faire peur au spectateur, mais on le dégoûte, on le malmène, on le met mal à l’aise. A l’époque de Psychose, les spectateurs ont été totalement horrifiés de voir l’héroïne tuée au bout de quarante minutes de films. Ils ne s’y attendaient vraiment pas. Aujourd’hui, il y a une sorte de relation sado-maso consentante entre le spectateur, qui sait qu’il va passer un sale quart d’heure, et le réalisateur, qui est conscient de ça, et va chercher par tous les moyens à le déstabiliser. Avant, le film d’épouvante cherchait à faire peur, de manière plus classique. C’est pour ça que j’ai limité mon approche aux cinquante dernières années. On peut considérer que le personnage de Norman Bates est le premier boogeyman de l’histoire du cinéma.
La préface du livre est signée par Alexandre Aja. Comment s’est il associé au projet ?
J’avais décidé de mettre le personnage de Cécile de France dans Haute Tension dans le livre, dans un chapitre de deux pages. Je tenais à le faire car je voulais avoir un film d’horreur français de la dernière décennie. C’est Haute Tension qui a plus ou moins lancé ce courant important dans le cinéma d’horreur français de ces dernières années. Je me suis ensuite posé la question de qui je prenais pour la préface. J’étais en contact avec Larry Cohen, scénariste de Maniac Cop, réalisateur du Monstre est vivant, que j’avais dans le livre… J’ai également songé à William Lustig, réalisateur de Maniac Cop et surtout de Maniac. Et puis je me suis dit : pourquoi pas Alexandre Aja ? Il a accepté tout de suite, même s’il n’avait pas trop le temps. Mais il a pris ça très au sérieux, il m’a fait une belle préface avec une vraie réflexion sur le cinéma d’horreur. Ce qui est bien avec lui, c’est que c’est un Français qui a une réputation à l’internationale, et en plus d’être un réalisateur de films d’horreur, c’est un véritable fan du genre. C’était super agréable et à l’arrivée, je suis super content d’avoir son texte en ouverture du bouquin.
Si tu ne devais en sortir une seule, quelle est la figure du cinéma d’horreur qui t’a le plus marqué ?
On en a parlé un peu avec mon éditeur, par rapport au visuel de couverture du livre. On aurait pu faire un patchwork… Mais rapidement, je lui ai dit que le mieux serait de dégager une grande figure du genre, iconique. Du coup on a mis Michael Myers, ça me semblait un bon représentant, qui résume le genre. Déjà, Halloween, le film de Carpenter, est un chef d’oeuvre. Il a pour lui l’originalité de construire un monstre, un personnage mythologique uniquement par le biais de la mise en scène, il représente le mal à l’état pur. Pas un gars qui fait des blagues comme Freddy ou un gros bourrin comme Jason… Vraiment le mal construit par la présence dans le cadre, son masque blanc sans émotion sur lequel on peut projeter toutes nos peurs, un côté monolytique qui me paraissait impeccable pour la couverture. Après, il y a plusieurs personnages auxquels je suis particulièrement attaché : L’Exorciste. The Thing, un de mes films d’horreur préférés, l’un des plus beaux monstres de l’histoire du cinéma, qui n’a pas de forme précise et qui se retrouve évidemment dans le livre. J’aime beaucoup, et c’est encore Carpenter…
Propos recueillis par Nicolas Mouchel
De Chair et de Sang – Les plus grandes figures du cinéma d’horreur par Arnaud Bordas
216 pages. Paru aux éditions Huginn et Muninn. 39,95 euros.
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