[Be Kind Rewind] LA BÊTE TUE DE SANG-FROID d’Aldo Lado (1975)

Reconnu pour ses giallos d’exception Je Suis vivant ! (1971) et Qui l’a vu mourir ? (1972), le trop rare cinéaste italien Aldo Lado est également célébré pour un troisième film tout aussi marquant et réussi, une pierre angulaire du cinéma d’exploitation italien des années 70 : La Bête tue de sang-froid sorti en 1975. Basé sur une histoire très proche de celle de La Dernière maison sur la gauche, le film de Wes Craven étant sorti peu de temps auparavant en 1972, la sixième réalisation d’Aldo Lado s’inscrit dans la lignée des « Rape and Revenge », ces récits d’agression et de vengeance souvent crapoteux mais qui sont parfois touchés par la grâce cinématographique. On y suit deux étudiantes, Lisa et sa cousine Margaret, âgées de seize ans, qui se retrouvent piégées dans le compartiment d’un train de nuit par deux délinquants alors qu’elles partent retrouver les parents de Lisa pour fêter Noël. C’est le calvaire enduré par les deux jeunes filles, montré par Aldo Lado dans toute sa cruauté et sa crudité, qui est au cœur du récit. Le cinéaste italien et son coscénariste Renato Izzo ne prennent pas de gants mais trouvent le délicat équilibre pour décrire ce qui constitue une véritable nuit d’horreur pour ses deux jeunes protagonistes harcelées avant d’être sexuellement et mortellement agressées par les deux voyous. Si les humiliations psychologiques sont infligées sans détour, les sévices subis restent néanmoins la plupart du temps filmées hors-champ, les insinuations des agresseurs et l’imagination faisant le reste… Loin de se focaliser unilatéralement sur les actes de sadisme, La Bête tue de sang-froid suit la logique d’une construction scénaristique d’une extrême précision découpée en trois parties. Après une très longue mais indispensable exposition, qui présente les principaux personnages en les caractérisant en quelques lignes de dialogues et situations, le film plonge véritablement dans le cauchemar, prenant l’allure d’un véritable huis clos dans le wagon isolé. Avant un dernier acte se déroulant chez les parents d’une des deux jeunes filles, où les agresseurs se retrouvent à leur tour prisonniers et face à leur destin. Ou quand le hasard vient s’insinuer sournoisement dans une mécanique implacable…

La violence, cette boucle perverse…

Avec La Bête tue de sang-froid, Aldo Lado ne se cache pas derrière une violence gratuite et opportuniste, puisqu’il livre également avec beaucoup d’intelligence un discours très pertinent sur cette violence, en dévoilant les multiples facettes. Si les agresseurs en représentent un visage issu de la rue, brutal et incontrôlé, les parents bourgeois endossent l’image guère plus enviable d’une agressivité sociale consciente, née de l’hypocrisie, de l’assurance et de la haute estime qu’ils se portent. Aucun personnage ne ressort indemne de la critique du film. Pas même le passager voyeur, un second rôle passif que l’on imagine être une possible voie de secours pour les victimes dans un premier temps, et qui va se muer en acteur du drame, avant de fuir piteusement. Le film illustre adroitement comment la violence des uns entraîne celle des autres, dans un effet de boucle pervers. A ce titre, le personnage totalement fascinant de Macha Méril (Les Frissons de l’angoisse) constitue un autre visage de cette brutalité, à la fois sournoise et pernicieuse. Bourgeoise décadente, elle constitue le point pivot du film, puisqu’elle emporte, guide et manipule littéralement les deux voyous, qui ne sont finalement que des pantins, dans une odyssée agressive et incontrôlée qui ne trouve de but que dans la jouissance immédiate et purement égoïste. Lorsque le film illustre la vengeance du père dans sa dernière partie, la mystérieuse femme ne se départ d’ailleurs pas de cette ambiguïté et de cette capacité d’adaptation qui ne l’ont pas quitté tout du long. Pour achever le film sur une note noire et pessimiste, où la justice, aussi sauvage et punitive qu’elle soit, n’en demeure pas moins vaine et incomplète. Au-delà de son aspect volontairement choc et osé, La Bête tue de sang-froid déploie dans le même élan une critique acerbe de la bourgeoisie italienne des 70’s déjà directement visée dans Je suis vivant !. Le discours s’avère ici encore plus virulent, en dénonçant ouvertement l’hypocrisie des nantis complètement déconnectés d’une réalité sociale très tendue. Il faut voir ces familles aisées, définies par leurs statuts professionnels, échanger autour d’une table sur des notions comme la violence et sa transmission, l’auto-défense, le père chirurgien avouant se sentir dans l’incompréhension totale et extérieur à ces accès de violence primitives… avant de céder à ses pulsions de vengeance quelques bobines plus loin… Savoureux !
Aussi marquant dans sa démonstration et ses interrogations sur la violence que virulent sur sa critique de la bourgeoisie, La Bête tue de sang-froid demeure également un film d’exploitation d’une rigueur totale et jubilatoire dans sa mise en scène. Aldo Lado prouve une fois encore sa maîtrise, livrant un film au style visuel très marqué, grâce au travail de son directeur de la photographie Gábor Pogány. Une œuvre au discours toujours aussi pertinent et qui conserve, cinquante ans après, toute sa puissance d’évocation.

Note : 4 sur 5.
LA BÊTE TUE DE SANG-FROID
Aldo Lado (Italie – 1971)
Genre Thriller – Avec Flavio Bucci, Laura D’Angelo, Irene Miracle, Macha Méril, Gianfranco De Grassi, Enrico Maria Salerno… – Musique Ennio Morricone – Durée 92 minutes. Distribué par Le Chat qui Fume (24 juillet 2020).

Synopsis : Lisa Stradi et sa cousine Margaret Hoffenbach, âgées de seize ans, s’apprêtent à passer les fêtes de Noël à Vérone chez les parents de Lisa. Dans le train parti de Munich, elles croisent deux voyous en cavale et une bourgeoise nymphomane qui sèment le désordre. Lorsque le train est immobilisé de nuit dans une petite gare autrichienne, suite à une alerte à la bombe, les deux jeunes filles décident de changer de train et de fuir les importuns. Hélas, le trio maléfique croise à nouveau leur route. Isolées dans un wagon, Lisa et Margaret vont subir un véritable calvaire…

L’édition blu-ray du CHAT QUI FUME

Technique

Note : 4.5 sur 5.

Comme de coutume, l’édition du Chat qui Fume, qui propose ici le film dans sa version intégrale, brille par sa technique. L’image est resplendissante, une qualité qui vaut autant pour les scènes de jour que pour les nocturnes prenant place dans le train, aux jeux de lumières très travaillés. Contrastes, définition, piqué, grain… tout est quasi parfait. C’est bien simple : le film a l’air d’avoir été tourné l’année dernière…
Du côté des pistes sonores, les deux pistes (italienne et française) sont en DTS HD Master audio 2.0. Pas de quoi faire la fine bouche pour autant, tant le résultat s’avère très convaincant, dans les deux propositions, avec une clarté des dialogues et un dynamisme général qui ne souffre pas de parasites sonores.

Interactivité

Note : 4 sur 5.

Principal bonus de cette édition, un long entretien d’1 h 17 avec el maestro Aldo Lado, intitulé « Et le train va ». Le réalisateur évoque sa filmographie dans son style décontracté et sa bonhomie, avant de s’appesantir sur La Bête tue de sang-froid de A à Z, de l’origine du projet à sa sortie en passant par les étapes du tournage, le rapport avec les acteurs, la musique d’Ennio Morricone… Il aborde également ses thèmes fétiches et notamment sa capacité à tirer à boulets rouges sur la bourgeoisie. C’est complet et passionnant.
On trouve également « J’entends siffler le train », un entretien plus court avec la comédienne Irène Miracle (16′) qui paye de sa personne dans le film, et évoque la difficulté de tourner la scène de viol, ainsi que son travail auprès d’autres grands cinéastes comme Antonioni, Fellini ou Pasolini. Une bande-annonce du film est également présente.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

2 Comments on [Be Kind Rewind] LA BÊTE TUE DE SANG-FROID d’Aldo Lado (1975)

  1. Pour ma part, je trouve cette « bête » encore meilleure que son modèle. Macha Méril y est sublime de perversité. Dans le genre « dernièremaisonsurlagaucheploitation », j’aime aussi beaucoup le secouant « La Dernière maison sur la plage » avec la divine Bolkan (dvd paru chez Artus Films). Excellente chronique, comme à chaque fois !

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