[Be Kind Rewind] CLASH de Raphaël Delpard (1984)
L'Emmurée vivante

Curieux spécimen cinématographique que ce Clash réalisé en 1983 par Raphaël Delpard. Coproduction franco-yougoslave, le film fait parti de ces œuvres francophones faisant le pari d’une approche du genre fantastique favorisant l’atmosphère et l’esthétisme soignée, le tout emprunt d’une poésie typiquement fraaaaançaise, au détriment d’une intrigue passant très largement au second plan. Pourquoi pas… Prenant place au sein d’un lieu quasi unique, emprisonnant ses quelques personnages au sein d’un huis-clos, le tout dans un temps resserré, Clash peut s’appréhender comme une expérimentation formelle qui, par définition, laissera une frange des spectateurs sur le côté. On y suit le personnage de Martine, interprété par Catherine Alric (On a volé la cuisse de Jupiter de Philippe de Broca), qui, pour aider son ami Be Schmuller (Bernard Fresson), accepte de se réfugier dans une planque en dissimulant le butin dérobé par une bande de malfrats. Dans ce vieil entrepôt désaffecté, en attendant que le groupe la rejoigne, la jeune femme va peu à peu perdre le sens de la réalité, se sentant épiée, puis harcelée par un étrange et menaçant personnage. Clash doit s’appréhender avant toute chose comme un film d’ambiance, dans lequel le spectateur doit faire l’effort d’accepter de perdre ses repères et de se laisser aller aux extravagances formelles du réalisateur. Raphaël Delpard avait auparavant déjà tâté du fantastique avec La Nuit de la Mort en 1980, dans lequel les résidents d’une maison de retraite épanchaient leurs pulsions cannibales sur de pauvres infirmières, dont une Charlotte de Turckheim en pleine fleur de l’âge. Bien qu’il n’ait plus jamais baigné ensuite dans le genre (et ayant entre deux torché Les Bidasses aux grandes manœuvres en 1981, excusez du peu !), Delpard avait néanmoins pour lui une véritable envie de cinéma fantastique et une apparente sincérité pour ce qu’il filmait.




La mauvaise réputation
Le cinéaste et écrivain, également auteur du scénario, joue une partition assez curieuse mais néanmoins stimulante en s’appuyant sur un décalage avec la réalité assez notable, et ce, dès les premières scènes au sein d’un bus dans lequel l’héroïne a pris place, et où le sourire trop insistant d’un vieux bonhomme devient vite inconfortable. Mais c’est au sein du vieil entrepôt décrépit, lieu marqué par le dépouillement et la hantise, que la bascule vers l’étrange, vers l’absurde va tourner plein pot. Car l’endroit prend des allures de gigantesque inconscient de la jeune femme. Cet environnement fait de gravats, d’inquiétants mannequins de vitrines et l’intrusion de l’insaisissable personnage de Pierre Clementi bouscule toute notion de réalisme pour plonger de manière évidente dans l’onirisme et le cauchemar. Celui de Martine, dont on découvre rapidement un trauma originel remontant à l’enfance à l’aide de flash-backs stylisés. Celle-ci perd progressivement pied au même titre que le spectateur, enfermée dans l’entrepôt mais également prisonnière de ses névroses. Alors il faut s’accrocher et s’ouvrir à une interprétation exubérante de la part des comédiens, parfois à contre-temps, toujours dans le décalage et une abondance de symboles psychanalytiques parfois un peu lourdingues. Il faut également faire avec des scènes qui traînent en longueur, une approche quasi théâtrale et un manque de moyens financiers évident. Mais là n’est pas l’essentiel, puisque Clash révèle des moments réussis, des scènes en suspension, terriblement évocatrices, joliment éclairées et cadrées grâce au talent du directeur de la photographie Sasha Vierny (collaborateur attitré d’Alain Resnay ou encore Peter Greenaway), évoquant même une angoisse sourde lors d’épisodes récurents où une main tape à la fenêtre et un être s’approche dans les escaliers. C’est dans ces séquences inquiétantes de peur enfantine, presque malsaines, que Clash impose son atmosphère si particulière. Et si le film n’est évidemment pas une réussite, il a d’ailleurs été très mal reçu au festival d’Avoriaz en 1984, stoppant nette la carrière dans le genre de Delpard, il apparaît aujourd’hui, quarante ans après sa conception, comme une audacieuse tentative de cinéma fantastique français, d’une ambition peut-être mal canalisée, mais emprunte de sincérité et qui doit plus à Mario Bava et Dario Argento qu’aux films d’horreur pop-corn américains de l’époque. Une curiosité qui, au final, vaut mieux que sa sombre réputation, et sur laquelle on peut enfin poser les yeux grâce au Chat qui Fume…
CLASH. De Raphaël Delpard (France/Yougoslavie-1984).
Genre : Fantastique. Scénario : Raphaël Delpard. Interprétation : Catherine Alric, Bernard Fresson, Pierre Clementi, Vjenceslav Kapural, Christian Forges… Musique : Jean-Claude et Angélique Nachon. Durée : 98 minutes. Disponible en Blu-ray chez Le Chat qui Fume (15 août 2021).
L’édition Blu-ray du CHAT QUI FUME

TECHNIQUE. Comme à son habitude, l’éditeur déploie une copie assez dingue pour ce petit film fantastique français traité avec le même égard qu’un grand classique. Respect éternel pour cela. La copie ici retravaillée en 4K est d’une luminosité et d’un piqué tels que les scènes fantasmagoriques imaginées par le réalisateur s’en trouvent clairement réévaluées, avec des couleurs contrastées et un niveau de détail stupéfiant. Avec, en plus, une version Ultra HD proposée par l’éditeur.
Côté son, la piste française en DTS-HD MA 2.0 offre elle aussi un résultat très convaincant, surprenant même dans la générosité et le dynamisme des éléments sonores (les aboiements du chien), pour lesquels un soin tout particulier a été apporté et qui font beaucoup pour l’atmosphère si étrange du film.

INTERACTIVITE. Le Chat qui Fume a eu la bonne idée de tendre son micro au réalisateur Raphaël Delpard qui, dans un supplément de 26 minutes, évoque avec gourmandise la conception de ce film si particulier. C’est évidemment riche en anecdotes, voire en révélations surprenantes notamment au sujet du comédien Pierre Clémenti, et cela donne à voir la fabrication d’un film somme toute modeste dans les années 80. Un bonus complété par un second segment de 30 minutes donnant une fois encore la parole au cinéaste, mais cette fois en compagnie du journaliste Frédéric Albert Lévy, l’un des fondateurs de la revue Starfix. Ce-dernier ne cache pas son enthousiasme pour le cinéma de Delpard, dont il a défendu bec et ongle La Nuit de la Mort. Les deux hommes reviennent sur le cinéma fantastique français de l’époque et sur la réception très compliquée de Clash au Festival d’Avoriaz en 1984. La bande-annonce du film complète l’interactivité.
Tout à fait d’accord… La Nuit de la mort et Clash sont deux films très singuliers et qui méritent bien mieux que leur réputation d’époque. Merci au Chat pour les avoir remis dans la lumière de cette manière si exemplaire et à toi de réévaluer celui là 😉
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Merci pour ton commentaire 😉
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