[Critique] LA COLONIE de Tim Fehlbaum
C’est pas des vacances !

Alors que personne n’échappe au phénomène Dune qui a envahi les écrans et monopolise l’attention du plus grand nombre, une autre œuvre de science-fiction, bien plus modeste à tous les égards, débarque directement en vidéo dans une indifférence quasi-générale. La Colonie (Tides en VO) passe sous tous les radars et c’est bien dommage tant le film du Suisse Tim Fehlbaum s’affirme comme une belle proposition de SF, autrement plus incarnée que le blockbuster de Denis Villeneuve. Dans un futur plus ou moins lointain, après avoir fui une Terre exsangue de ses ressources naturelles et marquée par les catastrophes climatiques, la population la plus aisée s’est empressée de quitter le navire pour se réfugier sur la planète Kepler, en attendant de trouver une issue favorable à la survie de l’espèce humaine. Mais face à un phénomène d’infertilité et donc l’incapacité à assurer leur propre descendance, ces nantis décident d’envoyer des éclaireurs sur Terre afin de déterminer si un potentiel retour à la maison est envisageable. Blake (Nora Arnezeder) est la seule survivante d’une de ces missions après que sa navette se soit crashée. Elle foule pour la première fois une planète qui lui est totalement inconnue, envahie par les eaux… Un environnement que le cinéaste suisse sublime par l’image, filmant des vastes étendues entre espaces ensablés à la merci de la marée et horizon perdu dans la brume. Le premier argument de La Colonie est d’ordre visuel, le film livre quelques superbes images malgré un budget que l’on devine limité (malgré la présence de tonton Roland Emmerich à la production). La superbe photographie signée Marküs Forderer permet à Tim Fehlbaum de crédibiliser et rendre angoissante un bout de plage isolé dans la brume, entre deux épaves de navires échoués et des campements de fortune fréquentés par des tribus nomades vivant dans des éléments de récupération, qui ne sont pas sans évoquer le Waterworld de Kevin Reynolds.




Ecolo… mais pas trop
Dans le monde de La Colonie, aux frontières du post-apocalyptique, les pauvres ont été abandonnés sur Terre et contraints de survivre dans un milieu hostile, régressant à l’état sauvage, perdant jusqu’à l’usage de la parole. Le principal ennemi de l’être humain n’est pas monstrueux ou d’origine extraterrestre, mais bel et bien l’Homme lui-même. Un argument classique mais toujours porteur de sens. L’intrigue s’articule autour d’un retournement des valeurs, les antagonistes n’étant d’ailleurs pas forcément ceux auxquels on s’attendait. Avec son sous-texte ouvertement écologique, à la thématique bien actuelle, le film progresse dans le schéma balisé de la dystopie donnant à contempler les conséquences des erreurs de l’être humain sur une Terre dévastée. Un élément que le réalisateur avait déjà abordé dans son premier long-métrage, Hell, sorti en 2011, qui racontait une histoire de survie en mode post-apocalyptique, mais dans un environnement marqué par un très net réchauffement des températures. Le cinéaste creuse donc son sillon SF à message écolo, sans toutefois tomber dans la lourdeur d’un discours trop empesé, et y ajoute une belle histoire de filiation. Dans sa deuxième partie, enfermée dans l’épave d’un bateau, le film ronronne un peu, comme si ce cloisonnement lui faisait perdre toute sa puissance visuelle liée aux grands espaces. La Française Nora Arnezeder (vue dans Faubourg 36 et Army of the Dead : une carrière pour le moins éclectique) se révèle particulièrement investie et crédible dans un rôle physique et émotionnellement chargé. Partagée entre son discours sur la lutte des classes et sa dénonciation écolo, l’intrigue de La Colonie n’a rien de bien joyeux… ni de très original. Le film ne raconte rien que l’on ait déjà vu ailleurs, mais il le fait avec une économie de moyens, une direction artistique, un aboutissement technique tels qu’on est bien obligé d’admettre que l’on se trouve face à l’une des plus belles proposition de SF vues depuis pas mal de temps. Quant à son réalisateur Tim Fehlbaum, il semble évident que son savoir-faire ne saurait échapper aux exécutifs d’Hollywood…
LA COLONIE. De Tim Fehlbaum (Allemagne/Suisse – 2021).
Genre : Science-fiction. Scénario : Tim Fehlbaum. Interprétation : Nora Arnezeder, Iain Glen, Sarah-Sofie Boussnina, Sope Dirisu, Joel Basman… Musique : Lorenz Dangel. Durée : 104 minutes. Disponible chez Metropolitan (20 septembre 2021).
L’édition Blu-ray de Metropolitan

TECHNIQUE. Grosse claque que l’image délivrée par le Blu-ray de Metropolitan, qui permet à la photographie très travaillée du film de conserver tout son cachet et sa puissance visuelle. Dotée d’un piqué remarquable et d’une luminosité exacerbée très particulière mais toujours convaincante, l’image s’appuie par ailleurs sur des contrastes saisissants, passant aisément de scènes extrêmement lumineuses à des passages plus sombres. Surprenant dans son dépouillement visuel très maîtrisé, La Colonie est également remarquable au niveau sonore, et cette édition proposant deux pistes en DTS HD Master Audio 5.1 permet également une belle immersion par le son, avec une palette de bruits d’ambiance très variée et restituées à merveille. Sans jamais prendre le pas sur les dialogues. A l’image de son visuel, le film reste impressionnant dans sa proposition sonore.
INTERACTIVITE. Néant.
J’ai beaucoup aimé, la vraie valeur ajoutée, en plus de tout ce que tu dis déjà est ce propos politique qui évoque non seulement la notion de classe mais au travers de son développement écologiste, évoque les dérives eugénistes et fascistes du passé de l’Allemagne (les lebensborns y sont notamment clairement évoqués) que celles de nos civilisations supposée évoluées qui regardent avec supériorités d’autres civilisations et cultures en leur refusant d’avance l’accès à autre chose que la plus primaire survie. Tout ça dépasse le seul clivage « riches/pauvres », je trouve.
Et visuellement, c’est vrai et tu le dis mieux que moi, ces entendues de marées basses et marées hautes et ces architectures d’épaves sont absolument magnifiques.
Le casting est très bon, en plus, ce qui ne gâche rien.
Dommage en effet que ce film passe aussi inaperçu et même soit assez globalement sous estimé par ceux qui le voient…
J’aimeAimé par 1 personne
Joli complément d’analyse en effet 😉 J’approuve à 100 % !!!
J’aimeJ’aime