[Critique] WHAT KEEPS YOU ALIVE de Colin Minihan

Promenons-nous dans les bois...

Colin Minihan, coréalisateur avec Stuart Ortiz de l’efficace found-footage Grave Encounters en 2011, poursuit sa carrière en solo derrière la caméra. Après Extraterrestrial (2014) et Bloody Sand (2016) (pour lesquels Ortiz était co-scénariste), il s’attaque au genre du survival avec What Keeps You Alive. Un couple de jeunes femmes, Jackie et Jules, part célébrer son premier anniversaire de mariage dans l’ancienne maison de famille d’une des deux, dans un coin reculé au fin fond de la forêt. Endroit idyllique au premier abord ? Pas si sûr, puisque les choses vont rapidement très mal tourner… Compliqué d’évoquer ce film de Colin Minihan sans dévoiler des éléments de l’intrigue, même si certains rebondissements interviennent dès les premières minutes du film. On peut néanmoins révéler que l’une des deux femmes n’est pas ce qu’elle prétend être et cache un lourd secret. What Keeps You Alive est en quelque sorte une chasse à l’homme (ou plutôt à la femme), où la proie tombe des nues en découvrant les velléités peu grâcieuses de sa compagne. Avec ce nouveau film, Colin Minihan confirme son appétit pour le genre. Il démontre également un certain savoir-faire avec la caméra et une exigence plastique appréciable (la lumière est très soignée), bref, une forme qui tient la route en dépit des contraintes d’un budget que l’on devine serré. Que du bon me direz-vous… Et bien non malheureusement. What Keeps You Alive est un cas d’école. Quand on a tous les ingrédients pour réaliser un bon film de genre, violent et hargneux comme il faut, saupoudré d’une pointe d’angoisse et que le résultat n’est pas à la hauteur, c’est qu’il faut chercher ailleurs… Peut-être aurait-on un début de piste de réponse si l’on estime que la posture du réalisateur n’est peut-être pas la bonne. On n’est certes pas dans sa tête, mais il y a des signes qui ne trompent pas. Tout sympathique soit-il sûrement, Colin Minihan semble conscient de ses atouts, de ses forces de metteur en scène, et s’il semble aimer le survival, on ne peut nier ressentir à la vision du film une forme de prétention poindre à l’orée du bois, pire, une prise de haut du genre et de ses aficionados un peu agaçante. Dans sa volonté de relire le survival en y associant les passages obligés (aucun ne manque à l’appel), le réalisateur semble vouloir y apporter sa touche personnelle en esthétisant son geste. Ce qui n’est pas nécessairement une tare, devient néanmoins pénible quand le film appuie chacun de ses effets avec force, soulignant un peu trop par l’image et surtout le son, avec la présence d’une musique classique dont l’usage, pompier au possible, peut clairement provoquer une forme de rejet chez le spectateur (ah… ces superbes plans totalement gratuits de la tueuse jouant du piano recouverte d’un sang révélé par un éclairage au luminol…). Et ces scènes célébrant l’amour physique entre les deux femmes dans un noir et blanc digne d’Andrew Blake…

La chasse est ouverte

Ce jeu du chat et de la souris, où toute trace de subtilité a disparu, avance avec l’élégance et le doigté d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Tous les éléments présentés et justifiant le visage (et la folie) caché d’une des deux protagonistes (le trauma de l’enfance, l’influence du père, la pratique de la chasse et la survie dans le sang) sont assénés sans prendre de pincettes. Et il n’y a que sa compagne pour s’en étonner, d’ailleurs, tant le film est prévisible au possible et ne nous épargne aucun lieu commun du genre. Y compris le comportement et les choix absolument incohérents de ses protagonistes que l’on retrouve chez les pires représentants du survival… De même pour l’épisode de la captivité, qui s’éternise sans que l’on comprenne réellement pourquoi, avec l’ajout de l’amie d’enfance et son mari, personnages secondaires inconsistants évidemment, et surtout victimes idéales dont le sort ne laisse aucun doute. Concrètement, on ne croit jamais réellement à cette histoire au demeurant glaçante. Le jeu des comédiennes Hannah Emily Anderson et Brittany Allen (également productrice et compositrice de la musique du film), toutes deux investies mais mal dirigées, sonne assez peu vraisemblable, quand il n’est pas dans l’outrance et l’excès déplacé, avec des dialogues qui frisent le ridicule. On en arrive rapidement à se lasser des rebondissements prévisibles et vains, de ce rapport dominant/dominé jamais réellement convaincant et qui, ô surprise, va finir par s’inverser, à l’occasion d’un retournement de situation et d’une décision complètement aberrante en fin de film. La fin justement, parlons-en puisqu’elle convoque tout ce qui ne fonctionne pas dans What Keeps You Alive : un ultime coup de Trafalgar tellement énorme et décrit post mortem par l’un des personnages, avant une série de plans finaux sur la nature (ah ces plans d’arbres et de végétation…) à grand renfort de la Symphonie numéro 7 de Beethoven pour bien souligner la solennité du moment… On pourra donc succomber aux exigences techniques du film, bien réelles, ou se retrouver complètement stupéfait par la pose du réalisateur et ne pas accepter l’inconséquence de l’entreprise. Une belle coquille vide… 

Note : 1.5 sur 5.

WHAT KEEPS YOU ALIVE. De Colin Minihan (Canada – 2018).
Genre : Survival. Scénario : Colin Minihan. Interprétation : Hannah Emily Anderson, Brittany Allen, Joey Klein, Martha MacIsaac… Musique : Brittany Allen. Durée : 98 minutes. Disponible chez Blaq Out (3 novembre 2021).

L’histoire : Pour leur premier anniversaire de mariage, Jackie emmène Jules dans le coin reculé où son père et elle allaient chasser, quand elle était petite. Personne à la ronde, à part la luxueuse demeure de son amie d’enfance de l’autre côté du lac. Toutes les conditions sont réunies pour un week-end idyllique en amoureuses. Pour une plongée dans l’horreur, aussi.


L’édition Blu-ray de Blaq Out

TECHNIQUE. C’est le point fort du film : esthétiquement aboutie, l’image est sur cette édition à la hauteur des ambitions artistiques du réalisateur. Après un début de film marqué par un aspect voilé/ouaté a priori volontaire, l’image gagne en précision et en pureté, s’avère précise et contrastée, y compris lors des scènes les moins lumineuses. Infaillible.
Un très bon rendu sonore même si l’éditeur ne propose qu’une piste DTS-HD 2.0 tant pour la version originale que la version française. Pour autant, la dynamique est très bonne et l’écoute ne souffre d’aucun défaut.

Note : 4 sur 5.

INTERACTIVITE. Néant.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

2 Comments on [Critique] WHAT KEEPS YOU ALIVE de Colin Minihan

  1. Cher ami je vous trouve bien dur sur ce coup là… je partage certains bémols car le film n’est certes pas sans défauts, mais j’ai – pour ma part – passé un très très bon moment.

    Aimé par 1 personne

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