[Critique] ZERO DARK THIRTY de Kathryn Bigelow
Parmi toutes les paires de « cojones » d’Hollywood, Kathryn Bigelow possède vraisemblablement les plus grosses. En tout cas, celles qui décuplent la volonté et la maîtrise de sujets épineux et difficiles à projeter sur grand écran. L’ex-femme de James Cameron (Bon dieu quel couple explosif !) a tout au long de sa vénérable carrière réalisé des films « de mecs » avec une sensibilité toute féminine, réussissant au passage quelques grands coups avec les classiques Near Dark (1987), Point Break (1991), Strange Days (1995) ou encore Démineurs (2009). Pourtant, il aura fallu attendre ce dernier film pour que la critique et l’opinion générale accordent un véritable intérêt à la réalisatrice, en dehors de la poignée de fans qui avaient depuis bien longtemps reconnu son talent.
Suite au triomphe de Démineurs, récompensé des Oscars du meilleur film et du meilleur réalisateur en 2010, Kathryn Bigelow n’a pas changé son fusil d’épaule. Proposant un cinéma à grand spectacle, blockbuster s’il en est, privilégiant un propos fort, elle n’oublie jamais de faire appel à l’intelligence du spectateur pour bâtir ses projets et faire avancer ses récits. L’illustration Zero Dark Thirty est en ce sens sans équivoque. Plus que jamais, Bigelow donne à voir un cinéma coopératif mais pas assisté, entre le spectateur et elle-même, par le biais d’un récit dense et exigeant. Il faut une période d’adaptation afin de pouvoir entrer pleinement dans Zero Dark Thirty. Après une séquence d’ouverture puissante donnant à voir une séance de torture dans un camp style Guantanamo, le spectateur est bombardé d’informations, de noms et de lieux différents… aidé cependant par des cartons indiquant indifféremment lieux et dates, le récit naviguant sur plusieurs années par le biais d’ellipses temporelles. Prendre le bon wagon d’un train lancé à vive allure demande un effort certain, qui se trouve néanmoins récompensé par la suite avec l’exposition d’enjeux limpides. La traque d’Oussama Ben Laden, si elle est inspirée de faits réels, comme indiqué en ouverture du film, emprunte des chemins détournés, des fausses pistes pour arriver jusqu’à une issue bien connue de tous. D’ailleurs, le projet du film a considérablement évolué au fil des mois lors de sa conception, suite aux évènements ayant marqué la traque du leader d’Al-Qaïda. On peut estimer qu’une bonne partie de la réussite de Zero Dark Thirty réside dans cet équilibre entre faits réels et séquences romancées (dont on ignore d’ailleurs la part), dans la faculté qu’a le film de surprendre et déjouer les attentes du spectateur sur une histoire très récente dont il a déjà connaissance des grands axes, en embrassant les codes du thriller d’espionnage. Car au-delà de la grande histoire connue de tous, se profile la lutte de plus en plus personnelle d’une équipe des services secrets américains contre un ennemi invisible, qui hante pourtant toutes les séquences.
Seule contre tous
Femme au centre d’un dispositif des forces spéciales américaines principalement composé d’hommes, la frêle Maya, campée brillamment par Jessica Chastain, doit se faire entendre des siens, taper du poing sur la table, quitte à être grossière envers ses supérieurs afin de faire avancer ses idées. Née avec le 11 septembre 2001, alors qu’elle entrait au service de la CIA, cette figure guerrière, a placé toute son existence et sa volonté au profit d’une traque qui se drape rapidement des oripeaux d’une forme de vengeance, à mesure que la mission investit sa vie et sa sphère privée. Il n’est d’ailleurs pas exagéré de tracer un parallèle avec la situation de la cinéaste au sein d’un milieu hollywoodien bourré jusqu’à la gueule de testostérone parmi les décisionnaires, qui plus est dans le genre ultra codifié du blockbuster masculin. Cette force d’esprit inébranlable amène la jeune femme a endosser ce rôle de « seule contre tous » bien connu du cinéma américain. Sauf que celui-ci est poussé à son paroxysme, face à une galerie de personnages masculins affichant de leur côté des traits de caractère variés suivant leur position dans la hiérarchie de l’Etat. Il faut préciser que tous sont admirablement campés : Mark Strong, fascinant de colère dans un rôle loin des gaudrioles de Sherlock Holmes, James Gandolfini, en directeur de la CIA débonnaire mais ultra influent, l’Australien Jason Clarke (Des hommes sans loi) en agent-bourreau usé… Un casting impeccable au sein duquel on peut même apercevoir le puissant Scott Adkins pour un très court rôle. Rien que pour cela : God bless Kathryn !
Un avenir incertain…
Zero Dark Thirty n’est pas que le récit d’une enquête. Car la traque de Ben Laden s’achève bel et bien sur une opération d’infiltration et une prise d’assaut de la dernière planque du chef d’Al-Qaïda (le titre fait d’ailleurs référence au moment précis du lancement de l’opération : 30 minutes après minuit). Quoi de plus cinématographique que cette séquence, tournée en pleine nuit avec caméras infra-rouge, matériel high-tech et vue subjective. La réalisatrice sait qu’elle ne doit pas se louper sur cet ultime acte de bravoure patriotique. Là encore, l’équilibre entre récit basé sur des faits réels et fiction est délicat, voire primordial pour la réussite et la crédibilité de l’ensemble du projet. L’aboutissement du film, qui est également celui de Maya, présente sur le lieu même du départ de l’opération, est un sommet de tension palpable de près de 30 minutes. Là encore, alors que l’issue est connue, tout l’intérêt repose dans le déroulement opératique de la prise d’assaut, qui agit comme une séquence d’accomplissement de toute la détermination, la ténacité, les doutes, les larmes qui ont précédé durant deux heures. La vengeance de tout un peuple toujours endeuillé, et la porte de sortie d’une femme, vers un avenir incertain, qu’un ultime plan bouleversant vient tracer en pointillé…
ZERO DARK THIRTY
Kathryn Bigelow (USA – 2012)
Genre Thriller – Interprétation Jessica Chastain, Jason Clarke, Mark Strong, Kyle Chandler, Joel Edgerton… – Musique Alexandre Desplats – Durée 157 minutes.
L’histoire : Le récit de la traque d’Oussama Ben Laden par une unité des forces spéciales américaines…
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