[Be Kind Rewind] NIGHT TRAIN TO TERROR de Jay Schlossberg-Cohen (1985)
Money Train
Le Chat qui fume (et pas qu’un peu…), éditeur spécialisé dans la restauration de films de séries B, Z et autres péloches d’exploitation en tous genres des années 60 à 80, nous gratifie ici d’un très beau digipack contenant un monument « artisanal » américain, comme on en voit peu : Night Train to Terror. Pour vous situer le contexte du film, cette production horrifique a vu le jour en 1985. Train Express pour l’Enfer (en français dans le texte), est un film à sketchs dont l’objectif de l’auteur (!), Philip Yordan, est à l’époque de surfer sur la vague des Contes d’outre-tombe, La Quatrième dimension et autre Creepshow, miroitant ainsi un succès commercial qui le fuit depuis de nombreuses années. Il faut bien l’avouer, Philip Yordan était un scénariste extrêmement prolifique entre les années 40 et 70, chipant au passage un oscar du meilleur scénario pour La lance brisée d’Edward Dmytryck, en 1954, en pleine période de chasse aux sorcières… Mais revenons au film… ou plus précisément, aux films ! Car pour mettre en chantier ce projet « sur rail », Yordan va recycler trois longs-métrages distincts. Night Train To Terror est donc divisé en trois segments, voire quatre si on intègre les séquences du train (tournées par l’unique réalisateur crédité, Jay Schlossberg-Cohen). L’ensemble narre les espiègleries de Satan et Dieu (interprétés respectivement par Lu Sifer et Dieu eux-mêmes), qui échangent afin de déterminer si la bande de jeunes du compartiment d’à côté iront au Paradis ou en Enfer. Le lien entre tout ce beau monde est tissé par le contrôleur du train, un afro-américain à l’air possédé.
Les ingrédients du nanar
Arrêtons-nous tout d’abord sur les deux premières histoires (The case of Harry Billings, The case of Gretta Conners) issues de deux longs métrages intitulés respectivement Marilyn Alive and Behind Bars (réalisé en 1982 et sortie en 1992) et Carnival of fools (1984), mis en boite par le même réalisateur, John Carr. Pour respecter le format du film à sketchs, chaque segment à dû subir des coupes drastiques mais surtout des reshoots catastrophiques dénaturants la structure dramatique de l’oeuvre originale. Eléments importants, ces nouveaux plans ont été tournés parfois en format vidéo, les originaux étant issus du 35 mm. Dans le feu de l’action, l’un des personnages a été interprété par deux acteurs au système pileux quelque peu… différent. Esthétiquement, les ingrédients du nanar sont donc réunis pour notre plus grand bonheur avec des prises de vue loupées, mis en causes par des cadrages non travaillés, une mise au point hasardeuse et un jeu d’acteur exécrable. Le sketch Harry Billings est en quelque sorte la formule condensée du long métrage raté à tout point de vue.
Le segment The case of Gretta Conners a subi quant à lui un traitement/montage moins chaotique mais n’est pas pour autant dépourvu d’incohérences narratives dont cette séquence où Gretta, jeune et belle brune pulpeuse à la chevelure soyeuse, apparaît soudainement en garçonne à quelques minutes de la fin de l’épisode, de quoi dérouter le spectateur. On apprendra pourtant, grâce au bonus du coffret DVD, que cette idée était bien présente dans le scénario du long-métrage et que Gretta avait bien des tendances schizophrènes… Cerise sur le gâteau, l’apparition stylée d’un insecte géant en pâte à modeler (animé par William R. Stromberg, réalisateur de The Crater Lake Monster), histoire de bluffer une fois de plus le spectateur. Mais il est plus approprié de parler du travail de Stromberg sur notre dernier cas, The case of Claire Hansen, du film initialement intitulé Cataclysm, réalisé respectivement par Phillip Marshak, Tom McGowan et Gregg C. Tallas en 1980. Le premier d’entre eux était également réalisateur de pornos dans les 70’s. Il s’agit du segment le plus abouti et réussi d’un point de vue technique et narratif. L’histoire est plus étoffée et même si la constipation se ressent dans les différentes interprétations, il n’est pas inconcevable d’aller chercher le film complet pour un petit visionnage entre amis.
Des acteurs en pâte à modeler…
Alors pourquoi le travail de Stromberg y est si particulier. Tout d’abord parce qu’il signa son unique contribution cinématographique après avoir réalisé son unique film et surtout parce-que le résultat de son travail est tout simplement unique. La volonté même de créer des monstres lovecraftiens, après toute cette débauche d’énergie qui s’est dégagée de Night Train to Terror, est un gage d’abnégation ! Imaginez une scène de conflit entre un acteur fait de chair et de sang et une créature en pâte à modeler animée en stop motion… Dans un procédé de plans en champs/contre-champs la « magie » opère. Seulement lorsque le monstre modelé prend le dessus, que les deux entités se retrouvent dans le même plan et que l’acteur se retrouve lui aussi animé image par image et en pâte à modeler, il y a de quoi crier au faut-raccord !! Mais en prenant suffisamment de recul sur l’objet et après visionnage, réactions spontanées, réflexions au premier et second degrés… on peut finir par admettre que les séquences d’animations sont sans doute les plus bossées et les plus honnêtes de cet OVNI. Ce qui n’empêche pas de crier au scandale et à l’imposture. L’auteur est lui-même considéré comme un imposteur, soupçonné d’avoir utilisé les textes d’auteurs tricards du maccarthysme durant la majorité de sa carrière. Nanar ou pas, le sentiment acerbe qu’on s’est foutu de la gueule du spectateur, même averti, ne s’évapore pas au fur et à mesure que le film avance.
Alors Le Chat qui fume a-t-il eu raison d’éditer un tel film, avec un tel passé, chaotique et désespéré ? Il y a deux sortes de navets : celui-ci, qui sent l’arnaque à plein nez, pompeux, qui se prend au sérieux… Et il y a le navet frais, spontané, assumé et drôle. Seulement voilà, il est une émotion qui anime cet éditeur, qui anime les aficionados du genre et qui a aussi animés Yordan, Schlossberg-Cohen, Marshak et compagnie en leur temps, et cette émotion s’appelle la PASSION. On ne peut rien contre elle, elle dicte la persévérance et c’est ce qui sauve cette jolie boite cartonnée, qui est le fruit d’un travail de recherches précis. Donc, oui, Le Chat qui fume doit continuer à faire sortir de terre ces pépites et nous amener à la rencontre de toutes ces personnalités passionnées et avouons-le, passionnantes.
NIGHT TRAIN TO TERROR
Jay Schlossberg-Cohen (en fait John Carr, Phillip Marshak, Tom McGowan, Jay Schlossberg-Cohen, Gregg C. Tallas) (USA – 1985)
Genre Horreur – Interprétation Barbara Wyler, John Phillip Law, Richard Moll, Tony Giorgio, Ferdy Mayne – Musique Eddy Lawrence Manson – Durée : 92 minutes. Distribué par Le Chat qui fume.
L’histoire : A bord d’un wagon, Dieu et Satan se racontent trois histoires, avant que le train dans lequel ils ont embarqué et qui file à vive allure ne déraille. Dans la première, un homme est enlevé et enfermé dans un asile, hypnotisé pour appâter d’innocentes victimes. Dans la seconde, deux amants se trouvent mêlés aux jeux morbides des membres d’un club fascinés par la mort. Dans la dernière, Satan, désireux de détruire notre monde, devra faire face à une féroce résistance.
J’adore l’audace d’un tel choix de l’éditeur.
Publier un nanar quasi illisible et offrir un décryptage en bonus de l’affaire aussi précis et documenté.
L’ensemble est vraiment passionnant.
Même si en effet, « le » film est quasi-totalement indécodable en l’état.
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Tout est dit 😉
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