[Critique] REGRESSION d’Alejandro Amenábar

Faux-semblants

Regression, sixième film de l’Espagnol surdoué Alejandro Amenábar, sonne comme un retour aux sources. Auteur des excellents thrillers Tesis et Ouvre les yeux, le jeune cinéaste connaissait la consécration avec son coup de maître fantastico-gothique Les Autres aux Etats-Unis, avant de regagner son pays pour les besoins du drame Mar adentro, et de la fresque historique Agora, au succès plus confidentiel. Avec ce nouveau long-métrage, presque six ans après le dernier et une carrière sans faute de goût, le cinéaste renoue avec le film à suspense et livre un exercice de style assez passionnant sur la peur, la perception, le pouvoir de suggestion et la manipulation.

(Attention, spoilers potentiels !)

Avec Regression, Amenábar s’inscrit dans la mouvance de classiques paranoïaques des années 60 et 70 comme Rosemary’s Baby. L’intrigue tourne autour du phénomène des rituels sataniques et de leurs dérives (sacrifices, meurtres…) qui ont alimenté les superstitions et autres légendes urbaines au milieu des seventies. Regression est en premier lieu un film d’enquête. Bruce Kenner, flic obstiné et obtu (Ethan Hawke) est en charge d’une affaire d’abus sexuels incestueux sur la personne de la jeune Angela (Emma Watson), qui accuse son père. Ce-dernier reconnaît les faits, sans en avoir pourtant le moindre souvenir… Sur la base de ce pitch, Amenábar livre une intrigue qui repose essentiellement sur une ambiance lourde et paranoïaque, et fait savamment monter la tension en jouant du cadre dans lequel il situe son histoire : une petite ville au plus profond du Minnesota, qu’il se plaît à dépeindre comme un réceptacle d’abrutis (les policiers) et de braves, mais limités, campagnards (la famille d’Angela). Au sein d’une communauté dans laquelle la religion trône en bonne place, les accusations d’inceste et de satanisme remuent pour le moins tout ce petit monde. A commencer par le flic lui-même, agnostique qui ne l’avoue qu’à demi-mot. Il est rapidement épaulé par un psychologue pratiquant une forme d’hypnose qui tente de plonger au plus profond de la psyché du patient pour faire rejaillir des souvenirs enfouis. Cette forme de thérapie, qui donne son titre au film, se pose comme la caution scientifique s’élevant face à cette succession d’événements étranges. Car l’hypothèse des méfaits d’une secte satanique est rapidement la piste privilégiée. Dès lors, Regression s’emploie à utiliser les codes inhérents au genre et le fait plutôt bien. Alejandro Amenábar filme au millimètre les échanges verbaux entre personnages, livrant les informations au compte-goutte à un spectateur placé au même niveau que son enquêteur, et se permet même d’éluder certaines scènes d’interrogatoire pourtant cruciales, qu’il donne à entendre ensuite sur l’enregistrement du policier. Un procédé, renforçant un peu plus le concept de suggestion, qui a son importance…

Simulacres

Au-delà de l’enquête au demeurant assez classique, Amenábar livre avec Regression une œuvre sur la peur, ou plus exactement sur ce qui la provoque et l’alimente. Si le film baigne dans une atmosphère d’angoisse permanente donnant l’impression que le diable se cache aux quatre coins de l’image et infuse l’intrigue (évoquant la froide terreur de L’Exorciste ou Rosemary’s Baby), certaines séquences mettent le palpitant à rude épreuve. La scène où Bruce Kenner visite la grange et se trouve assailli de flashs dévoilant les messes noires par le biais du témoignage sonore de la jeune Angela, est d’une redoutable efficacité tant son pouvoir de suggestion tire bénéfice de toute la tension soigneusement mise en place jusqu’alors. Si le film fonctionne assez bien dans son entreprise de trouille, et il le doit notamment à la musique angoissante de Roque Baños (Balada triste d’Álex de la Iglesia, Evil Dead de Fede Alvares), la progression de son récit n’est pourtant pas aussi limpide, usant de quelques ficelles un peu grosses. Le scénario peine à maintenir cet équilibre précaire et miraculeux qui façonne la croyance du spectateur, l’embarquant dans une direction avec brio, pour finalement faire volte-face au sein d’un twist que les plus perspicaces auront décelé plusieurs bobines à l’avance. Par ailleurs, trop pressé d’alimenter son épilogue et peut-être aussi trop conscient de ses effets, Amenábar en oublie certains détails de cohérence générale et de développement (certains personnages manquent de profondeur ou ne sont pas exploités comme ils le mériteraient).

Pour autant, le projet d’Amenábar atteint in fine, son but : au sein d’un épilogue très pessimiste, il donne à voir les conséquences de ce qui a précédé et évoque clairement la manipulation des masses. Le film démontre, de manière pas toujours très subtile, comment un discours peut brouiller la perception de la réalité et donner à voir ce que l’on veut bien percevoir. Et c’est au final une vaste opération de déconstruction auquel s’adonne le cinéaste, remettant en cause tout ce qui a précédé en pointant du doigt le pouvoir destructeur de la croyance et de la suggestion. Le réalisateur manipule le spectateur comme il le fait avec ses personnages, insidieusement. Le faux-semblant et le simulacre sont des thématiques qui ont déjà été brillamment explorées par Amenábar par le passé. Son œuvre s’enrichie aujourd’hui d’un nouveau segment, moins définitif que ses précédentes réalisations, mais qui parvient tout de même à hanter l’esprit par ses moments de terreur glaçante.

Note : 3 sur 5.

REGRESSION. D’Alejandro Amenábar (Espagne-Canada/2015).
Genre : Thriller horrifique. Scénario : Alejandro Amenábar. Interprétation : Ethan Hawke, Emma Watson, David Thewlis, Aaron Ashmore, Dale Dickey… Musique : Roque Baños. Durée : 104 minutes – Sortie le 28 octobre 2015.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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