[Critique] MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS de Tim Burton
Il est difficile, pour ne pas dire impossible aujourd’hui de juger un nouveau film de Tim Burton sans l’évaluer à l’aune d’une carrière si brillante dans sa première partie et tellement calamiteuse depuis quelques années. Le réalisateur d’Edward aux mains d’argent, Batman Le Défi et Ed Wood (sa trinité divine) est monté si haut, a fait tant pour constituer une imagerie fantastique cinématographique personnelle, crédible et touchante, qu’on ne peut qu’associer ses films à la mesure de son oeuvre passée. C’est ainsi. Et c’est la preuve malgré tout que le cinéaste a marqué à vie une frange de cinéphiles tombés sous le charme d’un cinéma magnifique et merveilleux. Pourtant, depuis la fin des années 90, Tim Burton a semble-t-il perdu la pertinence et l’âme de ses premiers films, alignant les déceptions les unes après les autres et achevant d’effacer les dernières illusions de ses plus fervents défenseurs. Charlie et la Chocolaterie, Alice au pays des merveilles, Dark Shadows et consorts… Aucun des longs-métrages réalisés dans les années 2000 ne peut prétendre arriver à la cheville de l’inspiration butonnienne des débuts. Même son Frankenweenie pourtant ouvertement référentiel puisque basé sur l’un de ses courts-métrages les plus célèbres, n’était que partiellement incarné. Burton n’est plus que l’ombre de lui-même, et son cinéma s’est délité, étouffé dans des années 2000 qui consacrent les blockbusters numériques super-héroïques et sans personnalité. D’aucuns auront prétendu que le bonhomme a vendu son âme au diable des studios, d’autres qu’il a tout simplement perdu son mojo, quand les plus pessimistes arguent que sa carrière n’était finalement qu’un trompe-l’œil et que sa foi dans le cinéma est agonisante… On ne pourra donner tort à personne, mais on continuera malgré tout à croire à une résurrection du cinéma inspiré burtonien.
Prudence, méfiance…
Un constat unilatéralement négatif qui se répète à chaque sortie d’un nouvel opus estampillé Tim Burton. Et c’est évidemment avec la besace emplie d’à priori négatifs et de réserves que l’on accueille l’arrivée sur les écrans de Miss Peregrine et les enfants particuliers. Un conte tiré d’un livre pour adolescents écrit par Ransom Riggs, et qui semblait, à première vue, tout à fait balisé pour le réalisateur de Beetlejuice. Pas de quoi nous rassurer, car il s’agit également d’un produit ouvertement destiné à remplir les multiplexes et à contenter les ados rompus aux sagas Harry Potter et autres Hunger Games. Prudence, méfiance… Et pourtant… Miss Peregrine et les enfants particuliers s’avère au final plus intéressant que l’ensemble des dernières réalisations de Tim Burton. Celles-ci souffraient paradoxalement d’un abus de style burtonien dans ce que cela peut avoir de plus bourratif, caricatural, à savoir, des créatures « freaks » vidées de toute substance, dans des univers visuels bien souvent d’une laideur infinie, et qui caricaturaient la patte Burton jusqu’à l’écœurement. Avec ce 18e film, Burton parvient pourtant à éveiller un sentiment qui nous avait quitté depuis bien longtemps : la surprise. Car si Miss Peregrine… semble nager en plein cœur d’un univers typiquement burtonien, avec ses enfants « différents », aux pouvoirs les condamnant à vivre retranchés à l’écart dans l’orphelinat dirigé par Miss Peregrine, le cinéaste propose en plus une intéressante mise en perspective de sa carrière et de sa vision d’Hollywood.
La stop motion forever
Personne ne pourra croire que Tim Burton s’enthousiasme à chacun des projets qu’il développe depuis quelques années. Impossible vu le résultat. Mais la question que l’on peut se poser est : a-t-il seulement une idée des raisons de sa chute artistique vertigineuse ? Miss Peregrine… semble apporter un semblant de réponse. Une réponse qui peut sembler évidente. Le réalisateur est un anachronisme dans le paysage cinématographique actuel. Il ne se reconnaît pas dans le traitement des Avengers et autres Batman vs Superman. Pire, il semble haïr la modernité tout bonnement abrutissante des productions numérisées jusqu’à la gueule dont on nous abreuve semaines après semaines. Et il le fait savoir au sein même de ce nouveau film. Burton n’y va pas avec le dos de la cuillère, proposant des scènes particulièrement cruelles dans lesquelles des personnages (coucou les studios) s’approprient le regard des enfants en dévorant littéralement leurs yeux (à grand renfort de purges de films détestables). On a vu message moins explicite. D’autant plus lorsque le cinéaste clame une fois de plus son amour immodéré d’un cinéma passé, d’un imaginaire pas encore javellisé par la lessive numérique actuelle. Où l’on découvre des créatures prenaient vie grâce à la « stop motion », en livrant quelques scènes réalisées avec cette technique (les poupées qui prennent vie). Ou lors d’une invraisemblable séquence de combat dans une fête foraine, opposant d’immenses créatures numériques invisibles (rendues détectables par des bonbons et de la barbe à papa) face à des squelettes surgis du passé (et d’un vieux navire immergé), qu’on croiraient issus d’un film de Ray Harryhausen. Tim Burton pousse le vice jusqu’à jouer une victime de ces mastodontes numérisés sous forme d’un caméo extrêmement fugace. On retrouve le temps d’une séquence le cinéaste pertinent, conscient et militant de l’incroyable Mars Attacks.
Bilan partagé… mais vivant
Au-delà de son histoire de passage de relais d’un grand-père (Terence Stamp) à son petit-fils (Asa Butterfield), au-delà de sa palette de jeunes freaks handicapés par leurs pouvoirs, de ses histoires de boucles temporelles devenant rapidement usantes, de sa romance ampoulée, Miss Peregrine… est avant tout un manifeste burtonien, un acte militant pour un cinéma du passé, artisanal dans ses techniques, et ambitieux dans ses émotions (même s’il recourt également à des techniques d’effets spéciaux actuelles, ne nous leurrons pas…). Une prise de position qui fait plaisir à voir et qui rappelle les grandes heures du cinéaste. Malgré un film qui ne parvient pourtant pas à convaincre complètement, et qui tousse fréquemment car souffrant d’un certain nombre de tares agaçantes (trop de personnages, durée exagérée, sous-intrigues inexploitées, méchant cabotin faisant peine à voir…), Miss Peregrine… contrebalance par des scènes absolument merveilleuses, des instantanés de poésie d’un autre âge burtonien (la découverte du repère sous-marin, les terrifiantes créatures désarticulées et tentaculaires, la sublime Eva Green, de magnifiques paysages celtiques et des décors à tomber…). Le bilan est donc partagé mais, en dépit de ses imperfections, on se prend à être plutôt indulgent et à faire basculer la balance de l’enthousiasme du bon côté, car à l’image de ces petites créatures à qui le personnage d’Enoch rend la vie en leur ajoutant un cœur, ce 18e film de Tim Burton dispose (enfin) d’un cœur qui bat. Même si ses quelques trésors sont éparpillés durant les deux heures du film, et qu’il faut picorer de ci de là pour les apprécier…
MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS
Tim Burton (USA/Royaume Uni/Belgique – 2016)
Genre conte fantastique – Interprétation Eva Green, Asa Butterfield, Ella Purnell, Samuel L. Jackson… – Musique Mike Higham et Matthew Margeson – Durée 127 minutes – Distribué par 20th Century Fox.
L’histoire : À la mort de son grand-père, Jacob découvre les indices et l’existence d’un monde mystérieux qui le mène dans un lieu magique : la Maison de Miss Peregrine pour Enfants Particuliers. Mais le mystère et le danger s’amplifient quand il apprend à connaître les résidents, leurs étranges pouvoirs… et leurs puissants ennemis. Finalement, Jacob découvre que seule sa propre « particularité » peut sauver ses nouveaux amis.
Ton analyse sur le regard que porte Burton sur le cinéma actuel est passionnante mais est elle réellement justifiée? Je comprends tes arguments mais ne serait ce pas aller trop loin? Burton a lui aussi réalisé des blockbusters et ceux d’aujourd’hui manquent certes de magie, mais c’est justement son travail à lui d’en remettre dans le cinéma actuel, avec des films comme Big Fish ou Edward aux mains d’argent qui étaient d’une grande poésie tout en étant une critique ouverte de la société. Je pense qu’à certains égards il n’a juste plus d’inspiration, les monstres font terriblement penser à l’univers de Guillermo Del Toro et les personnages qui se battent au début en animatroniques sont juste une redite de ce que Burton a fait auparavant.
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Je suis d’accord avec toi sur le fait que c’est à Burton de redonner une dimension magique, artistique et poétique à ses films. C’est justement ce qui lui manquait dans ses dernières productions qui ne faisaient que caricaturer son style. Mais dans Miss Peregrim… j’aperçois justement un léger sursaut d’inspiration, comme un frémissement, même si on est encore à des années lumières de la maîtrise artistique d’Edward… Même si en effet, on est davantage dans la redite que dans le développement d’un univers qui semble lui avoir échappé.
Quant à sa charge contre le cinéma hollywoodien actuel, ce n’est pas nouveau chez lui, et cela prouve qu’il est bien conscient de la médiocrité dans laquelle il est lui-même tombé. La question qui se pose finalement aujourd’hui est la suivante : doit-il continuer à faire du cinéma, si c’est pour tenter de retrouver éternellement une splendeur qui semble bien irrémédiablement ancrée dans le passé ?…
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