[Be Kind Rewind] L’INVASION DES PROFANATEURS de Philip Kaufman (1978)

Le grand remplacement

A l’origine une nouvelle, puis un roman intitulé The Body Snatchers de Jack Finney paru en 1955, avant une première adaptation au cinéma par Don Siegel sous le titre L’Invasion des profanateurs de Sépulture, un an après. C’est en 1978 que Philip Kaufman (L’Étoffe des Héros) décide de réaliser un remake, ou plus exactement une nouvelle variation de l’oeuvre originale avec L’invasion des profanateurs. Davantage qu’une relecture opportuniste, cette nouvelle version aborde la mythologie développée par Finney et Siegel sous un angle nouveau. Kaufman et son scénariste W.D. Richter (auteur des Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin de John Carpenter et réalisateur des incroyables Aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8e dimension – un homme de goût qui aime les titres à rallonge) déplacent l’action à la fin des 70’s à San Francisco, passant de la petite ville de campagne originale à une métropole urbanisée. Un ajustement géographique qui apporte un nouvel éclairage à cette histoire d’invasion alien dans laquelle des spores extraterrestres colonisent peu à peu la Terre en éparpillant des cosses dont la fonction est de dupliquer les êtres humains pour ensuite les déshumaniser et prendre leur place. Si la métaphore de la menace soviétique qui infusait le premier film n’est désormais plus d’actualité en 1978, le sentiment de paranoïa qui en découlait reste pourtant au cœur du projet, même si celui-ci décrit une peur de l’autre ancrée au sein d’une société qui pousse les individus à intégrer une norme afin d’éliminer tout libre-arbitre.

Déshumanisation et aliénation

L’Invasion des profanateurs évoque tout d’abord l’infiniment grand (l’espace dans lequel se baladent les spores extraterrestres dans son générique), avant de cheminer peu à peu vers l’individu. L’introduction du film est à cet égard un modèle du genre. Sans recourir à la parole, portées par la musique du pianiste Denny Zeitlin, les premières images montrent des gouttes d’eau tomber du ciel et s’écouler le long de tiges et autres plantes, d’étranges filaments se développent et prennent possession des végétaux, des bourgeons éclosent… Des images belles, fortes, pour autant constellées de détails saugrenus, curieux… Des détails qui s’accumulent dans un rythme languissant qui déjà, met la puce à l’oreille : quelque chose ne tourne pas rond. Et ce n’est pas l’apparition soudaine d’un curé (Robert Duvall, qui passait par là) sur une balançoire qui détendra l’ambiance… Le film est à peine lancé qu’une atmosphère mortifère commence à se mettre en place et débouchera sur une sourde paranoïa partagée et entretenue par les personnages principaux. Tout le monde est suspect et tout le monde soupçonne tout le monde. A l’image du Zombie (Dawn of the Dead) de George A. Romero, sorti d’ailleurs la même année, L’Invasion des profanateurs dénonce un contexte sociétal où l’être humain se retrouve en voie de déshumanisation, où l’action de duplication des êtres humains par des cosses extraterrestres ne fait qu’appuyer une forme d’aliénation renforcée par l’état végétatif dans lequel se retrouvent ces-mêmes victimes. C’est d’ailleurs par leurs émotions, leurs sentiments que les humains se démarquent, et c’est en les contrôlant et les dissimulant qu’ils pourront se fondre dans la masse des « possédés ». Une vision finalement assez pessimiste et noire de la société que Philip Kaufman s’applique à dépeindre.

Cauchemar réaliste

Au-delà du discours sociétal, Philip Kaufman ne délaisse pourtant pas les aspects horrifiques de son film, puisque L’Invasion des profanateurs est une véritable œuvre à suspense, à la tension permanente et palpable, mais dans un style résolument réaliste qui se passe aisément d’effets spectaculaires. Bardé d’idées de mise en scène audacieuses, de cadrages léchés, travaillés et déstabilisants, le film bascule dans l’horreur et le cauchemar par petites touches : lorsque les hôtes dupliqués poussent leur cri strident de ralliement, ou lors de l’apparition traumatisante d’un chien à tête humaine. Le film est, par ailleurs, porté par une sacrée brochette de comédiens de très haut niveau. Le couple composé de Donald Sutherland (l’effrayant Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg) et Brooke Adams (Les Moissons du ciel de Terrence Malick) forme une alchimie puissante à l’écran. Les petits jeunes Jeff Goldblum (La Mouche de David Cronenberg) et Veronica Cartwright (Alien – Le huitième passager de Ridley Scott) ne sont pas en reste. La présence de Leonard Nimoy en psychiatre-gourou est assez troublante quand on songe à son personnage de Spock dans Star Trek. Chef d’œuvre qui n’a pas pris une ride près de quarante ans après sa sortie, L’Invasion des profanateurs de Philip Kaufman réussit la gageure de proposer un film de genre à la fois efficace et effrayant dans sa forme, tout autant que pertinent et dérangeant dans son fond. D’autres adaptations plus ou moins officielles et de qualité variable sortiront les années suivantes, l’excellent Body Snatchers d’Abel Ferrara en 1993, le sympathique Les Maîtres du monde de Stuart Orme en 1994 (toujours avec Donald Sutherland, mais cette fois-ci inspiré d’un roman de Robert A. Heinlein), et l’oubliable Invasion d’Olivier Hirschbiegel en 2007. Aucun d’entre eux n’atteint le parfait équilibre du classique de Philip Kaufman.

Note : 5 sur 5.

L’INVASION DES PROFANATEURS (Invasion of the Body Snatchers). Philip Kaufman (USA – 1978).
Genre : Science-fiction/horreur. Scénario : W. D. Richter, d’après le roman The Body Snatchers de Jack Finney. Interprétation : Donald Sutherland, Brooke Adams, Jeff Goldblum, Veronica Cartwright, Leonard Nimoy… Musique : Denny Zeitlin. Durée : 115 minutes. Disponible en Blu-ray et DVD chez Rimini Editions.


Le Blu-Ray de Rimini Editions

L'INVASION DES PROFANATEURS de Philip Kaufman

TECHNIQUE. Le Blu-ray édité par Rimini Editions propose un nouveau Master HD. Il en résulte une image (format 1.85) extrêmement belle et lumineuse, nettoyée de ses défauts et présentant un contraste et une précision d’excellente tenue. Dotée d’un grain appréciable, l’image comporte néanmoins quelques fourmillements intempestifs lors de quelques plans sombres, ce qui ne gâche en rien le visionnage. Les scènes en extérieurs ou très éclairées disposent quant à elles d’un rendu quasi parfait. Du côté sonore, la version originale est présentée sur la jaquette en 5.1, ce qui, après vérification, n’est pas le cas puisque la piste se révèle être en 2.0. DTS Master Audio, comme la version française. Rien de dramatique néanmoins puisque la piste originale brille par son dynamisme et son côté percutant (mention spéciale aux effets sonores, sonneries de téléphone, cris des extraterrestres et à la musique de Denny Zeitlin qui se trouvent très bien restitués). La version française est assez bien lotie également, avec un doublage « à l’ancienne » plutôt sympathique.

Note : 4 sur 5.

INTERACTIVITE. Du côté des bonus, l’éditeur a mis le paquet avec plusieurs modules, tous dignes d’intérêt, faisant intervenir les comédiens et concepteurs du films. « Au cœur de l’invasion » (9’) est une courte interview de la sympathique Brooke Adams qui revient avec humour sur son rôle, sa première scène de nue et sa relation (très) étroite avec Donald Sutherland sur le tournage. « Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et aimer les cosses » (15′) mêle des interventions des comédiens, du réalisateur et de son scénariste, ainsi que l’éclairage du directeur de la photographie Michael Chapman, avec une foultitude d’anecdotes. « Une invasion signée Jack Kinney » (25’) donne la parole à Pascal Montéville, enseignant en Sciences Politiques à School Year Abroad de Rennes (qui signe également le livret de 12 pages qui accompagne l’édition), et spécialiste de la science-fiction qui revient sur les histoires originales de Jack Finney, les films et les remet en perspective. Passionnant. Enfin, en exclusivités pour le Blu-ray, trois autres modules ont été ajoutés : « Mener l’invasion » (25’) est une interview du comédien Art Hindle, « Récréer l’invasion » (16’) une rencontre avec le scénariste et réalisateur W.D. Richter, enfin, « Mettre l’invasion en musique » (15’) permet au musicien Denny Zeitlin d’expliquer son approche de la musique de film et son travail avec Philip Kaufman. Du tout bon !

Note : 4.5 sur 5.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

2 Comments on [Be Kind Rewind] L’INVASION DES PROFANATEURS de Philip Kaufman (1978)

  1. Content de te voir citer le très bon et fort méconnu Les maitres du monde…
    J’hésitais à investir dans le BR à cause justement de ces fourmillements nocturnes déjà présents dans le master DVD…
    Ton papier m’invite finalement à me laisser tenter car je suis – comme toi – un grand fan de ce film, monument de frousse paranoïaque 😉

    Aimé par 1 personne

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