[Critique] LA FORME DE L’EAU de Guillermo del Toro
Après l’intéressant Le Labyrinthe de Pan en 2006, le moins intéressant blockbuster Pacific Rim en 2013 et un détour par la série avec Chasseurs de trolls, Guillermo del Toro revient avec une nouvelle bestiole, fraîchement dégoulinante de récompenses prestigieuses dont l’Oscar du meilleur film. Beaucoup d’agitations pour un film qui fait plouf !
Après une séquence d’ouverture assez belle, la mise en scène, certes « under-contrôl », s’enlise rapidement dans un classicisme convenu, ponctué cependant de réelles fulgurances visuelles (la scène d’amour subaquatique par exemple). Et après ? Après, pas grand choses ou trop de choses…
Une grammaire qui prend l’eau
Préférant l’apparat à l’épure, le film s’embarrasse de tout un décorum de carton-pâte : De la créature parfois franchement grotesque à l’inscription de l’histoire en pleine guerre froide avec costumes d’époque, laboratoire secret digne d’un épisode de Papa Schultz et traître soviétique finalement pas si traître. En extrapolant, on pourrait y voir, notamment dans le personnage tout à la fois brutal et impuissant de Strickland (Michael Shannon), une critique de l’Amérique, de sa toute-puissance, de sa bien-pensance et de sa volonté hégémonique mais bon, pour un vrai coup de canif, on repassera ! Pour ça, encore aurait-il fallu que l’acculturation agisse dans les deux sens. Car c’est bien la culture d’Elisa (donc la culture américaine) qui est transmise à « l’indigène » dont le récit se contrefout de nous en dire davantage si ce n’est que son sexe est apparemment étonnant. On sent là quelques rares tentatives de second degré mais qui tombent invariablement à l’eau car engoncées dans un système très produit et trop scolaire duquel les interprètes sont incapables à tirer le moindre décalage.
En définitive, ne se dégage de l’esthétique générale du film aucune modernité et pire, une nostalgie passéiste plutôt qu’un charme vintage. Miroir de cette déconfiture, le -très beau- titre du film laisse présager une présence immatérielle intrigante qui ouvre tous les imaginaires. De visu, le mystère se débine lâchement en s’incarnant ni plus ni moins en homme-grenouille chelou. Plouf !
La belle et la bébête
Avec La forme de l’eau, Guillermo del Toro se pose clairement en conteur et propose une resucée de La Belle et la Bête version aquatique. Hélas, là ou Jean Cocteau (1946) proposait une recréation du mythe maniant avec une virtuosité audacieuse le double, les faux-semblants, les symboles et des effets rudimentaires d’une rare puissance évocatrice, Guillermo del Toro se contente d’un adaptation d’une naïveté pénible. Mais comparons ce qui est comparable !
Toutefois, puisque le film est auréolé de l’Oscar du meilleur scénario original, La forme de l’eau doit bien compter une singularité salutaire. Hélas, derechef, force est de constater que les arcs narratifs récitent tous les poncifs du genre : le monstre n’est pas celui que l’on croit, deux êtres dépourvus du langage des hommes se comprennent mutuellement, l’ennemi n’est pas celui que l’on croit, ouvrons nos cœurs à la différence, etc, etc, etc… Régurgitant platement le schéma narratif du conte (situation de départ, quête, péripéties, résolution) et brossant des personnages ultra-codifiés, la dramaturgie en devient archi-prévisible et on se prend à s’ennuyer rapido face à la mise en place très longue de la situation, la valse des bons sentiments et une histoire rodée et déjà anticipée de bout en bout. Le comble restant, ATTENTION SPOILER : l’apparition des branchies dont tout un chacun aura compris très tôt que c’est bien de ça dont il s’agit / FIN DU SPOILER.
Avec La forme de l’eau, Guillermo del Toro se contente de réciter une partition déjà vue sans réelle plus-value ou originalité. L’argument de la fable apparaît bien maigre au regard des nombreuses carences du film tantôt boursouflé, tantôt cul-cul, incapable de digérer ses références pour les projeter plus loin. Un conseil : (re)lisez les contes pour enfants infiniment plus cruels (et donc forcément plus intéressants) ou (re)voyez absolument le chef-d’oeuvre de Jean Cocteau !
LA FORME DE L’EAU
Guillermo del Toro (USA – 2017)
Genre Fantastique – Interprétation Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins, Doug Jones, Michael Sthulbarg… – Musique Alexandre Desplats – Durée 123 minutes. Distribué par 20th Century Fox.
L’histoire : Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…
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