[Critique] MANHUNT de John Woo

La résurrection de John Woo… ou la confirmation de son inexorable déclin artistique… Manhunt, nouveau film du maître du polar et du cinéma d’action hongkongais des années 80/90, devait apporter un semblant de réponse, après une longue traversée du désert et un silence de près de cinq ans depuis The Crossing, film chinois qui n’a pas rencontré le succès escompté. Passé du statut de cinéaste intouchable et célébré avec The Killer (1989), Le Syndicat du crime (1986) et autres Une balle dans la Tête (1990), John Woo était même parvenu à valider son passage à Hollywood, avec le sublime Volte-Face (1997).
Son style opératique, si souvent copié, jouait avec succès du délicat équilibre entre l’emphase de sa mise en scène (ses ralentis… ses fondus enchaînés… les postures héroïques/iconiques de ses personnages… ses colombes…) et le risque du ridicule et du maniérisme pompier. Un dosage sur le fil que ses derniers films ne parvenaient plus réellement à trouver (Mission Impossible 2 est difficilement regardable aujourd’hui). Les dernières déconvenues de la carrière de Woo l’amènent aujourd’hui à se relancer donc avec ce Manhunt, que le cinéaste conçoit comme un hommage au film homonyme réalisé par Jun’ya Sato en 1976 et mettant en scène Ken Takakura, son idole et modèle affirmé des personnages interprétés par Chow Yun-Fat.

Paresse artistique…

Entre film hommage et résurgences de ses œuvres passées, Manhunt égrène une galerie de personnages assez consistante en nombre, mais beaucoup moins en qualité. Deux héros à première vue antagonistes : le bon flic intègre d’un côté et l’avocat accusé à tort, victime d’une sombre machination, de l’autre. Les deux hommes, dans un pur style du cinéma de Woo, s’opposent avant de faire cause commune. Mais doivent faire face à deux tueuses à gages sexy, un flic véreux… Tout ce petit monde se tourne autour, se met en joue et fini par se shooter dans un grand fracas et des mouvements d’appareils frénétiques (pour des scènes d’action néanmoins toujours lisibles). Avec ce Manhunt, on ne peut pas réellement affirmer que John Woo a perdu la main. Par instants on retrouve la dynamique et l’efficacité des scènes d’action typiques du cinéaste, mais sans la magie ni la douce naïveté qui nimbaient les meilleurs moments d’A toutes épreuves par exemple. On est ici dans de l’exécution pure et simple, de la réalisation pas aidée non plus par une photographie assez laide, mettant en avant une image numérique pas loin d’être repoussante. Woo recycle son style et ses figures attendues jusqu’à l’écœurement, s’autocaricature à l’excès, voir comment il intègre les vols de colombes pour s’en convaincre. Cette vaste opération de recyclage n’est pas tant dans le style, que dans les moments « forts », les thèmes et les héros « Wooïens » de sa filmographie, qui sont ici réunis tels un patchwork mal ficelé et au final, contre-productif en termes d’intérêt cinématographique. L’hommage, y compris à son propre cinéma, a ses limites. On est davantage dans la paresse artistique, voire si on était excessif, dans la facilité malhonnête. Et que dire de ce choix, en ce qui nous concerne, incompréhensible, de passer de la langue cantonaise à l’anglais sans justification aucune.

Du John Woo… mais en moins bien

On devine très vite qui tire les ficelles de cette abracadabrante machination, alors que le récit s’embarque d’un polar en mode buddy-movie attendu mais correct vers une histoire de complot et de surhommes médicalement modifié, complètement ridicule. Comme si les anciennes œuvres du cinéaste se percutaient (consciemment ?) pour aboutir à un monstre de film, comme si The Killer rencontrait Paycheck. A ce titre, la dernière demi-heure du film, gros morceau bourratif de science-fiction de bas étage, apparaît comme ce qu’il y a de plus embarrassant dans toute la récente carrière de John Woo.
Au final, Manhunt, c’est du John Woo… mais en moins bien. Et c’est triste à dire.


MANHUNT
John Woo (Hong-Kong/Chine – 2017)

Genre Thriller – Interprétation Zhang Hanyu, Masahara Fukuyama, Ha Ji-won, Angeles Woo, Jun Kunimura… – Musique Tarô Iwashiro – Durée 106 minutes. Distribué en DVD, Blu-ray et VOD par Metropolitan Filmexport – Facebook (8 février 2019).

L’histoire : L’avocat d’une puissante firme pharmaceutique d’Osaka est accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Alors que ce dernier prend la fuite pour trouver les coupables, un policer aux méthodes expéditives se lance à sa poursuite. Commence alors une chasse à l’homme entre fracas de tôle et tonnerre des armes à feu.


Chronique réalisée en partenariat avec Cinétrafic, qui propose le meilleur du cinéma asiatique cette année, et les thrillers de 2019.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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