[Critique] SUSPIRIA de Luca Guadagnino
Infernal Affairs


Projeter de réaliser un remake de Suspiria, le chef d’oeuvre acclamé de Dario Argento (1977), apparaît comme une aberration et une belle opportunité de foirade artistique. Malheur à celui qui s’y essaiera ! Pourtant, après bien des années de flottement, c’est l’Italien Luca Guadagnino qui s’y est collé. Auteur de films (A Bigger splash, 2015 ; Call Me by your Name, 2017) en apparence très éloignés de l’univers de sorcellerie baroque créé par Argento, le cinéaste débarque à la tête du projet avec pour effet de plonger tout le monde dans un certain scepticisme. Pourtant, à la vision du film, c’est une évidence. En fait de remake, ce Suspiria version 2018 ne reprend que la trame du film original, conservant les grandes lignes de l’intrigue, les personnages, une certaine proximité spatio-temporelle (en 1977, date de sortie du Argento, à Berlin ici contre Fribourg auparavant). On y suit toujours une jeune danseuse américaine, Susie Bannion, intégrant une prestigieuse compagnie de danse. Sur place, d’étranges phénomènes se produisent, révélant des liens évidents avec la sorcellerie… Voilà pour les références à l’oeuvre d’Argento. Ce qui intéresse Luca Guadagnino, c’est de s’approprier la mythologie autour de Suspiria et de livrer sa propre vision. Une démarche artistique que l’on ne peut que saluer…

Hystérique et sidérant
De fait, ce nouveau Suspiria ne cesse d’évoquer son modèle tout en s’en écartant drastiquement. Luca Guadagnino malaxe le matériau original, l’étire dans tous les sens et le replie sur lui-même pour en faire une expérience totalement autre. Il y met en place une atmosphère plus oppressante qu’effrayante, grâce à un savant travail sur la photographie et l’image, ses (sur)cadrages à la fois précis et alambiqués (on ne compte plus les reflets dans les miroirs), les jeux d’ombre, les plongées radicales, et se permet même quelques zooms sauvages ou à l’inverse, délicats. La musique de Tom Yorke, leader de Radiohead, entêtante à souhait, et le casting prodigieux (Tilda Swinton, Dakota Johnson, Mia Goth, Angela Winkler y sont époustouflantes) sont autant d’éléments qui concourent à faire de cette version 2018 une oeuvre puissante, un sommet du film d’ambiance, une plongée tétanisante dans les affres de la création artistique (les spectaculaires chorégraphies emportent tout) et un miroir évident d’un contexte social tendu avec des références constantes : les actes terroristes de la Bande à Baader, Berlin scindé par le mur, les réminiscences de la Seconde Guerre Mondiale et sa culpabilité latente… Autre différence majeure du Argento, cette nouvelle version s’échappe des murs du sinistre bâtiment de l’école de danse, s’insinue dans des lieux publics, tout en renforçant paradoxalement encore davantage son caractère d’enfermement et de suffocation (le mur de Berlin y est omniprésent). Offrant de purs moments de grâce horrifique, ce Suspiria devient de plus en plus fou au fur et à mesure de sa progression, s’achevant avec une séance de sabbat orgiaque lâchant la bride du gore, aussi dingue dans son concept que dément dans sa représentation à l’écran. Luca Guadagnino y laisse aller de toute évidence une inspiration morbide et opératique qu’on devine sans limite dans un déferlement visuel hystérique et sidérant.

Alternative passionnante
Assez éloigné du surnaturel et des couleurs pétantes du film de Dario Argento, de son approche et son influence du conte de fées, Suspiria version 2018 et sa grisaille constante, sa froideur visuelle générale, se pose clairement comme une alternative passionnante, dotée d’une puissance d’évocation rare et hypnotique, mais aussi d’une richesse thématique forte (il y aurait beaucoup à dire des impressionnants cours de danse, comme reflets à peine déformés d’une manipulation de la jeunesse, surtout dans un contexte social et politique aussi lourd que celui du Berlin des années 70…) On se trouve donc, et c’est un cas relativement rare, en présence de deux œuvres extrêmement fortes, communes sur autant de points qu’elles divergent sur bien d’autres. Un cas assez isolé de deux propositions d’une même intrigue et d’un même thème aux approches artistiques radicalement différentes, que l’on pourrait très largement et tranquillement faire cohabiter l’une à côté de l’autre. Jusqu’à même, sacrilège ultime, en arriver à pouvoir préférer le nouveau venu à son prédécesseur…
SUSPIRIA. De Luca Guadagnino (USA/Italie – 2018).
Genre : Horreur. Scénario : David Kajganich. Interprétation : Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth, Angela Winkler, Ingrid Caven, Sylvie Testud, Chloë Grace Moretz… Musique : Tom Yorke. Durée : 152 minutes. Distribué en vidéo par Metropolitan Filmexport (3 avril 2019).
L’histoire : Susie Bannion, jeune danseuse américaine, débarque à Berlin dans l’espoir d’intégrer la célèbre compagnie de danse Helena Markos. Madame Blanc, sa chorégraphe, impressionnée par son talent, promeut Susie danseuse étoile. Tandis que les répétitions du ballet final s’intensifient, les deux femmes deviennent de plus en plus proches. C’est alors que Susie commence à faire de terrifiantes découvertes sur la compagnie et celles qui la dirigent…
Mouais… la proposition était certes intéressante mais le résultat – bancal – ne m’a pas pleinement convaincu.
ça reste estimable mais je suis loin d’être aussi emballé
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J’ai été hypnotisé et happé. De la première à la dernière seconde
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