[Critique] BLINDSPOTTING de Carlos López Estrada

Gangsta's Paradise

Après une poignée de courts-métrages et clips, le jeune réalisateur Carlos López Estrada passe au long-métrage avec Blindspotting, première oeuvre conçue sur la base d’un scénario rédigé à quatre mains par le duo Daveed Diggs et Rafael Casal. Les deux hommes, amis d’enfance, ont grandi dans la ville d’Oakland, en Californie. Diggs est rappeur et comédien, Casal slameur et poète, tous deux sont imprégnés de la culture rap et hip-hop et interprètent les rôles principaux du film. Diggs y incarne Collin, un jeune homme en liberté conditionnelle, motivé à ne pas franchir la ligne rouge pour ne pas retourner en prison, chose que fait allègrement son bouillant compère Miles interprété par Casal. Dans un univers marqué par la culture gangsta, les conflits ethniques, le racisme ordinaire et les inégalités, les deux hommes tentent de faire leur place, entre un job de déménageurs, une vie de famille pour l’un et un slalom permanent entre la violence de la rue et les limites imposées par la loi. Collin est témoin d’une bavure policière, ce qui est présenté comme l’élément central autour duquel se développe le film, n’en est au final qu’une composante, un élément déclencheur, mais qui ne fait qu’irriguer l’ensemble des autres aspects de l’intrigue et de la personnalité des deux protagonistes.

Gangsta mais pas trop

Doté d’une imagerie gangsta renforcée par la réalisation aux effets clippesques d’Estrada, Blindspotting avance avec les apparats évidents du projet (trop) stylisé et (trop) engagé, bref : une cible facile. Pourtant, force est de le reconnaître : on est en présence d’un petit bijou de film indépendant, dont la forme et le propos s’épousent avec intelligence et naturel. Le scénario de Diggs et Casal y est pour beaucoup, qui reprend les archétypes et passages forcés du “gangsta-film”, brassant des thèmes attendus comme la violence quotidienne, le port des armes à feu, l’usage qui en est fait, mais également la gentrification, soit la transformation urbaine et sociale des espaces défavorisés investis par la population blanche et aisée, tout en les contournant de manière très habile, déjouant les attentes. Qu’on ne s’y trompe pas, Estrada, Diggs et Casal développent une démarche au demeurant éminemment politique sans pour autant donner l’impression d’asséner un discours sentencieux. Et le résultat est bien là, le film frappe fort et juste, il est pertinent. Rien n’y est tout blanc ni tout noir, la vérité de l’existence de Collin et Miles se situe dans les interstices. Une cohérence qui se retrouve dans son titre, Blindspotting, qui évoque la face cachée des choses, ce que le point de vue, par définition partial, occulte immanquablement. Un choix une fois encore authentiquement judicieux et une approche courageuse.

Le cool organique

Loin des méthodes hargneuses du réquisitoire racial et du drame social qui se prend un peu trop au sérieux (coucou Spike Lee, on préférait tes premiers films), Blindspotting la joue plus subtil et décontracté, jouant avec brio sur la variété et les ruptures de tons, associant passages de comédie (certaines scènes sont extrêmement amusantes, voire drôles), et moments de tension dramatiques (le jeune fils de Miles jouant avec l’arme à feu), voire oniriques (le tribunal, le cimetière). Un mélange des genres réussi et maîtrisé, jusque dans son usage du slam dans les dialogues, qui apporte rythme et musicalité, mais est porté surtout en étendard comme substitut à la violence physique, dans une scène finale anti-spectaculaire (là encore, les attentes sont déjouées) et pourtant si percutante.
Pour autant, ce premier long-métrage n’est évidemment pas exempt de défauts, qui apparaissent comme autant d’erreurs de jeunesse. Mais sa sincérité, l’intelligence de sa conception scénaristique et filmique, l’énergie qui s’en dégage, l’excellence de ses comédiens, la pertinence de son propos et la puissance de sa bande-son balaient l’ensemble pour en faire une sacrée bonne surprise. A bien y réfléchir, le cœur de la réussite de Blindspotting se situe dans l’humanité qui s’en dégage, la force de ses personnages (les protagonistes féminins sont fouillés et déterminants) mettant à l’amende quantité de films désincarnés visibles par ailleurs. Blindspotting est la quintessence du film cool dans ce que le terme peut avoir de plus organique.

Note : 4 sur 5.

BLINDSPOTTING. De Carlos López Estrada (USA – 2018).
Genre : Comédie dramatique. Scénario : Rafael Casal et Daveed Diggs. Interprétation : Daveed Diggs, Rafael Casal, Janina Gavankar, Jasmine Cephas Jones…. Musique : Michael Yezerski. Durée : 95 minutes. Distribué par Metropolitan (28 mars 2019).

L’histoire : Encore trois jours pour que la liberté conditionnelle de Collin prenne fin. En attendant de retrouver une vie normale, il travaille comme déménageur avec Miles, son meilleur ami, dans un Oakland en pleine mutation. Mais lorsque Collin est témoin d’une terrible bavure policière, c’est un véritable électrochoc pour le jeune homme. Il n’aura alors plus d’autres choix que de se remettre en question pour prendre un nouveau départ.


L’édition Blu-ray de Metropolitan

TECHNIQUE. L’éditeur Metropolitan met à disposition une copie absolument splendide. Dotée d’une définition cristalline, d’un piqué précis et d’une colorimétrie pointue, l’image assure sur à peu près tous les points. Les contrastes sont appuyés et saisissants. Sans conteste une image de toute beauté. Les deux pistes en DTS HD Master Audio sont puissantes et dynamiques. Les dialogues claquent et la musique martèle. L’ensemble baigne dans une belle amplitude sonore. C’est net et précis.

Note : 4 sur 5.

INTERACTIVITE. L’envers du décor n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il est présenté avec simplicité et passion. Sans proposition superflue, les bonus permettent ici d’en savoir plus sur la conception du film grâce à un sympathique making-of d’une trentaine de minutes faisant intervenir acteurs, réalisateurs, producteurs et exposant la genèse du projet, les liens étroits entre les deux comédiens/scénaristes. Un journal de bord tenu par le réalisateur Carlos López Estrada permet de s’immerger un peu plus dans les conditions du tournage grâce à des instantanés filmés au téléphone. Le petit plus : chaque participant au tournage a droit à sa courte présentation face caméra. Enfin, quelques scènes coupées et un commentaire audio complètent cette section fort honnête.

Note : 3 sur 5.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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