[Be Kind Rewind] MAGIC de Richard Attenborough (1978)

Puppet Master

Le sous-genre du film de poupées maléfiques a trop souvent négligé l’aspect atmosphérique de son concept pour s’épancher dans des délires d’effets visuels et sanglants quelque peu roboratifs. Pour trouver trace d’un représentant un tant soit peu marquant et malsain dans la catégorie, il faut se pencher sur une œuvre réalisée par un cinéaste plutôt profane dans le genre et qu’on n’attendait pas nécessairement à la tête d’un tel projet. Richard Attenborough, réputé pour ses biopics au classicisme éprouvé et poussiéreux (Gandhi, Chaplin), n’apparaît pas à première vue comme le candidat idéal pour livrer un film de frousse habité et inspiré… Et pourtant, avec Magic réalisé en 1978, le réalisateur d’Un Pont trop loin livre une entorse à ses habitudes en adaptant le roman de William Goldman (Marathon Man, Les Hommes du Président) de manière plus que convaincante. On y suit un artiste ventriloque plutôt introverti et timide, Corky, accompagné de sa marionnette Fats, véritable double de son propriétaire et exutoire de sa part d’ombre et de ses névroses. Le motif du double maléfique n’est pas nouveau, le film est d’ailleurs le descendant d’un des segments (Le Mannequin du ventriloque) du film à sketchs britannique Au Cœur de la nuit (1945). Mais il trouve ici une représentation marquante et dérangeante que l’on doit en premier lieu au jeu totalement habité d’un jeune Anthony Hopkins déjà très impliqué dans son rôle et auteur d’une interprétation haute en couleurs. Le comédien, futur interprète d’Hannibal Lecter, s’est littéralement plongé dans son double personnage, s’exerçant à la pratique de la ventriloquie et de la manipulation par l’illusion. Il dégage une certaine folie fiévreuse dans sa composition qui, déjà, apparaît comme l’une des plus abouties de sa carrière. Un élément-clé à la réussite de Magic qui peut, par ailleurs, s’appuyer sur une mise en scène une fois encore relativement classique d’Attenborough, sans effets ostentatoires (les amateurs de débordements graphiques et de sensations fortes vont être déçus), mais qui sait composer une ambiance malaisante, voire malsaine, parcourue de saillies de violence dans un dosage toujours très équilibré.

Double Je

Le rythme de Magic est posé, voire lent, mais n’ennuie jamais, car l’alchimie entre la réalisation d’Attenborough, l’intrigue au cheminement millimétré de Goldman et le jeu fiévreux d’Hopkins favorisent une immersion et un intérêt continu. Si les scènes-chocs ne sont pas légion, que les mises à mort restent relativement timides, c’est que le projet du film est plutôt d’ausculter la lente désagrégation d’un esprit malade. Magic n’est pas un film d’horreur à proprement parler, mais un thriller psychologique de tout premier ordre, à la mécanique huilée interrogeant les thématiques de la folie et du double, qui peuvent d’ailleurs rapprocher le film du Psychose d’Alfred Hitchcock, auquel le scénario renvoie par petites touches, que cela soit dans son atmosphère générale, sa représentation de la schizophrénie, de la vampirisation par un « esprit » autre, ou même dans le cadre même d’une grande partie de l’action : ces cottages isolées dans la forêt qui évoquent les chambres du motel Bates. L’omniprésence de la marionnette Fats, être ou objet inquiétant dans son apparence volontairement dérivée du physique d’Hopkins et vêtue de la même manière que son personnage, est gérée de main de maître. Sa position dans le cadre n’est jamais anodine, le magnétisme qu’elle dégage, en grande partie due à la mise en scène et à l’inquiétant thème musical composé par le grand Jerry Goldsmith, lui confèrent une personnalité telle qu’on a le sentiment de voir le pantin vivre, bouger, alors qu’il ne s’agit que d’un effet de la manipulation de Corky (et du réalisateur). Des leçons sur lesquelles sauront s’appuyer des descendants de Magic comme par exemple The Boy de William Brent Bell ou James Wan pour Dead Silence. Ici, les concepteurs du film ne versent jamais dans le surnaturel, ne cèdent pas à la tentation de faire de Fats un être maléfique, si ce n’est dans une conclusion toute en ambiguïté, mettant en scène la magnifique Ann-Margret, premier rôle féminin du film qui apporte un contrepied parfait à Hopkins, tout comme les seconds couteaux Ed Lauter et Burgess Meredith, eux-mêmes remarquables
De toute évidence, Magic a tout du petit classique méconnu, de l’œuvre atmosphérique matricielle à redécouvrir de toute urgence.

Note : 4.5 sur 5.

MAGIC
Richard Attenborough (USA – 1978)

Genre Thriller psychologique – Avec Anthony Hopkins, Ann-Margret, Ed Lauter, Burgess Meredith… –Musique Jerry Goldsmith – Durée 107 minutes. Distribué par Rimini Editions (12 février 2021).

Synopsis : Formé par le vieux Merlin, l’illusionniste Corky Withers rencontre le succès à partir du jour où il introduit dans son spectacle une marionnette à son image, nommée Fats. Ventriloque, Corky détourne l’attention du public grâce aux plaisanteries de Fats : autant Corky est gentil et effacé, autant Fats est vulgaire et agressif. Bientôt possédé par sa marionnette, celle-ci l’entraîne à commettre des actes diaboliques et meurtriers.


L’édition Blu-ray de RIMINI EDITIONS

TECHNIQUE. Une très belle image restaurée, très propre, avec une belle granulation pour cette édition dont le piqué, les contrastes et les niveaux de détails sont de très bonne tenue, sans être non plus complètement renversants. Mais les conditions pour (re)découvrir le film sont excellentes. Pareil côté son, où les deux pistes proposées en DTS HD Master audio 2.0 font correctement le boulot, sans exagération aucune, ni démonstration de force superflue.

Note : 3.5 sur 5.

INTERACTIVITE. Comme d’habitude avec cette collection chez Rimini, le combo DVD/Blu-ray dispose d’un livret de 24 pages intitulé Maudit Pantin (24 pages) rédigé par Marc Toullec. Celui-ci est complété par une section de bonus assez courts dans l’ensemble : une interview vidéo d’Anthony Hopkins pour la télévision espagnole datant de 1978 (7′) dans laquelle il évoque son implication dans le rôle, suivie d’une interview radio du comédien la même année (4′). On trouve également une interview du directeur de la photographie Victor J. Kemper datant de 2006 (12′), des essais maquillage d’Ann-Margret (2′) relativement superflus et pourtant hypnotiques tant la comédienne rayonne, auxuqles s’ajoutent le film annonce accompagné de spots TV et Radio. Le Blu-ray contient par ailleurs un supplément plus conséquent en durée : Fats et compagnie : une histoire de la ventriloquie (27′) dans lequel intervient Dennis Alwood, ventriloque et conseiller technique sur le film.

Note : 3 sur 5.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

1 Comment on [Be Kind Rewind] MAGIC de Richard Attenborough (1978)

  1. Revu récemment dans cette édition BR très honnête et je trouve vraiment que le film a pris de la bouteille…
    Et il reste un des 3 ou 4 plus beaux rôles d’Hopkins à ce jour.

    Aimé par 1 personne

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