[Be Kind Rewind] SERPICO de Sidney Lumet (1973)
Seul contre tous

Pour son premier long-métrage, Douze Hommes en colère, sorti en 1957, Sidney Lumet réalisait déjà un coup de maître salué par la critique. Il semait surtout déjà les graines d’un cinéma qu’il ne cessera de développer par la suite, années après années, films après films. Une filmographie riche et tournée vers l’individu, un cinéma contestataire mettant en lumière les dysfonctionnements du système judiciaire, énorme machine broyant de l’humain à tour de bras. Arrive Serpico en 1973, l’un des grands films du cinéaste. Sur un scénario rédigé à plusieurs mains, notamment par Peter Maas d’après son propre ouvrage inspiré d’une histoire vraie, le film retrace la lutte acharnée de Frank Serpico, policier new-yorkais bien décidé à mettre à jour la corruption généralisée au sein des forces de police et judiciaire. Al Pacino, interprète de ce personnage en marge, flic libéral, progressiste et incorruptible, y livre l’une de ses prestations les plus mémorables. Le comédien, chantre de la méthode Actors Studio, enfile les invraisemblables tenues excentriques de son personnage, autant d’éléments lui permettant de mieux se fondre parmi la population new-yorkaise, de coller au plus près d’une société en pleine évolution, autant qu’elles le distingue notablement et moralement des uniformes institutionnels de ses collègues agents du NYPD. La lutte de cet individu isolé au sein de l’institution policière gangrénée dans sa grande globalité se révèle être une véritable croisade au sein d’un système corrompu, fait de pots-de-vin et d’arrangements financiers en tous genres. Un vaste terreau de corruption permettant aux forces de l’ordre de s’enrichir, qui plus est sur le dos des malfrats et de la justice.



Copland
Le personnage de Serpico se voudrait être le grain de sable qui tente de faire enrayer la machine, mais se révèle au final comme une goutte d’eau dans la mer de la corruption, se heurtant aux murs infranchissables d’une machinerie pourrie jusqu’à la moelle. Un système généralisé qu’affronte seul ce héros épris de justice, dont les alliés potentiels, à l’intégrité toute relative, s’effacent au fur et à mesure, mettant à mal sa vie professionnelle, personnelle, jusqu’à sa santé mentale et physique. La descente aux enfers de ce personnage progressivement fracassé, Sidney Lumet la filme dans un style brut et réaliste. Une marque de fabrique qui accompagnera le cinéaste tout au long de sa carrière, y compris lors de ses films semblant embrasser un genre marquant (Les Yeux de Satan). A la suite d’une scène d’ouverture où le personnage est au plus mal, séquence dont saura se souvenir Brian De Palma pour son chef d’œuvre L’Impasse (Carlito’s Way) de nouveau avec Al Pacino, le récit fait un bond en arrière pour évoluer ensuite au fil d’une temporalité effectuant habilement de grands écarts, au gré des transformations physiques de Pacino/Serpico, devenant de plus en plus obsédé par sa quête de vérité et de justice. Au-delà du combat de son personnage principal, Sidney Lumet capture avec beaucoup d’acuité les tournants d’une société, les caractéristiques sociologiques d’une époque, filmant les rues de New-York comme un documentariste. Faisant de Serpico un témoignage fort et un film majeur des années 70 qui en a compté tellement… Deux ans plus tard, Pacino et Lumet remettront le couvert à l’occasion d’un non moins mémorable Un Après-midi de Chien…
SERPICO. De Sidney Lumet (USA/Italie – 1973).
Genre : Policier/drame. Scénario : Peter Maas, Waldo Salt, Norman Wexler, Sidney Kingsley. Interprétation : Al Pacino, John Randolph, Jack Kehoe, Biff McGuire, Barbara Eda-Young, Cornelia Sharpe, Tony Roberts, John Medici, Allan Rich, Edward Grover… Musique : Míkis Theodorákis, thème de Giacomo Puccini. Durée : 130 minutes. Disponible en Blu-ray chez Studio Canal (1er avril 2021).
L’édition Blu-ray de Studio Canal

TECHNIQUE. Cette nouvelle version du film tirée d’un nouveau master 4K ne va pas forcément faire l’unanimité. Une opération de restauration et de réétalonnage a été effectuée avec des parti-pris visuels pour le moins tranchés et dont le rendu risque de faire débat. Ainsi, l’image de ce nouveau Blu-ray se voit affublée d’une dominante de couleurs verte et jaune, des tons plus chauds qui n’aparaissaient pas dans la précédente édition de datant de 2010. Ici, ce choix assumé apporte une patine cinéma incontestable, mais propose également une définition peut-être un peu moins précise et des noirs moins profonds. Même si l’image dans sa globalité reste d’un excellent niveau, avec une absence quasi totale de défauts.
Côté son, les deux versions anglaise et française ne bénéficient “que” de pistes en PCM 2.0. Dommage, serait-on tenté de dire… Et pourtant, le dynamisme qui se dégage de l’ensemble est remarquable. Dialogues, musique, bruits d’ambiance, tout est fait pour assurer un confort d’écoute indéniable.
INTERACTIVITE. Dans la section bonus, cette édition Studio Canal propose un entretien avec le défunt réalisateur Sidney Lumet. Un module très intéressant sur les rapports du cinéaste avec sa ville New-York, entrecoupé d’extraits de Serpico. Mais pas d’éclairage non plus sur le film en lui-même. Second bonus, un documentaire sur Al Pacino, qui revient sur sa carrière dans les grandes lignes. Deux suppléments appréciables mais qui n’évoquent qu’indirectement le film, chose que fait plus précisément la troisième proposition de la section bonus, puisqu’il s’agit d’un long documentaire de presque 1h40 qui s’intéresse au véritable Frank Serpico. Un film dans le film qui mérite d’être découvert.
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