[Critique] LA NUIT DU 12 de Dominik Moll

Memories of Murder

Cinéaste à la sensibilité artistique marquée, Dominik Moll avait embarqué tout le monde en 2000 avec Harry, un ami qui vous veut du bien, film terrassant qui mettait en place un univers singulier que le cinéaste a décliné ensuite dans des œuvres ayant fait moins l’unanimité (Lemming, Des Nouvelles de la planète Mars, Seules les bêtes). Point commun cependant : la présence du scénariste et compagnon de route Gilles Marchand qui participe activement à l’élaboration du cinéma “Mollien”. Avec La Nuit du 12, les deux hommes livrent un nouvel opus, un thriller lorgnant du côté du film policier procédural. Tiré du livre 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna, le film raconte l’enquête policière visant à résoudre l’assassinat d’une jeune fille brûlée vive à Saint-Jean-de-Maurienne. La Nuit du 12 est un film fascinant, au sens propre du terme, tout d’abord dans sa volonté de décrire par le détail l’enquête de police, réalisée par une unité de la PJ de Grenoble. Des hommes investis qui doivent faire face à des conditions de travail franchement médiocres, dans des bureaux étroits et inconfortables, avec des moyens techniques d’un autre temps. C’est dans ce cadre que Dominik Moll fait se succéder les interrogatoires des différents suspects, avec la volonté d’approcher au maximum d’une certaine forme de réalisme. Chaque piste qui s’ouvre succède à une autre qui se ferme, provoquant doutes, colères, choix difficiles… Dans sa description du milieu policier, le film est déjà passionnant. Il est d’autant plus remarquable quand il met en avant la porosité entre la profession et la vie privée, la personnalité de chacun et l’enquête sordide à laquelle ils sont confrontés. Le personnage de Marceau, interprété à fleur de peau par Bouli Lanners, est le vecteur le plus évident de cette contamination de l’affaire et de la vie privée. Lui et ses collègues nagent à contre-courant, usés par des conditions qui ne leur facilitent pas la tâche. Mais le plus impressionnant reste le personnage du capitaine de police Yohan, incarné tout en bouillonnement intérieur par Bastien Bouillon (déjà présent dans Seules les bêtes). Stoïque et dans le contrôle en permanence, il impressionne en mettant à jour les doutes et failles du personnage, suivant le principe que chaque enquêteur a une affaire qui le hante. Le comédien offre une prestation impressionnante, et ses faces à faces avec la non moins excellente Anouk Grinberg, dans un rôle de juge d’instruction, sont des scènes de pure gourmandise. Car La Nuit du 12 brille également par l’interprétation générale, sur un ton naturaliste, le film est habité par tous ses comédiens, dans un ensemble et un ressenti qui renvoient à l’approche de Harry, un ami qui vous veut du bien.

Boys don’t cry

Revenant perpétuellement sur cette terrible nuit du 12 octobre 2016 au cours de laquelle la jeune Clara Royer, 21 ans, a été aspergée d’essence avant d’être immolée par un mystérieux individu, moment charnière qui hante les protagonistes (parents, policiers, voisins), le film fait défiler une brochette de jeunes hommes, tous anciens amants de la victime, aux caractères différents mais à la culpabilité potentielle, tous affichent à leur manière un profil de suspect. C’est là le cœur du discours du film. A la manière de David Lynch dans Twin Peaks, qui révélait au compte-goutte les névroses de Laura Palmer, dans un cadre là aussi montagneux qui évoque également la série Les Revenants de Fabrice Gobert, avec ses lotissements à flanc de montagne, Dominik Moll et Gilles Marchand se gardent bien de juger le comportement de la jeune femme, mais laissent entrevoir au fil des témoignages, le portrait d’une jeune fille affichant une liberté flirtant avec les limites. Une approche à la morale dangereuse, mais à laquelle Moll et Marchand tordent le cou, puisque le film rappelle que tout reste sujet à interprétation. C’est dans ce tourbillon des points de vue que tente de surnager le capitaine de police. La Nuit du 12 ne se prive pas de décrire une masculinité toxique et omniprésente, “ils pourraient tous être le tueur” constate le capitaine de police, dans un élan de lucidité sur un sujet décidément très dans l’air du temps. Et le film se gardera bien de révéler un coupable personnifié et identifié, pour faire de son histoire et de sa morale un coup de projecteur dénonçant la virilité dominante et nocive, dans un geste qui peut évoquer, toutes proportions gardées, le discours du Men d’Alex Garland. De sa facture technique exemplaire à ses choix de mise en scène audacieux et pertinents, en passant par sa tension permanente et suffocante, la subtilité avec laquelle il raconte la société patriarcale et la domination masculine sur les femmes, La Nuit du 12 est une grande œuvre juste, qui saisi le spectateur pour ne plus le lâcher. Assurément l’un des films français les plus marquants de 2022.

Note : 4.5 sur 5.

LA NUIT DU 12. De Dominik Moll (France/Belgique – 2022).
Genre : Thriller. Scénario : Dominik Moll et Gilles Marchand, d’après le livre 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna. Interprétation : Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi, Johann Dionnet, Thibaut Evrard, Julien Frison, Lula Cotton-Frapier, Anouk Grinberg… Musique : Olivier Marguerit. Durée : 114 minutes. Distribué en vidéo par Blaq Out (23 novembre 2022).


L’édition Blu-ray de Blaq Out

TECHNIQUE. Alternant une facture visuelle à la fois naturaliste et par moments aux frontières d’une approche fantastique, avec ses éclairages et ses couleurs mordorées, le film s’offre avec cette édition Blaq Out un écrin visuel de grande qualité avec des couleurs percutantes, des contrastes forts avec des noirs profonds, y compris lors des nombreuses scènes nocturnes. La piste sonore en DTS-HD Master Audio 5.1 est en tous points remarquable, avec notamment une clarté des dialogues à souligner, qui ne souffrent jamais de l’omniprésence des autres éléments sonores. Pas besoin de jouer du volume pour s’assurer de saisir tous les échanges verbaux puisque tout est ici précis, tant dans le jeu des comédiens que dans les capacités du disque proposé.

Note : 4 sur 5.

INTERACTIVITE. L’éditeur ajoute en bonus un entretien avec le réalisateur Dominik Moll. Celui-ci évoque le livre dont il s’est inspiré avec Gilles Marchand pour le film, et de revenir sur l’ensemble des étapes et composantes de la conception du film.

Note : 2.5 sur 5.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

1 Comment on [Critique] LA NUIT DU 12 de Dominik Moll

  1. 100% d’accord. Un des meilleurs films de l’année…

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  1. [Actus] TOP/FLOP de l’année 2022 – Obsession B

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