[Critique] ACHOURA de Talal Selhami

Génération perdue

Le passage au second long-métrage est souvent jalonné d’embuches. Talal Selhami en sait quelque chose. Après une première réalisation en 2009 avec Mirages, le cinéaste a dû patienter de longues années, non pas pour pouvoir se lancer dans un nouveau projet, mais pour enfin être en mesure de sortir le film fini. Achoura a été achevé en 2018 dans des conditions difficiles (faillite du producteur français, reprise totale des SFX numériques) et, après avoir arpenté les festivals de cinéma de genre (notamment au PIFFF, mais aussi à Sitges où il a été récompensé du prix spécial du jury), il a enregistré un beau succès en Asie et en Russie notamment. Pourtant, le film est invisible en France jusqu’à aujourd’hui, en 2023, où il sort au format vidéo grâce à l’éditeur Le Chat qui Fume. L’issue d’un long parcours au cours duquel la meilleure volonté du jeune réalisateur et de son équipe s’est heurtée à de sérieuses galères en post-production, quelques errements artistiques, mais aussi une bonne dose de poisse. Reste aujourd’hui un film, la vision de son auteur, bancale et imparfaite, même si parsemée de fulgurances. On y suit quatre jeunes se rendant dans une demeure condamnée, réputée maudite. L’un d’eux disparaît dans des circonstances mystérieuses. Les trois survivants refoulent le souvenir de ce qui s’est passé, jusqu’à ce que Samir ne resurgisse 25 ans plus tard. La bande recomposée va devoir se confronter à son passé… Achoura pose l’éternelle question : doit-on juger le film à l’aune de ses intentions ou de manière purement factuelle au regard du résultat, aussi bancal soit-il ? Un peu des deux…

Il est revenu

Authentique film de monstre, Achoura est une production horrifique franco-marocaine, ce qui en fait déjà une belle curiosité. Inspiré d’une cérémonie religieuse de l’islam, basé sur le folklore et les légendes locales, nourri aux influences de tout un tas de films de genre, Achoura est surtout parcouru par l’ADN des récits de Stephen King, dont Talal Selhami ne se cache pas être un immense fan. Avec ce projet, il assume de réaliser son adaptation personnelle de Ça, transposée à sa manière, en pays marocain, quelques temps même avant que le projet d’Andy Muschietti ne devienne réalité. On y retrouve une créature maléfique qui traque les enfants, le récit alternant deux temporalités, la bande qui se reforme pour combattre la bête. A la vision d’Achoura, on est de toute évidence en terrain connu, Selhami a voulu se faire plaisir et partager son enthousiasme bien palpable avec les spectateurs. On trouve dans cette sincérité un véritable argument en faveur du film, car l’envie, la passion du cinéaste et un vrai savoir-faire transpirent de chaque cadre et de chaque mouvement de caméra. C’est également l’une des limites du film. Rien de bien neuf sous le soleil, si ce n’est une représentation des paysages marocains très éloignée des clichés de carte postale. Si Talal Selhami a bénéficié d’un budget supérieur à son premier effort, Mirages, les moyens alloués, malgré tout limités, n’ont pas permis au réalisateur de transposer à l’écran l’intégralité de sa vision. Entendons-nous bien, il y a beaucoup de cinéma dans Achoura et Talal Selhami, ardent défenseur d’un cinéma de genre de haute volée, sait emballer des scènes d’angoisse et des visions horrifiques de très belle tenue. Mais son film se heurte à plusieurs problèmes majeurs qui empêchent de l’apprécier à sa juste valeur. L’interprétation en premier lieu, est très aléatoire, notamment du côté des enfants qui peinent à convaincre. Autre problème épineux, les effets visuels numériques ne sont clairement pas à la hauteur d’un tel projet. Si le film bénéficie d’effets animatroniques très convaincants, notamment liés à la superbe créature au design très réussi du spécialiste des SFX Jean-Christophe Spadaccini, les effets numériques sont quant à eux totalement ratés, associés à des scènes sur fond vert très mal incrustées, ce qui gâche réellement la fête et donne la sensation d’un travail inachevé. Le film souffre par ailleurs d’un rythme un peu trop expédié, là où on aurait aimé prendre un peu plus de temps pour s’immerger dans l’univers imaginé par Selhami. C’est terriblement dommage, car, sans pouvoir prétendre être une œuvre marquante dans le genre, Achoura semblait en mesure de se hisser à hauteur des bons films de monstre, réalisés avec le cœur et une bonne dose de talent. Reste un brouillon de ce qu’aurait pu être une version plus aboutie. Il n’en demeure pas moins qu’on scrutera avec intérêt le troisième film du réalisateur, qu’on espère aussi sincère et investi et moins sujet aux déboires et autres mauvaises surprises.

Note : 2.5 sur 5.

ACHOURA. De Talal Selhami (Maroc/France – 2018).
Genre : Horreur. Scénario : Jawad Lahlou, David Villemin, Talal Selhami. Interprétation : Sofia Manoucha, Younès Bouab, Omar Lotfi, Moussa Maaskri, Ivan Gonzales… Musique : Romain Paillot. Durée : 96 minutes. Disponible en Blu-Ray chez Le Chat qui Fume (31 décembre 2022).


L’édition Blu-ray du Chat qui Fume

TECHNIQUE. Cette édition propose une très belle image, qui respecte bien la photographie à la fois sombre et contrastée d’un film tourné essentiellement de nuit. Une belle image qui gagne en piqué et en clarté lors des scènes d’extérieur lumineuses. Une justesse technique qui vient malgré tout souligner les défauts visuels liés aux effets numériques et autres problèmes d’incrustation d’image sur fond vert.

Note : 3.5 sur 5.

INTERACTIVITE. Un gros making-of de presque une heure domine les bonus de cette édition, des images de tournage prises sur le vif, comme à la belle époque, des instantanés qui parviennent à témoigner de l’ambiance et de l’implication de chacun sur le plateau. Une longue interview de Talal Selhami permet de mieux comprendre les influences du film, mais aussi et surtout les nombreux déboires rencontrés lors de la post-production (producteur français en faillite, effets numériques à reprendre à zéro…). Une interview sincère. Des interventions des comédiens, un court module sur la musique du film et sur les effets visuels complètent l’interactivité. C’est foisonnant et particulièrement éclairant sur la conception du film, même si l’ensemble n’échappe pas à une certaine forme de répétition.

Note : 4.5 sur 5.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

1 Comment on [Critique] ACHOURA de Talal Selhami

  1. Je ne lis pas parce que je ne l’ai pas encore vu mais j’en ai très envie…
    Je ne connais pas Mirages non plus…

    J’aime

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