[Critique] ÇA d’Andrés Muschietti

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513263.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxxC’est à un mastodonte de la littérature fantastique auquel s’est attaqué Andrés Muschietti, en acceptant l’adaptation du roman de Stephen King, Ça, suite au départ du projet de Cary Fukunaga (néanmoins crédité en tant que coscénariste). Déjà porté au petit écran avec le double programme Il est revenu, réalisé par Tommy Lee Wallace en 1990, Ça est une oeuvre culte ayant marqué toute une génération de lecteurs depuis sa sortie en 1986. La gageure était énorme, l’attente immense face à ce qui constitue toujours actuellement un jalon indéboulonnable de la culture horrifique mondiale.
L’arrivée d’Andrés Muschietti aux commandes de Ça suscitait beaucoup d’espoir. Avec son premier long-métrage, Mama, sorti en 2013, et dont le sujet central explorait déjà l’enfance pervertie, le cinéaste argentin avait marqué les esprits par sa propension à insuffler dans son récit horrifique, une charge émotionnelle rare dans ce type de production. Aujourd’hui, la copie rendue avec ce second long-métrage vient confirmer tout le talent de Muschietti. La maîtrise technique et son savoir-faire pour construire des scènes d’angoisse graphiques ou plus suggérées, sont restées intactes. En l’état, le film n’invente rien sur le plan de la peur. Il s’inscrit ainsi dans son époque en empruntant de temps à autre les grosses ficelles du jump-scare ou du frisson facile, mais il n’en abuse jamais et privilégie toujours son récit et ses personnages aux effets à l’emporte pièce. Visiblement fin connaisseur du roman de Stephen King, le réalisateur livre un film d’horreur violent, graphique, superbement photographié, et surtout extrêmement fidèle à l’histoire et aux thématiques de l’auteur de Bangor. Une adaptation de Ça enthousiasmante, malgré de menues réserves…

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La perte de l’innocence

De toute évidence, cette nouvelle adaptation de Ça ne pouvait prétendre à meilleure transposition aujourd’hui, dans un contexte marqué par un cinéma d’horreur qui ressasse les mêmes procédés ad nauseam, le plus souvent sans enjeu scénaristique à la hauteur. Ce qui n’est pas le cas ici. Brillant récit d’horreur, véritable exercice de mise en scène dans lequel Muschietti semble s’être beaucoup amusé à faire monter la sauce à chaque apparition du clown, Ça est une belle réussite dans le sens où il valide un certain nombre de critères sur lesquels il était fortement attendu, et en premier lieu, la fidélité au roman de King. Certes, la décision de scinder l’histoire en deux chapitres cinématographiques distincts, l’un revenant sur la période des enfants dans les années 80, pour ensuite laisser place à un deuxième volet centré sur les adultes (qui serait agrémenté de flashbacks), est un choix discutable, dont la pertinence ne pourra être jugée qu’à la vision des deux chapitres. Mais en l’état, ce premier opus fonctionne plutôt bien.
Autre bon point, on y retrouve les idées fortes que sont la perte de l’innocence, le douloureux passage au monde adulte, les notions d’individualité et le rapport au groupe, à l’unité, autant de thématiques abordées par Stephen King dans le roman qui sont habilement restituées. A l’image du Stand by Me de Rob Reiner (1986), autre adaptation de Stephen King qui fait encore aujourd’hui référence en la matière, Ça est avant tout un récit initiatique, avant d’être une plongée dans l’horreur. Les jeunes héros, membres du « club des ratés », se retrouvent contraints de s’affranchir de leurs propres peurs, matérialisées par le clown Pennywise, pour faire face au monstre tapi dans l’ombre et franchir une étape déterminante dans leur évolution vers la vie d’adulte.

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A la recherche de repères

Ça ne démérite pas et propose une adaptation littérale et fidèle du livre, jusque dans ses excès. Car c’est là aussi l’une des forces du film, parvenir à proposer, au sein d’une commande de studio destinée à alimenter massivement les multiplexes du monde entier, une plongée brutale et violente dans un univers à la fois fantastique, où les enfants sont littéralement hantés et agressés par un clown prenant l’apparence de leurs peurs les plus enfouies, mais aussi un accent plus réaliste avec le harcèlement par de petites frappes du quartier ou encore ce père violent et incestueux. Ça dresse le portrait de jeunes individus à la recherche de repères.
Le film est jalonné de séquences horrifiques particulièrement graphiques, tentant de se rapprocher au maximum des situations originales imaginées par King. En ce sens, Muschietti remplit à merveille son cahier des charges en assumant frontalement des moments marquants et fondateurs (mais aussi potentiellement casse-gueules) du livre, en en faisant des scènes puissantes. On pense immédiatement à l’épouvantable meurtre du jeune Georgie, qui ouvre le roman et a traumatisé tant de lecteurs. La scène, dépressive au possible, se retrouve ici reproduite dans toute sa violence et son horreur visuelle. Autre jalon, la séquence de la salle de bain où Beverly fait littéralement face à un bain de sang, symbole de ses angoisses liées à ses pertes menstruelles, et qui, là aussi, est présentée avec le jusqu’au boutisme nécessaire à l’intensité qu’elle implique (et l’éloigne considérablement du même épisode dans le téléfilm). Les rapports troubles de la jeune fille avec son père ne sont, en outre, pas passés sous silence. Dernier exemple, toute la brutalité d’un parricide à l’arme blanche particulièrement sanglant et montrée en très gros plan. En revanche, on ne retrouve pas dans ce premier opus la scène de sexe dans les égouts entre Beverly et ses jeunes compagnons, limite évidente que le studio n’a pas souhaité franchir (à moins que dans le second chapitre…) Pour autant, Andrés Muschietti et ses scénaristes ne se débinent pas et marquent des points importants auprès des fans qui attendaient une transposition qui ne trahissait (ou n’édulcorait) pas l’oeuvre de King.

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Une influence de plus de trente ans

Alors évidemment, Ça n’est pas le film parfait. Certains points négatifs viennent assombrir le tableau. A commencer par une interprétation assez inégale, problème inhérent aux films mettant en scène de jeunes acteurs. Si Sophia Lillis est une Beverly extrêmement convaincante et une vraie découverte, Jaeden Lieberher peine pour sa part à communiquer toutes les nuances du personnage de Bill Denbrough… Par ailleurs, l’alchimie du club des ratés ne saute pas immédiatement aux yeux, chacun jouant un peu sa partition dans son coin, même si certaines scènes en réunion sont très réussies (les atermoiements du triangle amoureux Ben, Bill et Beverly). On pourra également reprocher à Ça une certaine impression de « déjà-vue », mais ce serait oublier l’influence de l’oeuvre originale, un matériau riche qui a posé les fondations de nombre de livres et films depuis plus de trente ans. Un juste retour des choses, donc. Enfin on pourra aussi s’étonner de la qualité toute relative de certains effets en CGI, étonnamment grossiers pour une telle production.

Des défauts qui ne viennent pourtant pas entacher le plaisir coupable que l’on ressent au visionnage du film. Une expérience quelque peu troublante, comme une forme d’aboutissement d’un fantasme de fan qui verrait cette histoire si marquante et personnelle enfin prendre vie à l’écran avec les moyens et le talent nécessaires à son entreprise. Une adaptation fidèle, respectueuse au plus haut point de l’esprit de Stephen King. Sans pour autant s’imposer comme le nouveau chef d’oeuvre du cinéma d’horreur, Ça est une réussite qui présente la particularité d’allier une approche à la fois moderne et passéiste. Une transposition à l’écran soignée, qui, par sa violence graphique et sa hargne morale, devrait faire son petit effet auprès du public. On a coutume de dire que les meilleures adaptations de Stephen King à l’écran sont celles dont les réalisateurs se sont appropriés les écrits de l’auteur pour mieux les transposer (Shining, Carrie). Ça fait plutôt partie des adaptations littérales soignées et honnêtes sur toute la ligne, dignes de l’écrivain. Et c’est déjà énorme…

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ÇA
Andrés Muschietti (USA – 2017)

4

Genre Horreur – Interprétation Bill Skarsgård, Jaeden Lieberher, Sophia Lillis, Jeremy Ray Taylor, Finn Wolfhard, Wyatt Oleff, Nicholas Hamilton… – Musique Benjamin Wallfisch – Durée 135 minutes. Distribué par Warner Bros.

L’histoire : Plusieurs disparitions d’enfants sont signalées dans la petite ville de Derry, dans le Maine. Au même moment, une bande d’adolescents doit affronter un clown maléfique et tueur, du nom de Pennywise, qui sévit depuis des siècles. Ils vont connaître leur plus grande terreur…

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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