[Critique] KILL LIST de Ben Wheatley
Irréversible


Kill List est le deuxième film du Britannique Ben Wheatley (Down Terrace auparavant et pas vu par ici…). Cette nouvelle réalisation du cinéaste pose d’emblée les fondements de ce que l’on peut attendre d’une oeuvre noire et complexe très prometteuse. Car depuis, Wheatley a livré la comédie noire Touristes, encensée par la critique, ainsi qu’un segment de l’anthologie horrifico-foutraque The ABCs of Death et s’apprête à mettre en boîte le prometteur A field in England. Pour le moment, le bonhomme trace un sillon plutôt enthousiasmant, qui le place incontestablement dans le panier des cinéastes à suivre de près.
Mais revenons à cette deuxième réalisation. Etrange association de différents genres de récits au sein d’un même film, Kill List déroute, tant il emprunte des chemins de traverse, autant qu’il séduit, car le film est ultra maîtrisé. Découpé en trois parties qui se nourrissent les unes des autres, le film de Ben Wheatley est un mini film univers, donnant à voir un microcosme de personnages au nombre assez réduit, placés dans autant de situations aux tonalités différentes, comme plongés dans des révélateurs permettant de découvrir les facettes de chacun d’entre eux. Ce qui semble s’annoncer au premier abord comme un film de gangsters sur fond social tel qu’aurait pu l’imaginer un Ken Loach un peu plus débridé, n’est en fait que la première partie d’un puzzle plus complexe. Wheatley dépeint le tableau d’un couple au bord de la crise de nerfs suite à une longue période d’inactivité du mari, ancien soldat perdu dans la société et au sein même de sa cellule familiale. Relations tendues entre Jay et sa femme Shen, dialogues électriques, les vingt premières minutes de Kill List ne prêtent pas à sourire. Une ambiance plombée qui culmine avec une longue scène de dîner, au cours de laquelle le couple reçoit l’acolyte de Jay, Gal et sa compagne. Cette séquence, puissante et pourtant en partie improvisée par les comédiens, est le tremplin du film. Gal propose un nouveau contrat à Jay, où l’on comprend alors que les deux hommes ne font pas dans la dentelle puisqu’ils sont tueurs à gages. Toute la sécheresse de cette séquence est contrebalancée par une multitude d’émotions, renvoyées avec brio à la gueule du spectateur par des comédiens brillants.

Psychose et violence
Alors que le film perd progressivement ses oripeaux de film à coloration sociale, au demeurant fort réussi, la deuxième partie bascule quant à elle clairement (et finalement assez logiquement) dans le genre du thriller très noir. Mais Ben Wheatley n’est pas cinéaste à caresser le spectateur dans le sens du poil, et encore moins à le prendre par la main et à le faire se complaire dans un environnement calme, attendu et balisé. Car si ce deuxième acte prend l’apparence du film noir, découpé en chapitres suivant les personnages à éliminer, il plonge la tête la première dans une forme de noirceur insondable matinée d’une violence radicale. La personnalité psychotique de Jay ressort alors ouvertement, lui qui n’hésite pas à tuer froidement un contrat à grands coups de marteau dans la tête. La crudité visuelle des séquences contraste avec la violence mentale retenue de la première partie de Kill List. Comme si cela ne suffisait pas, le cinéaste glisse au sein de ces scènes gores et dérangeantes, quelques éléments à la frontière du fantastique, comme ces étranges rendez-vous avec les commanditaires des contrats. Ces scènes quasi oniriques, aux personnages méphistophéliques, pouvant évoquer le cinéma de David Lynch, achèvent de faire basculer le film dans une troisième et dernière partie aux confins de la folie.

Horreur et rites payens
Le dernier acte s’engage quant à lui vers une certaine forme de cinéma fantastique anglais des années 70, dont The Wicker Man de Robin Hardy constitue le plus fier représentant. Croyances et rituels païens font ainsi brutalement irruption dans l’intrigue. Brutalement ne veux pas pour autant dire gratuitement, tant pour le coups, les indices parsemés tout au long du film (l’étrange symbole qui ouvre le générique et se retrouve dessiné chez Jay et Shen, les victimes de Jay et Gal qui se font exécuter avec un étrange sourire…) prennent ici tout leur sens. Les tueurs à gages découvrent en même temps que le spectateur l’horrible et inexorable piège conduisant à la mort et à la folie qui s’est peu à peu refermé sur eux. Wheatley fait là encore preuve de beaucoup de doigté et de maîtrise dans sa description de l’horreur, avec une scène de poursuite dans les tunnels tétanisante ou encore un dénouement atroce, et achève son film en laissant le spectateur sur les rotules.
Kill List est un film ambitieux, dans sa construction, sa juxtaposition d’éléments à priori disparates, ses différentes thématiques, le jeu de ses comédiens (Neil Maskell et Michael Smiley sont fabuleux), et atteint grâce à une honnêteté et une maîtrise sans faille le statut de chef d’oeuvre haut la main. Il va de soit que l’on attend la suite de la carrière de ce réalisateur anglais avec beaucoup d’impatience…
KILL LIST. De Ben Wheatley (GB – 2011).
Genre : Thriller. Scénario : Ben Wheatley et Amy Jump. Interprétation : Neil Maskell, Myanna Buring, Harry Simpson, Michael Smiley… Musique : Jim Williams. Durée : 95 minutes.
C’est drôle que tu trouves que les 20 premières minutes ne prêtent pas à sourire, moi, au contraire, je trouve toute la première partie d’une irrésistible drôlerie, notamment dans ses dialogues…
Mais c’est sans doute parce que j’avais fréquenté de très près l’humour très noir de Wheatley avec Down Terrace 😉
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C’est aussi peut-être parce que les situations décrites sont tellement tendues, qu’elles en deviennent drôles… Le jeu excellent des comédiens y est aussi pour beaucoup, et quels dialogues ! Bon dieu, quel put… de film !!!!!!!!!!!! 😉
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