[Critique] LE SECRET DE LA CHAMBRE NOIRE de Kiyoshi Kurosawa

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LE SECRET DE LA CHAMBRE NOIRE de Kiyoshi Kurosawa

Cinéaste adulé pour ses parti-pris de mise en scène et son approche poétique du cinéma fantastique (de fantômes plus précisément), Kiyoshi Kurosawa (Cure, Charisma) tentait un pari en tentant de marier sa sensibilité cinématographique à bien des égards typiquement japonaise, à un pays occidental comme la France, venant tourner à en région parisienne avec une équipe technique et des acteurs français, son vingtième film Le Secret de la chambre noire.
Le cinéma de Kurosawa, reconnu pour être porté sur l’atmosphère, trouve sa grandeur dans son inimitable façon d’explorer les frontières entre la vie et la mort. C’est à nouveau le sujet principal du Secret de la chambre noire, dont les personnages Stéphane (Olivier Gourmet), Jean (Tahar Rahim) et Marie (la troublante Constance Rousseau, une vraie révélation) évoluent en constante relation plus ou moins consciente avec le monde des esprits.
Photographe professionnel, que les shootings de mode ennuient profondément, Stéphane n’aborde son art que par le prisme d’un dispositif révolu qu’il s’entête à travailler constamment, le daguerréotype, procédé photographique imprimant sur une surface d’argent, qui agit comme un miroir, qu’il tente de dompter par tous les moyens afin de réaliser le cliché parfait. Celui de sa fille, Marie, et par extension de sa défunte épouse, Denise. Cette volonté de tenter de capter l’essence du sujet photographié, d’essayer de s’emparer de son âme, est déjà une première porte d’entrée vers les aspects surnaturels et l’ambiance fantasmagorique et mélancolique qui baigne le film. Ici, l’artiste utilise un engin géant capable de capter l’image d’un sujet en taille réelle. Ce qui l’oblige à utiliser d’effrayants accessoires, que l’on pourrait situer entre l’outil de torture et l’objet érotique sadomasochiste, afin de maintenir le corps de son modèle, et garantir l’immobilité durant les temps de pause extrêmement longs nécessités par le procédé.

LE SECRET DE LA CHAMBRE NOIRE de Kiyoshi Kurosawa

La mort règne en haut lieu

Le cinéaste évoque le processus de création et sa part de vampirisation. Le photographe cherche à s’emparer du reflet (de l’âme) du modèle, tout en employant les moyens les plus ardus (la structure qui immobilise et absorbe les forces du modèle), voire toxiques pouvant se révéler mortels (le mercure qui détruit progressivement les plantes de la serre). Comme quoi, la mort règne en haut lieu dans cette Chambre noire… Et qui dit mort, dit fantômes. C’est notamment l’apparition de Denise, que Stéphane (qui boit plus que de raison) croit discerner dans les recoins sombres (ou en pleine lumière) de la bâtisse. Mais également celui, moins évident, de sa fille, Marie, dont on ne sait jamais réellement si sa présence relève du réel ou du surnaturel.
Kiyoshi Kurosawa déploie ici toutes sa maîtrise du cadre, toujours extrêmement composé, et tire partie de ses décors presque théâtraux, que sont la vieille demeure de Stéphane et Marie, ou le minuscule appartement de Jean. Avec une économie d’effets, le réalisateur japonais compose une ambiance angoissante et mortifère comme une araignée tisserait sa toile, avec une science de l’attente et du hors-champ faisant toute la différence.

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Vaporeux, languissant et fascinant

Si l’on reconnaît dès la première image le style Kurosawa, on peut également ressentir une certaine forme de déséquilibre entre l’approche du cinéaste japonais, son univers si particulier, et les environnements, le jeu des comédiens et la langue française. En clair, il manque à ce nouvel opus, une bonne partie de la sensation de mystère intrinsèquement liée à la tradition et à la culture japonaise. Il manque également, derrière les superbes tableaux peints par le cinéaste, un soupçon d’émotion, supplantée par une froideur générale. En développant en France ce projet dont il a lui-même écrit le scénario, Kurosawa tente une greffe qui ne prend pas sur tous les points. Tout comme la sous-intrigue de vente immobilière alourdit plus qu’elle ne nourrie le film.
Pour autant, et même s’il souffre d’une longueur peut-être un peu exagérée, Le secret de la chambre noire demeure une oeuvre vaporeuse, languissante et fascinante sur bien des points, un film hanté par la mort, dominé par un romantisme vénéneux, qui évoque autant Rebecca et Vertigo d’Alfred Hitchcock que les films gothiques de la Hammer au détour de certains plans. Une oeuvre atmosphérique qui exige néanmoins de la part du spectateur un effort certain de participation…


LE SECRET DE LA CHAMBRE NOIRE
Kiyoshi Kurosawa (France/Belgique/Japon – 2016)

Genre Drame fantastique – Interprétation Tahar Rahim, Olivier Gourmet, Constance Rousseau, Malik Zidi, Mathieu Amalric… – Musique Grégoire Hetzel – Durée 131 minutes. Distribué en DVD par Condor Entertainment.

L’histoire : Stéphane, ancien photographe de mode, vit seul avec sa fille qu’il retient auprès de lui dans leur propriété de banlieue. Chaque jour, elle devient son modèle pour de longues séances de pose devant l’objectif, toujours plus éprouvantes. Quand Jean, un nouvel assistant novice, pénètre dans cet univers obscur et dangereux, il réalise peu à peu qu’il va devoir sauver Marie de cette emprise toxique.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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