[Critique] INUNAKI, LE VILLAGE OUBLIE de Takashi Shimizu


Célébré pour la saga horrifique à succès Ju-on/The Grudge) déclinée sur grand écran, en série télévisée et ce, jusqu’aux Etats-Unis (dernière déclinaison en date actuellement visible sur Netflix), Takashi Shimizu fait partie des grands noms du cinéma japonais ayant contribué au meilleur du courant Japan-Horror depuis le début des années 2000. Au côté de Kyoshi Kurosawa (Kaïro, Le Secret de la chambre noire) et Hideo Nakata (Ring, Dark Water), le réalisateur a su développer sa propre sensibilité au sein d’une épouvante cinématographique redoutablement efficace qui a marqué les esprits. Le voici aujourd’hui de retour avec Inunaki, le village oublié, une oeuvre qui ne renie en rien le parcours du cinéaste puisqu’il mêle à nouveau une approches horrifique extrêmement efficace ancrée au sein d’un réalisme social chère au réalisateur, à une réflexion sur le refoulement d’un passé que le Japon préfère glisser sous le tapis de la mémoire collective… Le scénario se base sur une légende urbaine japonaise autour du véritable village d’Inunaki, inondé et abandonné après la Seconde Guerre Mondiale, réputé désormais comme un site hanté, qui alimente toutes les théories les plus effrayantes qui soient. Une réputation effrayante mais également nauséabonde, puisque le film décrit la population du village, marginalisée au possible, vivant en quasi autarcie avec des habitudes rétrogrades voire déviantes sur les bords (des « tueurs de chien », dont les sévices pouvaient même s’apparenter à de la zoophilie…) Un postulat idéal pour Takashi Shimizu et son co-scénariste Daisuke Hosaka qui s’en emparent pour livrer leur propre version mêlant adroitement faits avérés et invention pure.

Des cicatrices de l’histoire
Le réalisateur exploite cette croyance en un lieu maudit avec une bonne dose d’inventivité. Même s’il ne révolutionne rien, Takashi Shimizu façonne une atmosphère emprunte d’une angoisse latente (le rythme du film est d’une lenteur assumée), sans oublier d’être alimentée par des scènes horrifiques chocs et morts violentes (la suicidée qui tombe du ciel), des apparitions spectrales, notamment dans une scène d’introduction filmée en caméra subjective. Inunaki, le village oublié ne rechigne pas à faire surgir des silhouettes en fond de cadre et joue avec beaucoup d’à propos sur le fameux tunnel menant au village, élément central du film, sorte de frontière vers l’enfer au-delà duquel toute notion de réalisme n’a plus lieu d’être, comme si les personnages basculaient dans un autre univers à la Silent Hill… Sur le plan horrifique, Inunaki, le village oublié renoue avec la veine malsaine des précédents films de Takashi Shimizu et retrouve cette terrible irruption du surnaturel au sein de la réalité quotidienne qui fait tout le sel de la série Ju-on. On est clairement moins dans le spectre chevelu à la Sadako, que dans la présence lancinante et malfaisante de fantômes dont les effets d’incrustation à l’écran, s’ils ne sont pas les plus réussis, renforcent involontairement (?) la notion de double réalité superposée à la nôtre. Autre faiblesse, avec ses personnages éparpillés, son rythme lancinant, Inunaki, le village oublié se perd un peu dans sa narration, volontairement éclatée, et un poil trop nébuleuse par instants pour assurer une fluidité qui fait, du coup, défaut à cette histoire pourtant intéressante et pertinente dans ce qu’elle dénonce de la société japonaise et de ses démons du passé. Car ce qui intéresse et ce que dévoile Shimizu dans ce récit de village oublié (on pense à la série française Les Revenants, avec son village immergé et son barrage), c’est ce choix de la population et des autorités nippones de volontairement mettre de côté et gommer des consciences certains épisodes délicats de son histoire, comme des cicatrices morales dissimulées, que le réalisateur japonais se fait un malin plaisir de dénoncer, en proposant notamment un plan extrêmement évocateur et sublime où l’héroïne se voit littéralement projeter sur le corps la vérité dans toute son incommensurable horreur.
Inunaki, le village oublié a été récompensé du Prix du Jury au Festival de Gérardmer 2020, et ce n’est que mérité tant le film s’approche au plus près du cauchemar cinématographique et confirme l’importance de Takashi Shimizu dans le panorama du cinéma horrifique actuel.
INUNAKI, LE VILLAGE OUBLIE. De Takashi Shimizu (Japon – 2019).
Genre : Horreur. Scénario : Daisuke Hosaka et Takashi Shimizu. Interprétation : Ayaka Miyoshi, Ryota Bando, Tsuyoshi Furukawa. Musique : Shogo Kaida. Durée : 108 minutes. Disponible en Blu-ray chez Lonesome Bear (16 septembre 2020).
L’édition Blu-ray de LONESOME BEAR

TECHNIQUE. Avec sa volonté de proposer une esthétique relativement réaliste et de développer une ambiance malsaine, l’image de Inunaki n’est pas toujours très propre, sa photographie aux teintes tranchées et assumées pas toujours plaisante et l’image qui en découle dans cette édition signée Lonesome Bear est à l’avenant : avec une définition pas toujours ultra léchée, mais au piqué globalement très bon. Il est nécessaire ici de dissocier les choix artistiques du réalisateur et son chef op et la qualité du disque. Cette dernière n’est pas en cause dans l’aspect « sale » de l’image, livrant même des scènes aux contrastes de couleurs saisissants et aux noirs profonds.
Côté son, les deux pistes VO et VF en DTS-HD Master Audio 5.1 sont de très bonne facture, même si les dialogues français apparaissent plus faiblards. La version japonaise est quant à elle riche et très dynamique.

INTERACTIVITE. Le seul bonus proposé sur cette édition (en dehors de la bande-annonce du film) est une présentation par l’éminent Jean-François Rauger, directeur de la cinémathèque française, du surnaturel dans les films japonais et plus particulièrement du courant de la Japan-Horror. Il propose ensuite un éclairage pertinent sur Inunaki, livrant quelques clés pour mieux appréhender le film. D’une durée de 20 minutes, ce module est passionnant.
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