[Be Kind Rewind] SANCTUAIRE de Michele Soavi (1989)
Michele Soavi est un cinéaste précieux qui, du haut de ses six films en trente ans, a toujours su passionner ou pour le moins, intéresser. Ancien assistant réalisateur de Dario Argento sur Ténèbres (1982), Phenomena (1985) ou Opera (1987) et de Lamberto Bava sur Demons (1985), Soavi lance sa carrière de réalisateur en 1987 avec le Giallo Bloody Bird. Il n’émerge sur la scène internationale qu’en 1994 avec le chef d’oeuvre Dellamorte Dellamore et confirme son statut de cinéaste majeur avec Arrivederci Amore, ciao en 2006. Mais avant de réellement exploser, Michele Soavi a fais ses armes et envoûté son monde avec deux petits films d’horreur assez similaires : Sanctuaire en 1989 et La Secte en 1991.
Initialement prévu pour constituer le troisième opus de la série des Demons, Sanctuaire est placé entre les mains de Soavi qui se réapproprie le script. Dario Argento reste quant à lui au poste de producteur. Un patronage pas si anodin si l’on en croit les influences du réalisateur de Suspiria sur ce second film de Soavi.
Entre horreur et onirisme
Oeuvre étrange, naviguant en permanence entre horreur et onirisme, Sanctuaire démontre encore aujourd’hui la faculté de Michele Soavi à faire d’un sujet assez mince un canevas idéal pour déployer ses idées visuelles les plus dingues et expérimenter à tour de bras. Il est question ici de la propagation du mal à travers le temps, du Moyen-âge où se déroule le prologue déjà assez déroutant et brutal, jusqu’à la fin des années 80, où une cathédrale bâtie sur un charnier d’anciens adorateurs du diable voit les forces du mal se déchaîner. Les restes de Demons sont bien visibles, après le cinéma et l’appartement, l’action se situe ici également dans un lieu en huis-clos où se réunissent des personnages de tous horizons : religieux, bourgeois, intellectuels… que le cinéaste se plaît à confronter à l’entité maléfique malencontreusement libérée par un bibliothécaire un peu trop curieux. Le rapport avec les deux films de Lamberto Bava s’arrête là, qualitativement parlant, Sanctuaire est d’un tout autre niveau.
Si la structure du film évoque Demons, ce qui frappe en premier lieu dans Sanctuaire, c’est l’audace et l’inventivité visuelle qui rappellent le cinéma de Dario Argento. Soavi se laisse aller à toutes les expérimentations formelles, doté d’une caméra plus mobile que jamais, le cinéaste parcourt les moindres recoins de la cathédrale servant de décor au film (tourné à Budapest). D’un dynamisme de tous les instants, Sanctuaire n’en est pour autant jamais indigeste, et multiplie les images marquantes et/ou iconiques, offrant de véritables tableaux horrifiques renvoyant à la peinture de Jérôme Bosch et à l’art gothique, jusqu’à déboucher sur une certaine forme d’abstraction à mesure que les forces du mal commencent à se déchaîner au sein de l’édifice religieux. Déjà à l’aise sur Bloody Bird, Michele Soavi affine ici de toute évidence une mise en scène qui trouvera sa pleine puissance quelques années plus tard sur Dellamorte Dellamore.
Bémol néanmoins, l’intrigue et l’interprétation sont loin d’être proportionnelles aux audaces de mise en scène. Si l’on est bien heureux de découvrir une Asia Argento adolescente, on ne peut que regretter un casting globalement sans saveur et des personnages sans grande envergure.
Pour autant, 30 ans après sa sortie et jusqu’alors distribué de manière confidentielle en France (une VHS dans les années 90), Sanctuaire demeure une véritable curiosité, un film d’horreur modeste et étrange qui sait ménager ses moments gores, et se montrer avant tout d’une générosité et d’une inventivité débordantes.
SANCTUAIRE
Michele Soavi (Italie – 1989)
Genre Horreur – Interprétation Tomas Arana, Barbara Cupisti, Asia Argento, Fedor Chaliapine fils, Hugh Quarshie… – Musique Keith Emerson, Fabio Pignatelli, Philip Glass – Durée 102 minutes. Distribué par Le Chat qui fume.
L’histoire : Moyen Âge. Accusés de servir le Diable, les habitants d’un village sont massacrés par des chevaliers. Afin d’enrayer la propagation du mal, une église est érigée sur le charnier. De nos jours, lors des travaux de restauration qu’elle dirige, Lisa découvre un parchemin dissimulé dans la paroi des sous-sols de l’église. Elle s’empresse d’en faire part à Ewald, le nouveau bibliothécaire. Imprégné des théories de l’alchimiste Fulcanelli, Ewald, bien résolu à percer le secret du parchemin, va, bien malgré lui, réveiller des forces obscures et malveillantes… qui bientôt vont se déchaîner en se propageant à tous ceux présents dans l’édifice.
L’édition du Chat qui fume
Technique : ★★★★★
Bonus : ★★★★☆
Sanctuaire est disponible grâce au Chat qui fume dans une édition maousse combo Blu-ray/DVD au packaging très élégant, au côté de La Secte, autre réalisation méconnue de Michele Soavi. L’édition de Sanctuaire permet de (re)découvrir le film dans des conditions de visionnage optimales. Tirée d’un nouveau master HD, l’image est absolument saisissante et venge de la vilaine VHS « Collection Cauchemar ». Lumineuse, riche en détails, avec toujours ce petit grain cinéma bienvenu et des couleurs et contrastes probants, elle ne souffre quasiment d’aucun défaut. Le film est littéralement redécouvert sous un nouveau jour. Côté son, on pourra piocher allègrement dans trois pistes différentes qui tiennent la route : anglaise, italienne et française, toutes en DTS HD Master audio 2.0.
On le disait plus haut, Le Chat qui fume ne sort jamais sans sa hotte surchargée de bonus. Cette fois encore, l’édition de Sanctuaire dispose d’une jolie série d’entretiens. Dans un module d’une dizaine de minutes intitulé « Lotte », Asia Argento y exprime ses souvenirs du tournage alors qu’elle n’était qu’adolescente. On ne va pas se mentir, tout cela reste assez vaporeux, mais pas inintéressant. Et entendre Asia parler cinéma par les temps qui courent, ça ne se refuse pas. « Le Mystère des Cathédrales » (20′) donne la parole à Michele Soavi, le cinéaste évoquant notamment ses liens étroits avec Dario Argento, la genèse du projet et ses inspirations picturales. D’autres membres de l’équipe technique se remémorent leurs souvenirs de tournage, c’est le cas du scénariste Franco Ferrini (13′), du responsable des décors Massimo Antonello Geleng (21′), du maquilleur Franco Casagni (10′) et du comédien Giovanni Lombardo Radice (14’30). L’ensemble est copieux et passionnant.
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