[Critique] SICARIO : LA GUERRE DES CARTELS de Stefano Sollima
Honneur et filiation


Après la baffe Sicario, réalisé par Denis Villeneuve en 2015, l’arrivée d’une séquelle trois ans plus tard pouvait logiquement surprendre. Pourtant, l’univers du film scénarisé par Taylor Sheridan (Comancheria de David MacKenzie, mais également Wind River, qu’il a lui-même réalisé) se révèle plus riche qu’on aurait pu le penser. De retour à l’écriture de cette suite, Sicario : La Guerre des Cartels, Sheridan recentre ici son attention sur des personnages marquants du premier opus : le tueur à gages (ou sicario) Alejandro Gillick, incarné puissamment par Benicio Del Toro et l’agent du gouvernement Matt Graver, porté par un Josh Brolin ultra-charismatique. Deux monstres qui avaient clairement l’étoffe de porter une nouvelle histoire sur leurs larges épaules. De fait, ils reprennent du service dans cette séquelle qui les confronte à nouveau aux narco-trafiquants, mais en élargissant le propos à des sujets aussi brûlants et contemporains que les vagues de migrants débarquant du Mexique aux Etats-Unis ou encore les actes de terrorisme sur le territoire américain.
Sicario de Denis Villeneuve était un concentré de tension et de noirceur, une plongée suffocante de deux heures dans un univers sans concession. Une réussite quasi totale et une gageure d’autant plus grande pour le réalisateur italien Stefano Sollima (Gomorra) de signer une suite à la hauteur. Ne tournons pas autour du pot : le résultat est au-delà des espérances. La Guerre des Cartels est le prolongement à la fois cohérent et mal élevé du film de Villeneuve. Multipliant les arcs narratifs en un tout brillant de maîtrise et de logique, Taylor Sheridan livre un nouveau scénario tendu et brutal, sans gras superflu. Plus porté sur l’action, ce second Sicario est une course en avant d’une rudesse et d’une violence marquantes, dont la progression est dictée par les choix des personnages et les conséquences de leurs actes. Mais c’est également une œuvre qui, sous son aspect radical, en dit beaucoup par son pouvoir d’évocation sur le monde actuel. Deux nouveaux protagonistes font leur apparition : Isabela Reyes, fille d’un des barons des cartels mexicains, dont l’importance sera centrale dans le récit, et Miguel Hernandez, adolescent cherchant l’émancipation dans le banditisme en assurant le passage illégal de migrants à la frontière mexico-américaine, et caressant secrètement le rêve d’un destin de sicario.

La fin justifie les moyens
La moralité des actes des personnages est à nouveau mise en avant, suivant le principe que « la fin justifie les moyens ». Les agents du gouvernement usant de méthodes pour le moins expéditives et n’hésitant pas à provoquer la fameuse « guerre des cartels » du titre pour arriver à leurs fins. En résulte des scènes baignant dans une tension extrême, marquées d’un suspense étouffant, au rythme de la musique lancinante d’Hildur Guðnadóttir, qui succède au regretté Jóhann Jóhannsson (et qui participait déjà à la bande originale de l’opus initial). La mise en scène de Sollima, à la fois virtuose dans son découpage, ses cadrages et ses mouvements d’appareils, épouse le propos de Sheridan, d’une manière encore plus sèche et directe que le premier opus. En l’absence du personnage d’Emilie Blunt, recrue de police idéaliste et porte d’entrée évidente du spectateur chez Villeneuve, le film se concentre sur les « monstres » Del Toro et Brolin, décrivant leurs (ex)actions avec brutalité et sans concession. En cela, cette séquelle est d’une approche plus directe et évidente, questionnant d’autant plus frontalement les choix moraux des personnages (ici, on ne réfléchit pas deux heures au sort d’un trafiquant, on le flingue).
Œuvre aux accents de western (tant sur le plan formel que thématique), interrogeant les concepts de filiation et de transmission (les deux adolescents suivent des trajectoires de violence dictées par le père naturel ou celui de substitution), Sicario : La Guerre des Cartels est par ailleurs délesté de certaines considérations pesantes de son prédécesseur, ce qui en fait un film d’action brutal et violent, noble et jusqu’au boutiste, assumé et d’une redoutable efficacité. Il constitue haut la main, l’un des tous meilleurs thriller de ces dernières années. Le troisième opus, épilogue évident d’une trilogie annoncée, est d’autant plus attendu.
SICARIO : LA GUERRE DES CARTELS. De Stefano Sollima (USA/Italie – 2018).
Genre : Thriller. Scénario : Taylor Sheridan. Interprétation : Benicio Del Toro, Josh Brolin, Isabela Moner, Jeffrey Donovan, Manuel Garcia-Ruflo… Musique : Hildur Guðnadóttir. Durée : 123 minutes. Distribué par Metropolitan Filmexport (Facebook) en DVD, Blu-Ray et VOD le 27 octobre.
Chronique réalisée en partenariat avec Cinetrafic, qui propose des sélections pour l’année 2018 côté films et les scénarios sur la drogue.
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