[Be Kind Rewind] SPASMO d’Umberto Lenzi (1974)


Dans la carrière prolifique du réalisateur italien Umberto Lenzi, Spasmo ne fait pas figure d’œuvre majeure, au sens où le cinéaste s’est distingué de manière plus évidente avec ses autres gialli comme Une folle envie d’aimer (1969), Si douces, si perverses (1969) et Paranoïa (1970), puis Meurtre par intérim (1971), Le Tueur à l’orchidée (1972), Le Couteau de glace (1972) et Chats rouges dans un labyrinthe de verre (1975). Un véritable spécialiste du genre, qui n’a pas signé les meilleurs représentants du giallo mais y a œuvré avec passion et générosité, à l’image de l’artisan du bis qu’il était. Spasmo, donc, est un film un peu à part dans la longue tradition du giallo, voire même au sein de ses représentants signés Lenzi, puisque le réalisateur reconnaît avoir voulu contourner les codes qu’il avait lui-même utilisé et démocratisé, au même titre que Dario Argento. Un cinéma en réaction qui, d’emblée, et tout jugement qualitatif mis de côté, propose donc une démarche digne d’intérêt. En fait de giallo, Spasmo s’inscrit davantage dans la case du thriller à machination.
La figure de l’assassin mystérieux aux mains gantées n’est pas de mise ici, pas plus que l’incontournable série de meurtres. Ou tout du moins, les rares mises à mort à l’écran n’en sont pas à proprement parler (dans un premier temps) et apparaissent très rapidement comme des faux semblants, des manipulations, car dans Spasmo, les apparences se révèlent trompeuses. Dès lors, on ne peut pas parler non plus de montée de suspense, mais plutôt d’un engrenage infernal dans lequel le héros, Christian, personnage qui ne déborde pas de sympathie, trahi par sa fougue de séducteur, se retrouve aspiré dans une spirale d’événements et de situations incontrôlables visant clairement à lui nuire.

Sombre machination
Qui dit sombre machination, dit scénario machiavélique. Umberto Lenzi et Massimo Franciosa (collaborateur de Luchino Visconti) s’amusent à pervertir la grille de lecture du giallo en le délestant des ses composantes sanglante et sexuelle (ou tout au moins de les contourner), pour aborder le thriller sous un aspect “plus psychologique”, selon les termes de Lenzi. L’idée étant de remettre en question le bien-fondé de ce que vit le héros : est-il paranoïaque ou manipulé ? Un choix intéressant qui, malheureusement, peine à se concrétiser à l’écran. Trop tortueuses et manipulatrices (autant pour le héros que pour le spectateur), l’intrigue et l’enquête menée par Christian pour découvrir la vérité, abusent des raccourcis et autres trous narratifs béants, poussant la suspension d’incrédulité du spectateur dans ses retranchements. Difficile d’y croire lorsque les personnages vont et viennent d’une séquence à l’autre sans réelle cohérence, que certaines situations tournent à l’invraisemblable. A trop vouloir jouer avec le spectateur, à vouloir le perdre dans un labyrinthe scénaristique retors, Lenzi accouche d’un film trop elliptique aux bases pas suffisamment solides, alors qu’une telle entreprise de manipulation et de retournements de situations se doit d’être fignolée dans ses moindres recoins pour espérer fonctionner. Comme souvent dans le ciné Bis italien, l’interprétation est également à l’avenant, et la réalisation de Lenzi, moins tape-à-l’oeil que dans d’autres films, se révèle plutôt fadasse. Et ce, en dépit de quelques scènes pourtant très inspirées, d’idées déviantes et mortifères : les mannequins jalonnant le film, jusque dans une conclusion glaçante, qui évoquent autant Six Femmes pour l’assassin de Mario Bava (1964) que Maniac de William Lustig (qui sortira six ans plus tard). En comparaison, ce Spasmo est de la petite œuvre d’artisan du bis, volontaire mais à la concrétisation trop limitée pour convaincre.
SPASMO Umberto Lenzi (Italie – 1974) |
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Genre Thriller/Giallo – Avec Robert Hoffmann, Suzy Kendall, Ivan Rassimov, Adolfo Lastretti, Monica Monet, Guido Alberti… – Musique Ennio Morricone – Durée 94 minutes. Distribué par BQHL Editions (5 mars 2020). Synopsis : Playboy et fils d’un riche industriel décédé, Christian tombe sous le charme de Barbara, une jeune et jolie femme qu’il découvre évanouie sur une plage. Lorsque, peu après, il la retrouve sur un yacht, celle-ci l’entraîne dans un maelström d’événements étranges et cruels, de meurtres et de faux-semblants. Avec le sentiment d’être pris au piège d’une gigantesque toile d’araignée, Christian croit trouver la clef de l’énigme en se faisant passer pour mort, y compris auprès de son propre frère, quelqu’un qui paraît beaucoup plus stable que lui sur le plan psychologique… |
L’édition Blu-ray de BQHL EDITIONS

Technique
Cette édition blu-ray de BQHL fait suite à celle sortie en DVD par Neo Publishing en 2007 et ne manque pas d’atouts. Evidemment, le rendu technique du disque surpasse le précédent, avec une image d’une belle clarté et à la définition assez remarquable. Les couleurs y sont bien mises en avant, notamment les teintes rouges éclatantes et très significatives dans le film. Les scènes de nuit, assez nombreuses, bénéficient elles aussi de contrastes très corrects, agrémenté d’un léger grain.
Les deux versions proposées (anglaise et française) sont étonnantes de dynamisme et de clarté. Les dialogues apparaissent clairs et puissants, même si le doublage français, pas mauvais en soi, sonne faux. La musique de Morricone est elle aussi bien mise en avant.
Interactivité
L’entretien d’une quinzaine de minutes avec Umberto Lenzi, déjà présent sur l’édition Neo Publishing, montre un réalisateur plutôt fier de son film, de son approche différente, “plus psychologique” et assumée du giallo. Sans grande objectivité, il y voit des qualités qui sont malheureusement restées au stade de l’intention. Le second module, une captation d’un échange avec le public lors du Festival du film fantastique de Manchester qui remonte à 2013, évoque plus largement la carrière du réalisateur, qui revient sur ses principaux films.
Un excellent papier pour un giallo intrigant mais mineur, découvert – pour ma part – il y a quelques années grâce à la collection « jaune » de Neo Publishing…
C’est vrai, ce Lenzi peine à captiver, malgré sa volonté de rompre avec les schémas habituels, de privilégier la psychologie aux scènes chocs… Tout comme toi, j’ai apprécié ces mannequins à la Bava, belle idée visuelle faisant basculer le récit dans l’étrange et l’irréel. Le film profite aussi de la présence d’un grand acteur du Bis : Ivan Rassimov (silhouette glaçante tourmentant la magnifique Edwige Fenech dans « Toutes les couleurs du vice »).
Cela dit, dans la catégorie « giallo (vraiment) atypique et singulier », je préfère le « Je suis vivant ! » d’Aldo Lado.
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Intrigant mais mineur… Tu as tout dit ! 😉
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