[Be Kind Rewind] LONG WEEK-END de Colin Eggleston (1978)
Killer Green

On ne cessera sur ce site de défendre le cinéma australien de genre, dit « Ozploitation », courant qui s’est étendu durant les années 70 et 80 et dont les films ressortent au compte-goutte au gré de la volonté de quelques éditeurs vidéos courageux et passionnés. Au côté d’œuvres reconnues et primées dans les festivals comme Razorback (Russel Mulcahy – 1984), Patrick (Richard Franklin – 1978) ou La Dernière vague (Peter Weir – 1977), cohabitent d’autres films plus rares comme Fair Game (Mario Andreacchio – 1986) ou Next of Kin (Tony Williams – 1982). Des bandes moins célébrées mais pourtant passionnantes et souvent radicales. L’Australie est également la terre du survival par excellence, avec ses grandes étendues désertiques et arides qui ont su souvent favoriser la présence de sociopathes bien claqués du casque. Voir pour s’en convaincre des œuvres aussi hargneuses que Déviation mortelle, Réveil dans la terreur ou encore la série des Wolf Creek. Des fleurons du genre, dans lesquels la nature se taille une part de lion, dépassant sa fonction de décor pour devenir un élément capital de la survie ou de la perte des protagonistes. Et on en arrive à Long Week-end réalisé par Colin Eggleston en 1978. Un film qui part d’un postulat typiquement « survival » puisqu’un couple de citadins, Peter et Marcia, décide de passer le week-end dans un lieu retiré à l’abri des regards, afin de tenter de ressouder une relation amoureuse qui bat furieusement de l’aile… Deux caractères bien trempés et qui apparaissent rapidement assez antipathiques, notamment dans leur propension à épancher leurs instincts destructeurs dans un coin isolé aux abords d’une plage déserte. Un terreau idéal pour provoquer l’antagonisme d’un tueur ou d’un autochtone dégénéré…

Vengeance invisible
Sauf que Long Week-end est un petit peu plus complexe et moins évident que cela… Le film emprunte le chemin tracé du survival, répondant à ses codes, comme un élève appliqué, dans un premier temps tout au moins, pour mieux brouiller les pistes et prendre le spectateur à contre-pied… Car bien que le réalisateur Colin Eggleston sème des indices laissant penser que le couple se dirige tout droit dans un piège tendu par on ne sait quelle famille de détraqués, la menace est d’une toute autre nature… Une menace alimentée par le couple lui-même dans sa relation toxique et nauséabonde d’un côté, mais aussi dans sa nonchalance vis-à-vis de la nature, voire pire, ses attaques répétées à l’encontre de l’environnement qui les entoure. Un kangourou violemment percuté sur la route, des arbres abattus à la hache, des animaux pris pour cible au fusil à lunette, des ordures laissées à l’abandon et au zénith de ce « massacre », la baleine échouée qui ne va cesser de hanter les deux personnages tout au long du film. Comme une représentation du survival ultime, c’est bel et bien la nature qui progressivement referme ses griffes sur les deux citadins, comme des anticorps combattant progressivement un virus ou des bactéries étrangères venant corrompre un organisme. La grande force de Long Week-end se situe dans cette représentation audacieuse d’une relation entre deux êtres qui ne cesse de se dégrader, tout en projetant cette déliquescence sur l’environnement qui les entoure, dans des actes aussi égoïstes que peu respectables. Et de fait, l’ambiance dérive progressivement vers le malaise à mesure que les deux personnages se querellent, au cours d’une longue descente aux enfers imagée, représentée par ce poulet surgelé qui moisit progressivement, comme le symbole d’un couple dont le délitement apparaît comme inexorable. A mesure que la nature prend le dessus sur les personnages, que la fable écologique prend tout son sens, l’environnement devient clairement un personnage à part entière, ou tout au moins une entité insaisissable qui emprisonne les intrus. La réussite de ce script gentiment cruel est à mettre à l’actif de l’inévitable Everett De Roche, scénariste hyper doué et sans concession ayant rédigé quelques scripts figurant dans ce qui se fait de mieux en matière d’Ozploitation avec des titres comme Patrick, Harlequin, Razorback, Les Bourlingueurs…
Avec une économie de moyens évidente, un style assez peu démonstratif et un sens de la construction atmosphérique remarquable, une tension qui grimpe crescendo (le jeu sur le son est à ce titre extrêmement évocateur), Long Week-end réussit là où M. Night Shyamalan échouait avec Phénomènes (2008). Créer un antagonisme naturel et représenter la vengeance de l’environnement naturel sur l’être humain (à une échelle moindre néanmoins) dans une sorte de survival ultime. Avec au final, un épilogue sous forme de retour de bâton vigoureux et de clin d’œil ironique du destin. Un film osé, au sujet fort et pertinent, en avance sur son temps, devenu logiquement un classique incontournable du cinéma australien qui donnera lieu à un remake réalisé en 2008 par Jamie Blanks.
LONG WEEK-END. De Colin Eggleston (Australie – 1978).
Genre : Fable écologique. Scénario : Everett De Roche. Interprétation : John Hargreaves, Briony Behets, Mike McEwen… Musique : Michael Carlos. Durée : 97 minutes. Distribué par Le Chat qui Fume (20 novembre 2020).
L’édition Blu-ray du CHAT QUI FUME

TECHNIQUE. Long Week-end est un de ces films cultes qu’il était devenu compliqué de voir en France dans de bonnes conditions. Avec cette nouvelle édition du Chat qui Fume, on peut légitimement avancer que l’attente en valait la peine. La copie HD du film est superbe, dotée d’un bon gros grain cinéma comme on n’en fait plus, de couleurs qui retrouvent un éclat magnifique, de contrastes bien équilibrés, même si les scènes dans l’obscurité fourmillent quelque peu, notamment dans les premières bobines. Malgré quelques imperfections et rares saletés ayant subsisté à la restauration, l’image est sans conteste d’une propreté remarquable.
Côté bande-son, là aussi, le travail de restauration est exemplaire. Vu l’importance des bruitages et autres sons d’ambiance, le résultat est le bienvenu. Les deux pistes en DTS 2.0 sont limpides, avec un peu plus d’ampleur pour la version originale.
INTERACTIVITE. Pas mal de suppléments à se mettre sous la dent dans cette édition, à commencer par l’intervention d’un habitué, Eric Peretti, programmateur du Lausanne Underground Film Festival, qui, comme à son habitude, recontextualise le film et présente les principaux artisans de sa conception : réalisateur, scénariste, comédiens… Il évoque également la réception du film à l’époque, quelques anecdotes et interprétations toujours pertinentes (12′).
Autres segments, un témoignage découpé en deux parties sur le réalisateur Colin Eggleston (décédé en 2002) par ses proches : l’actrice Briony Behets, Toby Eggleston et Sam Reed (26′) ; des interviews de l’actrice Briony Behets, du scénariste Everett De Roche et du chef opérateur Vincent Monton (18′), du producteur Richard Brennan (24′) et une interview audio de l’acteur John Hargreaves (5′). Enfin, l’éditeur propose une conversation sur le thème de l’horreur écologique « La nature les a reconnu coupables » (24′), évidemment très pertinent vu le sujet toujours d’actualité, une bande-annonce et une fin alternative assez anecdotique.
« Quand la nature prend sa revanche sur l’homme »… Un chef-d’œuvre de terreur atmosphérique, sensitive. On a rarement rendu l’environnement aussi anxiogène… Je me suis pris un sacré coup de boule lorsque j’ai découvert ce « Long week-end » en salle. J’ai encore en tête le thème désespéré de Michael Carlos, les cris d’agonie du bébé Dudong, ce dénouement qui laisse bouche bée… Sans oublier, ses préoccupations écolo, plus que jamais d’actualité… Merci à toi pour cette excellente chronique qui donne envie de déflorer son blu-ray du Chat.
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