[Be Kind Rewind] NEXT OF KIN de Tony Williams (1982)


La Nouvelle Zélande et l’Australie, à la fin des 70’s et au début des années 80, c’était quand même Mad Max de George Miller (1979), Gallipolli et L’année de tous les dangers de Peter Weir (1981 et 1982), Razorback de Russell Mulcahy (1985), Utu et Le Dernier Survivant de Geoff Murphy (1984 et 1985). Des terres de cinoche sacrément enthousiasmantes proposant des films sauvages et habités, aux identités propres et puissantes. Dans cette lignée, on peut également inclure Next of Kin, cauchemar néo-zélandais réalisé par Tony Williams en 1982 et plus connu dans nos contrées sous le titre Montclare : Rendez-vous de l’Horreur.
Next of Kin est basé sur un canevas assez classique dans le domaine du film d’horreur, puisqu’il suit une jeune femme revenant dans le manoir familial à la mort de sa mère où elle assiste progressivement à d’étranges événements, des phénomènes susceptibles de remettre sérieusement en cause sa santé mentale. Sur ce pitch ultra classique, le film trace néanmoins son propre chemin et développe son identité propre, entre le thriller psychologique et l’oeuvre fantastique gothique. Le réalisateur, Tony Williams, plutôt habitué jusqu’alors au format documentaire, y déploie une intrigue proche du « whodunit » avec ses coupables potentiels, son héroïne en quête de vérité. Une approche réaliste mise à mal par des visions, cauchemars et flashs renvoyant à la petite enfance de la jeune Linda (excellente Jacki Kerin), qui ne cessent de venir se percuter et perturber son bon sens, singulièrement remis en question. Plus l’intrigue progresse, plus le réalisme se dérobe sous les pieds de l’héroïne et bouleverse la compréhension du spectateur. Paranoïa ?

Les dérapages du réel
Il faut dire que Tony Williams déploie dans ce Next of Kin une belle aisance dans l’agencement des scènes angoissantes, pour ne pas dire troublantes, dans le dérèglement progressif, égrainant minutieusement les « dérapages » du réel vers une dimension plus inquiétante par des images déconcertantes, comme cette carcasse de voiture perdue dans la forêt. Le cinéaste façonne une atmosphère onirique affirmée. Il use de son décor de manoir gothique avec la volonté d’en exploiter les moindres recoins et s’emploie à en extraire toute la portée sinistre et menaçante. Il en fait un véritable personnage à part entière. Le recours à la steadicam dans les longs couloir de Montclare favorise cette sensation ouatée d’errance et de glissement. La nature du lieu, devenu une maison de retraite, n’est pas en reste, et ajoute à l’inconfort général, puisque ses résidents, pour la plupart gagnés par la sénilité ou la folie, hantent les couloirs de leur étrange présence. Tony Williams puise allègrement dans des influences marquées, on pense notamment à Kubrick et à Polanski, dans sa gestion de la paranoïa et de la folie. Le cinéaste a retenu la leçon et l’applique à merveille. L’une des forces du film est de laisser le doute planer sur la nature de ce qui se passe à l’écran. Next of Kin navigue continuellement entre thriller, fantastique et horreur. Jusqu’à un final où la violence et la folie prennent le pas sur le reste, un climax volontairement violent et éprouvant, qui contrebalance la l’ambiance vaporeuse qui a précédé, et qui donne au film une coloration de slasher, voire de survival.
En découle une oeuvre au rythme languissant et au suspense à tous les étages (!!!), également marquée par la musique électronique de Klaus Schulze (ex-Tangerine Dream), élément incontournable du film qui en rythme la progression et contribue à cette aura totalement justifiée de film autre, étrange, bizarre. Visuellement soigné et esthétiquement très abouti (le plan-séquence final à l’impact énorme), conçu pour que sa forme alimente son intrigue, Next of Kin est l’une de ses perles du cinéma de genre plus ou moins tombées dans l’oubli, malgré l’obtention de la Licorne d’or au Festival du Film fantastique et de science-fiction de Paris en 1982. Près de trente ans après sa sortie, le film de Tony Williams reste une incroyable curiosité, un sommet d’angoisse dans lequel les amateurs pourront, satisfaction supplémentaire, reconnaître la trombine du jeune John Jarratt, quelques années avant d’enfiler la défroque de Mick Taylor, le redoutable tueur de Wolf Creek…

NEXT OF KIN Tony Williams (Nouvelle Zélande – 1982) |
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Genre Thriller psychologique – Avec Jacki Kerin, John Jarratt, Alex Scott, Gerda Nicolson, Charles McCallum… – Musique Klaus Schulze – Durée 89 minutes. Distribué par Le Chat qui Fume (3 octobre 2019). Synopsis : Linda Stevens hérite du domaine de Montclare à la mort de sa mère. Ce vaste manoir aux allures gothiques, perdu dans le bush australien, fut transformé, en 1950, en maison de retraite par la mère et la tante de Linda. Une trentaine d’années plus tard, Linda prend donc les rênes de l’établissement. Peu à peu, la jeune femme est troublée par divers événements : un pensionnaire retrouvé noyé, des cauchemars liés à sa petite enfance, et la sensation oppressante qu’un intrus rôde dans les lieux. Trouvant le journal intime de sa mère, Linda découvre que celle-ci était en proie aux mêmes troubles… Montclare serait-il le théâtre de phénomènes étranges ou un tueur s’est-il invité dans la maison ? |
L’édition du Chat qui Fume

Technique
Dans une édition limitée à seulement 1 000 exemplaires, Next of Kin trouve avec Le Chat qui fume un éditeur capable de traiter le film à la hauteur de son statut d’oeuvre culte. Le Blu-ray bénéficie d’une très belle image, issue d’une restauration à partir d’un scan 4K. Le résultat est franchement chouette, si l’on excepte quelques artefacts et autres salissures toujours présentes à de rares moments, l’ensemble affiche une tenue exemplaire avec des contrastes prononcés, un grain d’origine et une belle luminosité.
Côté son, la piste anglaise DTS-HD Master Audio 5.1 met en avant les sonorités et plus particulièrement la musique de Klaus Schulze. Cette version est logiquement plus dynamique et percutante que les deux autres (anglais et français) proposées en Dolby Digital 2.0.
Interactivité
Dans les bonus, on retrouve l’inévitable Eric Peretti, programmateur du festival Hallucinations collectives de Lyon et habitué des éditions Chat qui fume, qui revient dans « Rendez-vous avec l’horreur » sur la conception du film, en évoque les différentes strates (scénario, musique, steadicam…) et nous éclaire également sur le cinéma australien des années 80. Le tout en une vingtaine de minutes. Ça va plutôt vite et, bien que l’ensemble des informations soient passionnantes, on regrette quelque peu l’austérité de la mise en image. Des scènes inédites (5′) sont ensuite proposées sous forme de photogrammes, qui permettent de découvrir notamment une fin beaucoup plus détaillée. Un module d’une dizaine de minutes, « Retour à Montclare », passe en revue les différents lieux de tournage vus d’aujourd’hui. Enfin la scène de danse du film est proposée dans sa version longue (2’30). Plutôt anecdotique.
Quant aux deux commentaires audio qui figurent sur cette édition, du réalisateur Tony Williams et du producteur Tim White d’un côté et des acteurs John Jarratt, Jackie Kerrin et Robert Ratti de l’autre, on regrettera qu’ils ne bénéficient pas de sous-titres.
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