[Be Kind Rewind] FAIR GAME de Mario Andreacchio (1986)


La vague de « l’ozploitation », cinéma d’exploitation australien des années 70/80, a donné naissance à de belles réussites, parmi lesquels le Next of Kin de Tony Williams en 1982, pour ne prendre qu’un exemple chroniqué récemment sur Obsession B. Cinéma décomplexé s’inscrivant dans tous les genres possibles et imaginables, l’ozploitation est aujourd’hui redécouvert grâce à des éditeurs vidéo comme Le Chat qui Fume, qui, au bénéfice de son travail de réédition, met l’accent sur des œuvres méconnues dont le capital sympathie n’a d’égal que les grandes qualités de ces films d’artisans passionnés. Fair Game de Mario Andreacchio est ainsi un film de vengeance, associé à un survival sorti en 1986, à la fin de la période dorée du film d’exploitation en Australie.
Dans un coin reculé du sud de l’Australie, Jessica attend le retour de son mari dans leur réserve naturelle. Un lieu devenu le terrain de jeu d’un trio de chasseurs sans état d’âme qui vont faire de la jeune femme leur proie. Basé sur un scénario simple au possible, dégraissé au maximum, avec des personnages on ne peut plus archétypaux, Fair Game se veut avant tout comme un « Comic-Book Movie », choix revendiqué et assumé par Mario Andreacchio, réalisateur de télévision qui n’a rien tourné d’autre de très notable. Simple ne signifiant pas nécessairement creux et torché à la va-vite, Fair Game bénéficie du savoir-faire indéniable de son artisan de réalisateur. Il y fait preuve d’un beau sens de la mise en scène, exploitant avec beaucoup d’ingéniosité l’espace induit pas son vaste décor naturel, usant d’un découpage efficace, profitant de la photographie superbe d’Andrew Lesnie, et du jeu minimaliste mais convaincu et de la plastique de sa comédienne, Cassandra Delaney. Cette-dernière, à la carrière elle aussi plutôt discrète, se révèle hyper crédible dans ce rôle de femme forte, amoureuse de la nature et des animaux, contrainte de proposer une défense à la hauteur de l’attaque de ses agresseurs. Fair Game assume à 100 % son statut d’oeuvre d’exploitation, enchaînant scènes d’action, cascades, explosions et même une pointe d’érotisme, il faut dire excellemment véhiculée par sa protagoniste.

Poussières et tôles froissées
Dans ce vaste jeu du chat et de la souris entre les traqueurs et la proie, il ne faut pas attendre une once de réalisme, le trio de chasseurs étant plus bête et méchant que réellement effrayant et leurs exactions se limitant à tuer deux ou trois animaux et, tout de même, d’offrir une balade à l’héroïne, nue et attachée au pare-chocs de leur énorme pick-up. La victime en ressort d’ailleurs moins traumatisée par l’expérience que par la mort de son cheval… Mario Andreacchio joue la carte du fun et du décomplexé en dévoilant une protagoniste pas avare d’idées et d’efforts pour survivre et se venger. Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter par petites touches un discours sur la défense des animaux, un peu naïf, et d’évoquer assez grassement l’affrontement d’une femme seule contre la masculinité exacerbée et beauf. Une certaine idée du féminisme. Le tout à hauteur de Série B, dans un style ultra-décontracté, entendons-nous, mais pas moins efficace. On ne compte plus les symboliques phalliques de domination grosses comme des 33 tonnes, que ce soit à travers les armes et autres outils utilisés par les personnages masculins (véhicules, armes à feu, barre en fer, fourche, enclume…). Dans cette optique, les trois agresseurs se mueront en véritables chasseurs dès lors que l’on s’en prendra directement à leur virilité : leurs armes à feu.
Fair Game est un condensé de plaisir régressif et purement gratuit, fait de poussière et de tôles froissées, et n’oublie pas de citer ses références que sont la série des Mad Max, avec des cascades réalisées par Glenn Boswell qui avait œuvré sur les films de Georges Miller, ou encore Razorback et ses plans baignant dans des éclairages bleu nuit du plus bel effet et très prisés à l’époque. Cassandra Delaney s’y donne à corps perdu avec une belle conviction et illumine l’écran. Flingué par la critique féministe à sa sortie, le film est pourtant tout l’inverse de ce sur quoi on l’attaquait : généreux et très inspiré par instants, Fair Game est le portrait d’une femme battante qui fait mordre la poussière à la domination masculine. Le tout avec style. Vraiment pas de quoi fouetter un chat… Un film qui ne saurait avoir échappé aux radars de Coralie Fargeat pour son film Revenge, sorti en 2017 et sur un sujet similaire.

FAIR GAME Mario Andreacchio (Australie – 1986) |
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Genre Thriller/Action – Avec Cassandra Delaney, Peter Ford, David Sandford, Garry Who, Don Barker, Carmel Young, Adrian Shirley… – Musique Ashley Irwin – Durée 86 minutes. Distribué par Le Chat qui Fume (3 octobre 2019). Synopsis : Jessica vit seule avec Ted dans un coin retiré du sud de l’Australie, où ils sont en charge d’une réserve naturelle. Dans ce cadre idyllique, son compagnon s’étant absenté pour une conférence, sa quiétude est compromise par l’arrivée d’un trio de chasseurs de kangourous. Lorsque les trois rustres croisent la route de la jeune femme, ils voient en elle un gibier de choix. S’engage alors un jeu du chat et de la souris entre les prédateurs et leur proie. Pour Jessica, le plus important va désormais se résumer à un mot : survivre ! |
L’édition du Chat qui Fume

Technique
Une superbe copie, en dépit de quelques rayures toujours présentes mais rares, baignant dans un léger grain fort sympathique et bénéficiant de couleurs éclatantes. Le bleu azuréen du ciel contraste fortement avec les couleurs chaudes de l’outback australien, sa poussière, sa terre omniprésente à l’écran. Les séquences de nuit, presque surréalistes avec leurs éclairages bleutés, s’affichent avec beaucoup d’intensité.
Côté son, deux excellentes versions sont proposées. La VO anglaise est évidemment la plus intéressante, mais il faut noter que son homologue dans la langue de Molière ne dépareille pas, notamment dans sa dynamique très poussée.
Interactivité
Dans un supplément nommé « La Traque » (13′), l’habituel intervenant Eric Peretti évoque le film et la volonté du réalisateur de faire un « Comic-Book movie », plus qu’une oeuvre sur la condition des femmes. Il rappelle également la collaboration d’excellents techniciens comme Andrew Lesnie (Le Seigneur des Anneaux) à la photographie, ou aux cascades, Glenn Boswell qui avait travaillé sur les Mad Max. Impossible de passer à côté des démêlés avec la censure, la critique féministe qui brocarda le film à sa sortie, et l’engouement qu’il suscita au marché du film à Cannes et un peu partout dans le monde sauf… en Australie. Il évoque une fois encore le système de financement du cinéma d’exploitation australien et ses limites, qui engendrera des films de moins en moins qualitatifs.
Un court making-of d’époque (4′) donne à voir des instantanés bruts du tournage, des cascades essentiellement. Enfin, 8 minutes de storyboards sont proposées en musique, ainsi que la bande-annonce du film et des sorties récentes de l’éditeur.
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