[Critique] LUZ : LA FLEUR DU MAL de Juan Diego Escobar Alzate

La Montagne sacrée

Luz : La Fleur du Mal est le premier long-métrage du réalisateur Juan Diego Escobar Alzate. Dans un petit village isolé dans les montagnes colombiennes, on y découvre une communauté vivant repliée sur elle-même, menée par un patriarche prédicateur qui dirige tout ce petit monde d’une main de fer, suivant des préceptes archaïques et restrictifs, baignant dans une foi lourde et imperméable au monde environnant, et dans la croyance de la résurrection d’un nouveau Messie. Tout un programme ! Ce microcosme vivant en vase clos va progressivement connaître des dérèglements, une remise en cause provenant notamment des filles du patriarche, qui vont questionner les fondations du discours paternel. Situé quelque part au croisement de films comme We Are What We Are de Jim Mickle et The Witch de Robert Egger, pour la description d’un groupuscule résolument pieu et replié sur lui-même suivant des préceptes intégristes, et dans le sillage du cinéma mystique et des visions d’Alejandro Jodorowsky, dont le réalisateur Juan Diego Escobar Alzate se réclame ouvertement, le tout saupoudré d’un soupçon de Terrence Malick pour l’enrobage visuel et la voix-off, Luz : La Fleur du Mal trimballe avec lui un sacré bagage de références plus ou mois visibles et envahissantes (le film reprend des images marquantes des films cités, notamment des scènes éclairées à la bougie, réunissant les personnages à table), dont il ne parvient pas toujours à s’extraire. D’emblée, c’est sur la forme que le film prend par le col et surprend, avec des parti-pris visuels et esthétiques très sensibles et marqués. Une photographie aux couleurs saturées à l’extrême, donnant lieu à des plans extérieurs plastiquement magnifiques, amplifiant les couleurs primaires en leur apportant un côté quasi surnaturel et mystique, s’appuyant sur les somptueux paysages de la Cordillère des Andes, mais également des scènes nocturnes en clair obscure rapprochant le film de véritables œuvres picturales, des choix graphiques qui apportent une personnalité indéniable au film et viennent servir le propos du réalisateur, affirmant le décalage et l’impression que le village se situe quelque peu hors du temps.

Pétales fanés

Luz : La Fleur du Mal décrit l’affirmation extrémiste d’une croyance religieuse poussée à son paroxysme, au sein d’une communauté littéralement sous le joug d’un patriarche aveuglé par des convictions liées à sa foi, lui qui vit dans la mémoire de son épouse décédée. Le film évoque les tentations des jeunes protagonistes qui évoluent dans un monde d’interdiction, et la mise en rapport et la confrontation permanente du Bien et du Mal. Juan Diego Escobar Alzate parsème son film d’éléments plus ou moins incongrus, venant attester de la folie du père et du dérèglement à venir. Le radio cassette découvert par l’une des filles dans la forêt, objet diabolique par excellence aux yeux du patriarche, s’impose comme l’élément perturbateur par lequel le chaos va s’immiscer dans la mécanique trop bien huilée de la collectivité. Au même titre que la présence du jeune homme mutique et emprisonné, sensé représenter le nouveau Messie. A aucun moment, le film ne vient accréditer une thèse (surnaturelle ou pas), s’appuyant sur une série de symboles plus ou moins mystiques (voire christiques) et d’un retour au premier plan de la Nature. Malgré un postulat intéressant et prometteur, des parti-pris formels marquants, un discours sur la foi et le fanatisme religieux qui ne reste qu’en surface, Luz : La Fleur du Mal finit par tourner en rond, Juan Diego Escobar Alzate ne parvient pas à relancer une dynamique qui s’essouffle. Le film n’évite pas non plus les fautes de goût (la voix-off malickienne quelque peu sentencieuse), ni une certaine lourdeur dans l’évocation de son propos. Dans la dernière partie, la lente montée en tension débouche sur des scènes d’une véritable cruauté à la limite du supportable, mais c’est un peu tard. Luz : la fleur du mal est une œuvre incontestablement magnifique visuellement, mais n’échappe pas à une approche assez grossière et caricaturale du discours sur la foi, l’intégrisme religieux et ses dérives (le bouc et son imagerie satanique est évidemment de la partie). Le réalisateur pose des éléments, mais ne les traite pas réellement, et n’est pas sans sombrer par instant dans une forme de cinéma poseur et pompeux, sûr de ses effets, et pourtant assez peu évocateur. Du ciné folk horror accouchant d’une très belle coquille, mais relativement vide au final…

Note : 3 sur 5.

LUZ : LA FLEUR DU MAL. De Juan Diego Escobar Alzate (Colombie – 2019).
Genre : Drame fantastique. Scénario : Juan Diego Escobar Alzate. Interprétation : Yuri Vargas, Conrado Osorio, Jim Muñoz, Daniel Paez, Johan Camacho… Musique : Brian Heater. Durée : 104 minutes. Disponible en Blu-Ray chez Le Chat qui Fume (1er décembre 2022).


L’édition Blu-ray du Chat qui Fume

TECHNIQUE. Cette édition du Chat qui Fume assure une enveloppe technique de première classe pour ce film développant une identité esthétique si marquée. L’image granuleuse et les couleurs saturées explosent littéralement à l’écran, dans un rendu organique assez terrassant. Les canaux sonores sont également mis à contribution pour la version originale du film proposée en DTS-HD Master Audio 2.0, histoire d’avoir bien dans la tête les petites ritournelles et la voix-off lénifiante du film.

Note : 4.5 sur 5.

INTERACTIVITE. Drôle d’expérience que les bonus liés à cette édition. On y trouve deux longs modules qui mettent en lumière le tournage d’un côté (58′) et la présentation du film au festival de Sitges de l’autre (49′). Le premier, véritable making-of, dévoile des instantanés du tournage, couplé à des interviews du réalisateur et des comédiens. C’est souvent brut mais pas inintéressant. Problème, l’ensemble est agrémenté d’un filtre style VHS/crado affublant l’image de défauts liés aux bandes maintes fois passées à la lecture. Ce qui est drôle cinq minutes mais, au final, devient franchement déplaisant au bout de l’heure de visionnage. Même topo pour l’expérience Sitges, documentaire mis à mal par un procédé identique et qui a franchement tout de la fausse bonne idée. L’éditeur ajoute par ailleurs la possibilité d’écouter la musique du film sur une piste isolée, ainsi qu’un vidéo-clip réalisé par Juan Diego Escobar Alzate et le film annonce.

Note : 3 sur 5.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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