En 1998, lorsque RING de Hideo Nakata sort sur les écrans, le public occidental découvre une nouvelle forme de terreur sous les traits (!) du personnage de Sadako, archétype du spectre japonais qui fera date, celui d’un fantôme issu de la culture japonaise, aussi énigmatique qu’effrayant, prenant l’apparence d’une jeune fille dont les longs cheveux noirs dissimulent le visage, dotée d’une robe blanche immaculée et se déplaçant d’une démarche lancinante et saccadée. Difficile de ne pas frissonner face à cette représentation de l’horreur dans ce qu’elle a de plus mystérieux et insidieux…
Pourtant, l’affaire n’était pas gagnée d’avance. L’intrigue repose tout de même sur un constat des plus improbables : une malédiction virale qui se transmet à la vision d’une simple cassette VHS. Mais le film fonctionne et fait même mieux : il conserve toujours cette aura mystérieuse presque 15 ans après sa sortie. Une réussite que l’on doit évidemment en premier lieu à son réalisateur. Sorti de quelques polissonneries pelliculées, Hideo Nakata n’affiche cependant pas une expérience longue comme le bras lorsqu’il s’attaque au projet. Il sera pourtant l’homme de la situation. L’adaptation du roman d’horreur homonyme de Koji Suzuki (déjà transposé à la télévision en 1995) sera d’ailleurs décisive pour le cinéaste puisqu’il le révélera aux yeux du monde entier.

RING marque les esprits en premier lieu par la terreur froide qu’il inspire, mais également par sa simplicité et surtout son ton extrêmement sérieux, pour ne pas dire sentencieux. Rappelons que le film de Nakata est sorti à la fin des années 90, décennie marquée par la déconstruction rigolarde du genre, initiée notamment par la saga SCREAM et propagée par ses succédanés. RING intervient fort à propos pour se positionner comme l’antithèse de toute cette vague. Ici, rien ne prête à sourire et les personnages n’affichent jamais cette forme de conscience et de recul sur leur condition de protagoniste de fiction alors très en vogue dans le cinéma d’horreur. Il règne dans RING une simplicité réaliste, qui confère au classicisme, tant dans sa forme que dans son propos. La mise en scène de Nakata évite toute forme d’esbroufe, balayant les jump-scares faciles pour instiller par petites touches une sourde angoisse par ses plans réfléchis et glaçants, constituant des scènes globalement assez figées. Se dégage pourtant de l’ensemble une ambiance mortifère qui confine à un sentiment d’inéluctabilité. Ce qui tombe bien, puisqu’il s’agit du thème même du film.

RING d'Hideo Nakata

Contamination du genre

Le récit évoque également une profonde tristesse quand il développe les origines de la malédiction, l’histoire de la jeune Sadako, enfant marginal rejeté et sacrifié. Une tristesse qui s’est peu à peu muée en haine, un sentiment immatériel qui se propage jusqu’à contaminer le réel par le biais de l’élément le plus improbable qui soit : une VHS.
RING est donc une oeuvre de terreur dans ce qu’elle a de plus brute (et de plus pure), qui marquera grandement le genre. Le film de Nakata sera suivi de deux suites officielles (la première écrite et réalisée à nouveau par le cinéaste, puis un préquel RING 0, réalisé par Norio Tsuruta et qui explore les origines de Sadako). Un deuxième opus “parallèle” a vu le jour, se démarquant de l’approche de l’original pour s’engager dans la piste directement développée dans les romans, puisque Nakata s’en était diamétralement éloigné à partir du second segment. Sans compter toute la vague des innombrables films de fantôme asiatiques qui ont surfé sur la thématique, ainsi que les remakes américains mis en scène par Gore Verbinski… et Hideo Nakata lui-même. RING a contaminé le cinéma d’horreur pour le meilleur, mais aussi bien souvent pour le pire. C’est de toute évidence la marque d’un indéniable classique.

Note : 4.5 sur 5.

RING (Ringu). De Hideo Nakata (Japon – 1998).

Genre : Horreur. Scénario : Hiroshi Takahashi, d’après le roman de Kōji Suzuki. Photographie : Junichiro Hayashi. Interprétation : Nanako Matsushima, Hiroyuki Sanada, Rikiya Otaka, Miki Nakatani… Musique : Kenji Kawai. Durée : 96 minutes. 
Distribué en vidéo par The Jokers Films (avril 2023).

8 réponses à « [Be Kind Rewind] RING d’Hideo Nakata (1998) »

  1. […] efficacité. Son fantôme emprunte largement à la représentation toute japonaise des Sadako (Ring) et autres spectres aux cheveux gras et longs, tandis que la mise en place de ses apparitions allie […]

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  2. […] en 2003 dans la foulée du succès de la saga Ring initiée par Hideo Nakata, La Mort en ligne marchait sur les plate-bandes de son modèle en […]

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  3. […] regardant. Il y a beaucoup du procédé de la saga Destination finale ici, on trouve un chouïa de Ring pour l’aspect viral du Mal, et même du It Follows pour le côté […]

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  4. […] de Mermaid, le lac des âmes perdues, c’est plutôt le personnage de Sadako dans la saga Ring. Tout d’abord dans l’allure générale, avec ses cheveux gras envahissants, élément qui, […]

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  5. […] goût pour Christopher Nolan, les festivals de film d’horreur… Aucune mention n’est faite à Ring bizarrement. Alors que de toute évidence, Warning : Do Not Play est l’un de ses nombreux […]

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