[Be Kind Rewind] L’ANTECHRIST d’Alberto De Martino (1974)

Italian Haunting

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L'Antéchrist

Conçu dans la (très courte) foulée de l’immense succès de L’Exorciste de William Friedkin, L’Antéchrist d’Alberto De Martino est une petite perle noire qui se hisse sans problème parmi les ersatz les plus brillants du chef d’œuvre de Bill Friedkin. De Martino, on le connaît pour sa carrière de solide artisan dans le bis italien, capable de livrer d’incroyables détournements de succès commerciaux et de convaincants représentants de différents genres populaires. On rappellera pour le fun ses films dérivés de James Bond (Opération frère Cadet, 1967), du western spaghetti (Django tire le premier, 1966) ou du péplum (Le triomphe d’Hercule, 1964). Il est également célèbre pour l’incroyablement raté et involontairement drôle L’Homme Puma (1980). Bref, un habile faiseur, un touche à tout livrant bien souvent de très honorables bandes déviantes et correctement ficelées. Ce qui n’est pas rien. C’est le cas à nouveau avec cette incursion dans le film d’horreur que représente L’Antéchrist. On y retrouve une foi inébranlable du cinéaste dans ce qu’il filme et dans l’approche de son sujet. Comme dans L’Exorciste, il est ici question de possession par le démon. Différences notables, nous ne sommes pas en présence d’une fillette mais d’une jeune femme, et l’aspect scientifique du phénomène est rapidement laissé de côté pour évoquer frontalement un cas de possession avéré. Particulièrement impliqué, De Martino prouve également qu’il a tout compris à son sujet. Ainsi, dès les premières minutes du film, le cinéaste nous prend à la gorge avec une séquence saisissante, dans laquelle une étrange procession de malades et de possédés sont amenées à entrer littéralement en contact avec la statue d’une vierge pour tenter d’enrayer le mal en eux. Captée telle un documentaire, cette scène trouble par son ton très cru, comme prise sur le vif et qui peut évoquer l’entrée en matière irakienne de L’Exorciste. L’ambiance qui se dégage de cette scène infusera l’intégralité du film, même si la suite se montrera plus académique et directement ancrée dans la fiction.

L'Antéchrist

L’apport de Joe D’Amato

L’Antéchrist est tourné dans un très beau cinémascope, et étonne par sa facture visuelle très travaillée. Le film de De Martino est profondément enraciné dans un style européen et plus particulièrement italien. Le cinéaste a planté ses caméras dans des décors aussi somptueux et monumentaux que le Colisée ou le Vatican, autant de sites qu’il met en valeur à grand renfort de plans larges dans lesquels il s’amuse à perdre ses personnages. On retiendra également ces parti-pris étonnants de couleurs exacerbées et de décors extrêmement marqués, à l’image de cet étrange couloir rouge sang, jalonné de bustes semblant épier continuellement les personnages. Visuellement, le film est une vraie curiosité et ne serait d’ailleurs sans doute pas aussi fort sans l’apport de son directeur photo. Aristide Massaccesi, plus connu sous le pseudonyme de Joe D’amato, vénérable réalisateur des délires au gore carabiné Antropophagous (1980) ou Blue Holocaust (1979) et de nombreuses polissonneries à caractère pornographique, signe ici une photographie magnifique et grave sur pellicule des images marquantes, comme ces scènes évoquant l’inquisition et la condamnation de la sorcière ou cette plongée au cœur d’un sabbat, gothique à souhait, et très culotté dans son jusqu’au boutisme.

L'Antéchrist

Une possédée chez Lelouch

Car L’Antéchrist ne prête pas à rire, il aborde de front des thématiques osées, suggérant sans détour les dérives incestueuses d’Ippolita avec son jeune frère et son attirance pour son propre père. Tout juste pourra-t-on trouver à sourire à la vue d’effets spéciaux un peu vieillots, d’incrustations aléatoires et autres effets de lévitations cheap qui ajoutent paradoxalement beaucoup au charme du film. Une légèreté qui ne doit pas faire oublier le drame qui se joue. De Martino prend très au sérieux son sujet et films des scènes de possession de plus en plus éprouvantes. Si les séquences d’exorcisme empruntent des sentiers balisés, elle doivent leurs effets au jeu de Carla Gravina, totalement investie dans son personnage. La comédienne à la carrière éclectique puisqu’on l’a vu autant chez Sergio Corbucci et Etore Scola que chez Claude Lelouch, participe pour beaucoup à la réussite du film. Cette incursion dans le fantastique semble la transcender. Maquillée sans exagération, sa dégradation physique marquant une possession galopante, doit essentiellement à son jeu outrancier. Le reste du casting n’est pas en reste, avec de vieilles gloires américaines comme Mel Ferrer (La chute de l’empire romain) ou encore la toujours superbe Anita Strindberg (Le Venin de la peur). Alberto De Martino a su également s’entourer avec Ennio Morricone et Bruno Nicolai qui composent une partition qui participe grandement à l’ambiance du film… Sérieux mais pourtant moins viscéral que son modèle américain, n’exploitant pas non plus toutes les (bonnes) idées qu’il évoque (les dons de medium de l’Ippolita), L’Antéchrist reste, plus de quarante ans après sa sortie, un très bon film de genre italien, un de ceux qui ne prend pas le spectateur pour une bille et respecte son sujet. Merci Alberto !

Note : 3.5 sur 5.

L’ANTECHRIST. D’Alberto De Martino (Italie – 1974).
Genre : Horreur. Scénario : Gianfranco Clerici, Alberto De Martino et Vincenzo Mannino. Interprétation : Carla Gravina, Mel Ferrer, Arthur Kennedy, Anita Strindberg… Musique : Ennio Morricone et Bruno Nicolai. Durée : 107 minutes. Distribué par Le Chat qui fume.

L’histoire : Suite à un accident de voiture dans lequel sa mère a trouvé la mort, Ippolita demeure paralysée des jambes. Afin de recouvrer sa mobilité, elle se rend dans un sanctuaire célèbre pour les grâces qu’on y obtient et assiste au suicide d’un homme semblant possédé. Une séance d’hypnose révèle en elle la présence de l’esprit d’une ancêtre condamnée au bûcher pour sorcellerie. Petit à petit, le démon s’empare d’elle, la transformant en une femme débordante de désir sexuel et de violence. Ippolita devra expier sa luxure et ses désirs morbides lors d’un exorcisme.


L’édition DVD du CHAT QUI FUME

L'Antéchrist

TECHNIQUE. Comme il nous y a habitué depuis pas mal de temps maintenant, l’éditeur français Le Chat qui fume nous propose un DVD d’excellente tenue pour redécouvrir L’Antéchrist dans une version intégrale enrichie de 6 minutes supplémentaires. La copie est présentée dans un format 1.85 d’origine et a fait l’objet d’une belle restauration permettant de visionner le film dans des conditions excellentes. Les quelques scories (quelques griffures notamment) ne viennent pas troubler une image qui donne la possibilité de profiter de la superbe photo d’Aristide Massaccesi, et de ses couleurs vives, ainsi que d’un aspect granuleux bien agréable. Le son n’est pas en reste avec trois pistes (italienne, anglaise et française) recommandables en mono d’origine.

Note : 3.5 sur 5.

INTERACTIVITE. Mais la « griffe » du Chat qui fume, c’est évidemment une section de suppléments extrêmement éclairants sur l’œuvre. On y retrouve des intervenants extrêmement calés dans le domaine, avec l’excellent David Didelot, papa du très bon fanzine Vidéotopsie, qui fait partager son érudition sur le film, son réalisateur et sur son amour du cinéma bis. Qui dit ciné de genre décortiqué, dit forcément Christophe Gans, qui revient lui aussi sur l’œuvre de De Martino, avec les nombreuses anecdotes d’ex-rédacteur en chef de Starfix qu’on lui connaît. Gans évoque également avec passion le travail sur la musique du film par Ennio Morricone et Bruno Nicolai. Autres anecdotes avec Adolfo Troiani, ancien assistant de Joe d’Amato, qui revient dans un entretien sur le tournage et plus particulièrement sur la conception des effets spéciaux. Indispensable !

Note : 4.5 sur 5.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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