[Be Kind Rewind] LA MAISON AUX FENÊTRES QUI RIENT de Pupi Avati (1976)
"Mes couleurs... Elles coulent dans mes veines..."
A une question posée par le critique Lorenzo Codelli à propos de La casa dalle finestre che ridono (La maison aux fenêtres qui rient) dans le numéro 264 de la revue Positif en février 1983, Pupi Avati répond : « J’ai essayé l’opération qui consiste à revisiter les genres, comédie musicale, comédie macabre, film d’horreur, de les rendre acceptables à l’intérieur de mon propre espace, sans que ça grince trop, sans faire des films d’imitation ». « Imitation » n’est effectivement pas un adjectif qui convient au film du réalisateur bolonais tant il se révèle quasiment unique en son genre dans la production horrifique italienne des années soixante dix. Réalisé en 1976 et toute première production de la société A.M.A Film (fondée à Rome par Pupi Avati lui même, avec son frère cadet Antonio Avati et son ami Gianni Minervi et destiné à faire selon les dires de P. Avati du petit cinéma ambitieux), La casa dalle finestre che ridono constitue la cinquième long-métrage du réalisateur, après deux films à l’atmosphère fantastique (Balsamus l’uomo di Satana et Thomas e gli indemoniati en 1970), un drame historique (La mazurka del barone della santa e del fico fiorone en 1975) et un film satirique (Bordella en 1975). La casa dalle finestre che ridono marque un premier point de rupture dans la filmographie de Pupi Avati. En effet, le film se démarque dans un premier temps par son inscription dans plusieurs sous-genres cinématographiques et littéraires. Un caractère hybride qui fait de lui un « à côté » fascinant, autant dans la carrière du réalisateur italien qu’au sein du cinéma de genre italien dans son ensemble, et de l’horror all’italiana en particulier.
Le long-métrage se concentre sur le destin de Stefano, un artisan particulièrement doué de ses mains, œuvrant dans la restauration de fresques. Ses talents attirent l’attention d’un petit village situé dans la région d’Émilie-Romagne. En effet, le prêtre local tient à lui confier la restauration d’une fresque ornant l’un des murs de son Église. Cette dernière représente avec un réalisme aussi saisissant que troublant le martyr de Saint-Sébastien. A partir du moment où il s’atèle à la tâche de la restauration, Stefano se rend rapidement compte que personne ne souhaite voir renaître cette fresque, semblant cacher de macabres secrets…
Une oeuvre éminemment personnelle
La casa dalle finestre che ridono est d’abord et surtout un film éminemment personnel pour Pupi Avati, par son unité de lieu, la région Émilie-Romagne , dans laquelle le réalisateur passa les six premières années de sa vie, dans la commune de Sasso Marconi, aux abords de Bologne, plus précisément. L’influence de ce contact avec la vie paysanne se ressent clairement au fil des scènes, dans la manière de sublimer le village dans lequel se déroule l’action ainsi que ses alentours, offrant un dialogue permanent entre la mer, les champs et la montagne. Cet hommage cinématographique à la beauté de sa région natale traversera sa filmographie. L’attention à la faune et à flore est accompagnée d’une insistance sur – pour reprendre l’expression de l’historien Jacques Le Goff – « le temps de la campagne », au niveau des mœurs, qu’ils soient sociaux ou religieux. Cette monstration du temps de la campagne provient de la mise en scène d’un catholicisme singulier par l’intermédiaire des scènes au sein de l’Eglise contenant la fresque que Stefano doit restaurer. Cette approche pourrait être rapprochée voire expliquée par l’éducation de Pupi Avati très marquée par un catholicisme à la fois traditionaliste mais non exempt de mysticisme. On pense notamment à cette séquence montrant une cérémonie mortuaire, à la fresque de Saint Sébastien, ou encore aux scènes mettant en interaction Stefano et la vieille paraplégique. Autant de manières de montrer le rapport particulier entretenus par la campagne avec la mort, constamment reliée à la vie.
Rapport à l’étrange et au mysticisme
L’horrible, l’anormal, les histoires macabres agissent chez les habitants du village comme autant d’éléments partagés par tous, acceptés, spectaculaires. La scène dans laquelle intervient Coppola, le chauffeur de taxi du village, montrant, goguenard, à Stefano des ossements au fond d’une fosse près de la fameuse « maison aux fenêtre qui rient », va en ce sens. Pupi Avati avait déjà traité le sujet du rapport à l’étrange et au mysticisme dans son deuxième film, Balsamus l’uomo di Satana (1970), dans lequel un être monstrueux, Balsamus, exploite la crédulité humaine et se fait passer pour mage. Il réside avec ses familiers, qui sont aussi ses complices, dans une luxueuse demeure à la campagne ou s’empressent d’accourir diverses sortes de dévots et de fanatiques : des femmes en quête de mari, des épouses stériles, des malades qui donneraient tout pour être guéris. Ce parti-pris de montrer la campagne des rituels anciens, de la magie et des traditions séculaires alliées à la pression du catholicisme se trouvait déjà dans le magnifique giallo de Lucio Fulci, tourné en 1972, Non si sevizia un paperino (La longue nuit de l’exorcisme). Ce dernier, comme La casa dalle finestre che ridono, exploitait déjà magnifiquement le village de Matera, situé sur des hauteurs rocheuses dans la région de Basilicate en Italie méridionale. De plus, son intrigue centrée sur des meurtres d’enfants convoquait également le contraste entre religion catholique et spiritualité d’antan, tout en l’opposant au rythme dévorant des villes et de la modernité, terrain de jeu pourtant habituel des gialli, chez Dario Argento notamment avec sa trilogie animalière. La volonté d’inscrire La casa dalle finestre che ridono dans un tel cadre, solaire et mystique, semble rejoindre la vision d’ensemble qu’a Pupi Avati du fantastique lorsqu’il déclare, toujours dans la même interview sus-citée : « Voilà pourquoi je me suis beaucoup adonné au cinéma de type fantastique, évocatif, magique : l’écran qui s’éclaire ouvre un espace sur tout ce qu’on ne pourrait pas voir hors d’une salle de projection ». Ainsi le réalisateur conçoit-il sa terre natale comme un espace spectaculaire, axé sur le caché, l’enfoui.
Néanmoins, cette vision d’une campagne rayonnante se trouve pervertie par Pupi Avati. Derrière le mystère se trouve l’horreur pure. Stefano va en effet découvrir que parfois il ne fait pas bon interroger le passé, ou plus exactement de le « restaurer », l’exhiber au grand jour. L’horreur, Pupi Avati la convoque en positionnant son film au croisement de plusieurs sous-genres. Tout d’abord, bien que les nombreuses scènes de paysages filmées de jour tendent à ancrer le spectateur dans un cadre rassurant, car désormais identifié et connu au fil des séquences, le village dans lequel évolue Stefano se trouve progressivement imprégné d’une atmosphère gothique, au sens littéraire (Pupi Avati s’est notamment inspiré de l’ouvrage Sept contes gothiques rédigé en 1935 par l’écrivaine danoise Karen Blixen), puis cinématographique du terme, transposée dans un monde proche du nôtre. En effet, point de châteaux et de grandes demeures type XIXe siècle comme chez Mario Bava ou encore Antonio Margheriti. Les présences fantomatiques et les ombres s’invitent dans de grandes maison de campagne et la brume glaciale spectrale imprègne, de manière illogique les rues à arcades du village. De plus, l’allure de la fresque et du supplice qu’elle dépeint, plus vrai que nature, participe à la mise en place de cette inquiétante étrangeté.
L’inspiration giallesque
La seconde influence identifiable est celle du giallo italien et semble rejoindre la problématique principale du film : celle de notre regard sur l’art et son ambiguïté. Outre le parallèle déjà tenté avec Non si sevizia un paperino de Lucio Fulci, La casa dalle finestre che ridono semble partager des points communs avec les films de Dario Argento. Premièrement à travers son titre énigmatique La casa dalle finestre che ridono, qui n’est pas sans rappeler certains titres alambiqués de ce sous-genre. Deuxièmement, l’inspiration giallesque pourraît se lire à travers la figure du personnage principal, Stefano, homme banal, réveillant malgré lui des secrets enfouis et projeté dans un engrenage meurtrier dont il n’est pas sûr de sortir indemne. Ce mécanisme le conduit à se faire enquêteur malgré lui, axe scénaristique au cœur de nombreux gialli d’autant que cet aspect est finalement au cœur de son métier de restaurateur : il tend à accéder au sens des images. De ce point en découle un autre : l’enquête optique. A ce titre, il est difficile de ne pas faire de rapprochement avec le giallo Profondo Rosso (Les frissons de l’angoisse, 1975) de Dario Argento, lui-même relecture du Blow Up de Michelangelo Antonioni (1966), qui voyait Marcus Daly, pianiste, se lancer à la poursuite d’un tueur après avoir été témoin du meurtre d’une voyante. À l’instar de Marcus Daly, Stefano souhaite regarder derrière le miroir, gratter littéralement la pierre pour découvrir la clef du mystère. Les deux films possèdent une scène similaire : dans une des séquences de Profondo Rosso, Marcus Daly ayant réussi à entrer dans un lieu clef du film, une villa, creuse un mur afin d’y découvrir un indice décisif peint sur ce dernier. Cette scène pourrait être mise en parallèle avec celles de La casa dalle finestre che ridono dans lesquelles on assiste à la révélation de l’entièreté de la fresque par Stefano à l’aide de ses outils de travail. Dans ces deux longs métrages, Dario Argento (qui reprendra ce principe plus tard dans Suspiria et Inferno notamment) et Pupi Avati souhaitent emmener leurs personnages au-delà de la surface. Le film se fait alors labyrinthe : un espace dans lequel Marcus et Stefano se trouvent piégés. Cet enfermement est notamment symbolisé dans les deux films par les séquences se déroulant dans les grandes résidences ; la villa dans Profondo Rosso, la maison de campagne dans laquelle réside Stefano puis la « maison aux fenêtres qui rient ». La maison de campagne se distingue par ses couloirs et ses étages labyrinthiques dans lesquels se perd Stefano.
Réflexion sur la perception des images
La casa dalle finestre che ridono partage donc avec le giallo cette caractéristique de « film-piège », peuplé de vrais-faux coupables, d’un détective malgré lui, d’une enquête optique… Au final, le film reprend les concepts théoriques du sous-genre mais pas ses figures archétypales ou ses passages obligés. À cet égard, les meurtres sont rares et le tueur iconique aux gants noirs et au rasoir coupe-chou n’est pas présent. Il préfère distiller une atmosphère étouffante, très gothique par endroit afin de se concentrer sur la thématique lui apportant toute sa sève: le regard que nous entretenons avec les œuvres d’art et leur lecture, et plus largement avec l’image.
Là encore, on pourrait déceler une influence de Dario Argento, tant l’histoire de l’art et la perception des détails et des images est au cœur des films du réalisateur, du début (le tableau macabre de L’oiseau au plumage de cristal, 1970) aux films les plus récents de sa carrière (Le syndrome de Stendhal, entièrement centré sur notre rapport aux chef-d’œuvres de l’Histoire de l’art, 1996). Ainsi La casa dalle finestre che ridono nous entraîne dans une succession de faux semblants concernant notre perception des images. À cet égard citons seulement pour exemple ; pour éviter la révélation d’éléments clés de l’intrigue ; le générique d’ouverture, montrant un homme attaché par les poignets sur un fond sépia, immobile. Le spectateur pourrait croire qu’il s’agit d’une peinture par l’usage de ralentis et de filtres floutant légèrement l’image lorsque le personnage se met à hurler et à se débattre. Au fur et à mesure que les plans se succèdent, il s’avère que ce que l’on regardait depuis le début était un homme qui est en train de subir une torture. Ainsi, le spectateur se trouve donc piégé, complice indirect d’un acte barbare. Survient ensuite un fondu, montrant cette fois-ci un homme semblable au premier, ligoté lui aussi mais au détail qu’il s’agit d’une peinture. La frontière entre le profane et le sacré, le moderne et l’archaïque, le réel et l’abstrait se trouvent brisée, au même titre que celle entre le spectateur et ce qu’il perçoit des images.
Ainsi, La casa dalle finestre che ridono se veut une réflexion sur l’interprétation que l’on accorde à une œuvre relevant du sacré et brillant par une apparente simplicité. Véritable chef-d’œuvre distillant un climat à la fois poétique et malsain, il s’impose tel un incontournable de la production bis italienne des années 70, porté par une atmosphère singulière et une transcendance originale des genres.
LA MAISON AUX FENÊTRES QUI RIENT
Pupi Avati (Italie – 1976)
Genre Horreur – Acteurs Lino Capolicchio, Francesca Marciano, Gianni Cavina, Giulio Pizzirani… – Musique Amedeo Tommasi – Durée 110 minutes – Disponible en DVD chez Digital Entertainment (Zone 1).
L’histoire : Artiste spécialisé dans la restauration de fresques, Stefano est invité par un ami à exercer ses talents dans l’église d’un petit village italien. Là, il découvre une fresque représentant le martyre de Saint-Sébastien. Loin d’être épaulé par le prêtre, il ressent assez vite l’hostilité d’une partie du village qui s’oppose à la résurrection de cette pièce de collection.
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