[Critique] GHOSTLAND de Pascal Laugier
Where is my mind...?


Pascal Laugier est un cinéaste un peu fou, un poil déviant et totalement intègre. Pas étonnant qu’il divise autant. Avec quatre films au compteur en 14 ans, de Saint-Ange en 2004 à Ghostland en 2018, en passant par Martyrs en 2008 et The Secret en 2012, l’homme n’est pas un stakhanoviste de l’abattage cinématographique, et à la vue de ses œuvres, on comprend aisément pourquoi. Parce que Pascal Laugier a une relation puissante avec ses réalisations, un rapport à la fois charnel (!) et moral à ses projets, qui les rend de facto complexes à aborder et surtout à financer, des films aux sujets difficiles et à la représentation graphique souvent jugée (à tort) trop démonstrative. Après Saint-Ange, premier essai qui se voulait avant tout référentiel, Laugier a creusé son sillon avec ses trois films suivants, des œuvres imparfaites mais à la personnalité évidente et à la puissance d’évocation rare. Martyrs a violemment clivé le public. Tant mieux. The Secret a davantage réconcilié le cinéaste avec une frange de spectateurs qui ne pouvaient pas l’encadrer. Sans perdre pour autant la substance qui fait des films de Laugier des œuvres à part. Aujourd’hui, avec Ghostland, le réalisateur français signe un film que l’on pourrait voir comme une somme de ses précédents travaux. A première vue plus accessible qu’un Martyrs, partageant quelques points communs avec les jeux de chausse-trappes de The Secret, ce quatrième long-métrage possède en son sein la rugueuse « patte » Laugier, et son inconditionnelle volonté de faire un cinéma de genre à la véracité et au jusqu’au boutisme assumés.

La vision Laugier
Difficile de parler de Ghostland sans en dévoiler quelques secrets… On va essayer malgré tout. La construction du film en premier lieu, gigantesque labyrinthe mental, dont les séquences s’enchaînent suivant la logique (!) insaisissable de réalités diverses. Sur ce plan en particulier, le film est un chef d’oeuvre. Laugier joue avec les codes et les connaissances du spectateur pour bouleverser ses repères et, cédant à la mode du Twist comme c’était déjà le cas dans The Secret, il s’appuie sur ce gimmick pour questionner de manière pertinente la question du point de vue. Les deux sœurs héroïnes du film, Beth et Verra, reviennent dans la maison où elles ont été plusieurs années auparavant avec leur mère (excellente Mylène Farmer) confrontées à deux dangereux psychopathes. Le réalisateur joue sur la perception faussée du temps, des époques, et l’imagination de Beth, auteure à succès de romans d’épouvante. Là est toute l’intelligence de Laugier scénariste, laisser croire qu’on navigue en terrain connu, dans un schéma qui rappelle nombre d’œuvres horrifiques plus ou moins récentes (Hello Blumhouse Pictures !), pour mieux tordre le cou aux conventions, aux développements prémâchés et aux chemins scénaristiques tous tracés et imposer une vision, sa vision. Et une fois encore, la vision de Pascal Laugier est sombre, très sombre. Flirtant de toute évidence avec les lois du conte de fée, il injecte dans Ghostland des détails renvoyant aux mythes européens. L’ogre et la sorcière, les bonbons d’Hansel et Gretel, la traversée du miroir d’Alice au pays des Merveilles, les poupées de Pinocchio… Le calvaire des deux jeunes filles prend des allures d’une fuite en avant illusoire, prisonnières qu’elles sont de cette maison de l’horreur. Par bien des égards, le film peut également évoquer le cauchemar insaisissable et sans espoir qu’est le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper.

Un film d’horreur qui touche au cœur
Qu’on aime ou pas le cinéma de Pascal Laugier, qu’il nous bouscule et nous désoriente, nous dérange, on ne peut que reconnaître la foi inébranlable qu’il place en son cinéma et l’approche unique qu’il propose dans le genre. Avec une puissance formelle et narrative hors du commun, porté par des jeunes actrices admirables, Ghostland est un film très rugueux et éprouvant. Pourtant, même s’il constitue sans aucun problème l’un des tous meilleurs films d’horreur, l’un des plus pertinents et intelligents de ces derniers mois (au côté d’Hérédité de Ari Aster), Ghostland surprend sur le plan de l’émotion. Son discours sur la création, sur l’inspiration de sa jeune auteure et l’amour du genre horrifique créent une empathie et une puissance émotionnelle presque inattendues. Les rapports entre les deux sœurs, mais aussi ceux de Beth avec sa mère résonnent au plus juste. Beth décide de s’accrocher à la réalité afin de sauver sa sœur, et après une rencontre impromptue avec un écrivain célèbre (une scène magnifique), elle manifeste dans un ultime plan face caméra toute sa foi en ses récits d’épouvante : « J’aime raconter des histoires… » Comme souvent avec les films de son auteur, Ghostland reste en tête et mûri bien après la projection. Un film d’horreur qui touche autant au cœur, c’est la plus grande réussite et tout l’art de Pascal Laugier.

GHOSTLAND. De Pascal Laugier (Canada/France – 2018).
Genre : Horreur. Scénario : Pascal Laugier. Interprétation : Crystal Reed, Anastasia Phillips, Emilia Jones, Taylor Hickson, Mylène Farmer, Rob Archer… Musique : Todd Bryanton, Georges Boukoff, Anthony D’Amario, Ed Rig. Durée : 90 minutes. Distribué en Blu-ray et DVD par TF1 Studio – Facebook (17 juillet 2018).
Chronique réalisée en partenariat avec Cinetrafic, qui propose les films d’horreur à retrouver en 2018 et le Top 100 du cinéma d’horreur à retrouver par ici.
J’ai adoré également.
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Je m’en doutais 😉
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C’est fou, mais je n’ai pas du tout accroché à ce film. Pourtant, il a une très belle esthétique, il est fort et dérangeant, il a une belle mise en abîme, une fin en esprit avec son univers, deux personnages de soeurs bien mis en avant, mais… pas du tout accroché même si j’ai regardé jusque au bout. J’ai deviné le twist avant qu’il n’arrive, même si je ne le pensais pas exactement comme ça, ce qui a gâché le côté surprenant, sans ôter le courage des deux soeurs. Elles ont un jeu superbe. Et j’ai eu beaucoup de mal avec le méchant travesti « la sorcière » justement parce qu’ils choisissent des jeunes filles en victime : ça m’a donné l’impression de revoir le travers de ces méchants travestis/transgenres qui sont fous mentalement et qui font violence aux autres par rapport à ce qu’ils n’ont pas.
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