[Critique] HÉRÉDITÉ de Ari Aster
It Follows en 2014, The Witch en 2015… Le cinéma horrifique indépendant américain nous balance de temps à autre de jolies mandales pelliculées que l’on n’avait pas vu venir. Bêtes de festival la plupart du temps, ces œuvres bénéficient d’une réputation prêtant souvent à la méfiance, quand bien même la hype est, dans ces cas précis, totalement fondée. En 2018, c’est au tour d’Hérédité d’Ari Aster de rejoindre ce club fermé des films dont la flatteuse réputation n’a d’égale que l’impression terrassante laissée aux spectateurs. De quoi rendre optimiste quant à un avenir flamboyant pour le cinéma d’horreur sérieux et éprouvant.
Et de fait, Hérédité est une pure réussite, une oeuvre marquante à bien des niveaux. Le film d’Ari Aster nous plonge dans le quotidien d’une famille américaine en proie au deuil de la matriarche, femme autoritaire, aux principes affirmés et particulièrement redoutée. Resurgissent alors des secrets enfouis, tandis que des phénomènes étranges vont mettre à mal la cellule familiale qu’un terrible drame va faire imploser. Loin des bases formatées de la production horrifique actuelle, le jeune réalisateur américain livre un film d’horreur bien plus adulte dans son approche et ses choix.
Dans son plan introductif, Hérédité dévoile une cabane dans un arbre à travers le surcadrage d’une fenêtre, puis un lent panoramique conduit doucement jusqu’à une maquette de maison réalisée par la mère de famille, Annie Graham, et un zoom nous rapproche plus précisément d’une chambre miniature pour nous faire pénétrer dans une pièce finalement bien réelle où un adolescent se réveille difficilement. L’air de rien, et en l’espace de quelques secondes, le réalisateur nous dévoile en creux son projet cinématographique, expose le destin des personnages, prisonniers tels des marionnettes de leur existence et évoque les forces surnaturelles qui les observent depuis un bon moment et qui vont s’abattre méthodiquement et brutalement sur eux. Du grand art !
L’héritage de Polanski & co
Par son côté viscéral, son ambiance délétère, Hérédité ne choisi pas la facilité, s’appuyant sur un aspect dramatique très prononcé. Relations familiales tendues, terreur psychologique, cinéma qui effraie, dérange, bouscule et met mal à l’aise. L’une des grandes forces du film, c’est cette manière qu’a Ari Aster de faire se percuter le réel et le surnaturel, de les confronter avec brio, même si l’ensemble emprunte ouvertement à d’autres œuvres. Ce qui effraie, ce n’est pas l’apparition d’un fantôme, mais la folie qui s’empare des personnages. Hérédité n’a rien d’extrêmement novateur dans son histoire, mais il vient démontrer que l’intérêt d’un film ne tient pas tant à ce qu’il raconte, mais plutôt à la manière dont il le fait, l’approche employée par le réalisateur/scénariste. Face aux productions formatées et désincarnées, aussi généreuses en jump scares que périssables après une simple vision, au hasard, dans un genre similaire : Ouija de Stiles White, Hérédité fait l’effet d’un phare dans la nuit de la médiocrité, et impose un cinéma qui prend aux tripes, habité par des personnages puissants et considérablement humains, explorant des thématiques fortes comme la difficulté du deuil ou la perte d’un enfant. Un cinéma du premier degré et diablement sérieux qui évoque des grandes œuvres des 60/70’s, comme les dérives paranoïaques de Roman Polanski, notamment Rosemary’s Baby, ou encore Ne vous retournez pas de Nicholas Roeg et brode une mise en scène précise et minutieuse, emplie de sens, qui privilégie la durée dans ses plans, autant que dans ses mouvements d’appareils pour créer la tension, l’empathie et surtout LA PEUR. A ce titre, la dernière partie du film est une leçon de terreur pure avec son parti-pris de faire durer les plans, et d’y associer des détails dissimulés dans le cadre qui ne se révèlent qu’aux plus observateurs. Des choix de mise en scène directement hérités de L’Exorciste – La Suite de William Peter Blatty. Pour aboutir à un épilogue plutôt attendu mais dont le caractère sentencieux fait toute la saveur, et dont l’ultime plan agit à la fois comme un point final et une boucle évoquant une fois encore la tragique destinée des personnages.
La réussite d’Hérédité doit également à l’interprétation unilatéralement puissante, Toni Collette est impressionnante, Gabriel Byrne extrêmement juste en mari dépassé par les événements, et les jeunes Alex Wolff et Milly Shapiro brillent d’authenticité, au sein de ce cauchemar dont la noirceur absolue est renforcée par la musique entêtante de Colin Stetson. Hérédité est une oeuvre qui enthousiasme autant qu’elle dérange et qui reste longtemps en tête après visionnage. La marque d’un très grand film et d’un jeune réalisateur à suivre d’extrêmement près…
HÉRÉDITÉ
Ari Aster (USA – 2018)
Genre Horreur – Interprétation Toni Collette, Gabriel Byrne, Alex Wolff, Milly Shapiro, Ann Dowd… – Musique Colin Stetson – Durée 126 minutes. Distribué par Metropolitan.
L’histoire : Lorsque Ellen, matriarche de la famille Graham, décède, sa famille découvre des secrets de plus en plus terrifiants sur sa lignée. Une hérédité sinistre à laquelle il semble impossible d’échapper.
Je suis sortie du film en étant dubitative, mais j’étais complètement captivée pendant les 2h dans la salle de cinéma, au sens où je ne pouvais pas détourner les yeux. Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai compris que cette captivité était précisément la force du film et que j’en ai eu un ressenti beaucoup plus positif. Il m’a bien marquée avec ses plans longs, sa musique, la mise en scène, le jeu des acteurs. J’ai trouvé, pour une fois, que c’était vraiment des réactions naturelles si on faisait face à l’horreur dans la réalité, avec le choix de la rationalité (le père), de s’enfoncer dans la folie (la mère), d’être terrifié/méfiant (le fils) ou le choix d’être « fasciné » avec la fille. J’ai trouvé cela vraiment bien fait, et le jeu des acteurs y est pour beaucoup. L’atmosphère est vraiment réussie. Et je n’aime plus du tout le son des claquements de langues après ça – or le seul film d’horreur dont je déteste vraiment un son, c’est The Grudge…ça aussi c’est assez rare pour être remarqué.
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Un très grand film en effet… Instant Classic !
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Ari Aster a un avenir très prometteur dans le cinéma de genre ! J’ai en tous cas préféré Hérédité Midsommar pour ma part !
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Midsommar est en effet très différent, une horreur beaucoup plus « lumineuse » mais pas moins malsaine à mon sens 😉 Et complètement d’accord avec toi : c’est un réalisateur qui compte !
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